La fanfare est à nos portes !

L'Union musicale de Couze dans les années 50, © Coll. Francis Sanagal
Quelques photographies anciennes suffiront-elles à faire résonner les musiques de fêtes de nos bastides ?

À bien regarder celles en noir et blanc de Robert Doisneau (1) prises à Siorac et à Terrasson, ainsi que celle de L’Union musicale de Couze et Saint-Front (2) (reproduite ici), c’est toute une kyrielle de refrains joyeux et de notes solidement rythmées qui résonnent à nos oreilles.

Reconnaissons-le : en Périgord, les façades à deux étages, la légèreté des halles et les arches gothiques des places savent faire rebondir sans pareil des airs nationaux connus, ou des danses occitanes traditionnelles conçues pour faire chanter et sourire.

Revient ainsi le plaisir de musiciens de tous âges qui se retrouvent chaque semaine, après le travail des champs ou en usine – dans les petites salles municipales ou les jardins publics près de la Dordogne – pour répéter des titres entrainants. Ces titres, à l’origine plutôt du registre militaire, s’imposèrent peu à peu en raison de la diffusion par la radio des chansons populaires et des standards de jazz. « Ah ! Le petit vin blanc » précède « Hello, Dolly ! » ou « la Cucaracha ».

L’émotion pointe toujours au rendez-vous lorsque chacun ressort l’instrument de la vieille armoire, l’examine, le démonte avec précaution, le nettoie en soufflant du bout de la bouche ou en frottant avec précaution, le brique pour accrocher les lumières du succès et enfin lui redonne sa forme initiale. Pour les percussions, il faut tendre les peaux, tester la solidité et faire vibrer sur toute la surface. Moment crucial, il faut échauffer les poumons, les lèvres ou les bras. Après un rapide passage à l’abri des regards pour ajuster vestes et casquettes, arrive le moment de se caler et lancer les premiers rythmes soutenus. Ce rituel réjouit toujours le groupe constitué de dix à vingt amateurs, garçons et filles plus ou moins confirmés, sous la baguette d’un « pro » du solfège. Car il faut un son parfait, harmonieux, en plus d’une allure impeccable.

Seuls les plus gros bourgs peuvent prétendre à leur fanfare, de Bergerac à Sarlat, en passant par Lalinde, Beaumont ou Monpazier, ou encore Le Bugue. Le sommet de ces rencontres a lieu à Cadouin avec son Festival du Bélingou en Fanfares, pendant la semaine jacquaire. C’est une question de prestige en plus de la fête, si bien qu’on pouvait les entendre sur les parois des Eyzies et à Lascaux… jusqu’à faire danser les peintures préhistoriques.

Les fanfares sont appréciées aussi pour leur mobilité dans les rues des cœurs de bourg, les soirs de la Saint-Jean et autres fêtes votives. Elles incitent les portes et les fenêtres à s’ouvrir. Les plus courageux des habitants forment un cortège spontané auquel les enfants adhèrent dans un joli chahut. Ce jour-là, nous ne pensions pas à chiper des cerises du Lot-et-Garonne sur le marché ou des bonbons chez l’épicière de la route du Cingle, à Couze.

Ce qui s’avère également réjouissant, c’est le nom des instruments tout autant que leur forme : grosse caisse, caisse claire, cymbale, hélicon, tuba, saxo ténor et alto, trompette et clarinette. D’autres régions ajoutent cornemuses et hautbois. Tout concourt à faire oublier les soucis, les peines de cœur et les deuils.

Apollinaire l’a bien chanté dans son poème dédié à Lou, intitulé La guerre, l’amour, où il écrit : « Mais près de toi je vois sans cesse ton image / Ta bouche est la blessure ardente du courage / Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix… ». Si les partitions poursuivaient au départ une inspiration guerrière, on peut mesurer l’ensemble des sentiments que le passant éprouve à entendre ces refrains qui rappellent des rencontres, des fiançailles et des 14 Juillet flamboyants. Les fanfares, finalement, nous poussent vers la poésie, voire la nostalgie d’un temps où l’on dansait tard dans les chais comme le dit si bien le conteur occitan Daniel Chavaroche dans son dernier spectacle intitulé Hôtel des Platanes.

Aujourd’hui, il est regrettable que les instruments finissent souvent leur vie remisés dans des greniers ou se résignent au silence, malmenés dans des brocantes à six sous. Combien de carnavals et de défilés se font sans leur voix ! Quelques groupes résistent encore en s’ouvrant avec bonheur sur d’autres musiques du monde. Peut-être faut-il encore espérer à la manière du poète Patrick Dubost qui affirme : « La fanfare des poètes sonores est encore pour demain ». Que la fête commence derrière son drapeau !

Rémy Cassal


Notes :

  •  (1) « Doisneau et la Dordogne » in Sédiments 4 – Les grands cahiers Périgord Patrimoines, sous la direction de Romain Bondonneau, Association Périgord Patrimoines, 2016.
  •  (2) Photo collection Francis Sanagal (décédé en 2016) confiée à Françoise Cheyrou. C’est en 1930 que « l’Harmonie Municipale » devient « Union musicale » de Couze avec, pour siège social, la salle du Secours Mutuel, avenue de Cahors. Sur cette photo datant des années 50, Francis Sanagal se trouve au centre (derrière les tambours) 3e en partant de la droite.

Cet article a été publié dans le numéro 10 du magazine « Secrets de Pays ».

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