Les Quatre Saisons : le Printemps

Le Printemps, illustration Marcel Pajot

« Un jour le printemps viendra » dit la chanson. Il faut croire les chansons. Surtout quand elles vous annoncent des lendemains fleuris.

« Mars qui rit malgré les averses prépare en secret le printemps » disait mon vieux livre d’école. Je voudrais croire mon livre d’école. Mais mars est passé et mes vieux os ressentent de plus en plus l’urgence de la belle saison. Et que me voilà marri ! Il pleut, le ciel est gris, même dans ma maison. Les heures tournent en rond. Certes les jours s’allongent mais restent à somnoler sur le divan du salon. Inutile de compter sur le jardin. Les arbres, sortis perdus d’un hiver arthrosique, recroquevillent leurs branches. Un noisetier pleurniche de tous ses chatons. La terrasse, vidange obstruée, frissonne en Lac Majeur. La rue est vide.

Même le voisin qui célèbre d’ordinaire l’arrivée des beaux jours à grands coups de karcher – je récure dont je suis – a rendu les armes. Que restera-t-il du glorieux labeur humain si disparaît la grande lessive de printemps ?

Je m’apprête à effectuer une retraite bougonne derrière le rempart de mes livres, quand, soudain, changent les couleurs du temps. Un air guilleret vient du fond de la rue. Tout juste une rengaine, mélodie sifflotée mais avec une conviction que livre l’option d’un jour maussade.

Elle chemine, s’arrête, progresse, zigzague, sautille d’un trottoir à l’autre. Elle approche. Elle est là. Tiens, voilà le facteur ! Il ne porte plus képi mais chevauche un vélo jaune. Apparaît une vieille dame sous un grand parapluie noir, au portail de son jardin. Elle lui tend un bouquet de mimosa d’un jaune mousseux ensoleillé.

Se souvient-elle de ses vingt ans, de ses amours, des lettres espérées et de La Riviera ? Elle attend ce jeune homme qui lui sourit chaque matin en lui remettant son courrier. Peut-être prie-t-elle Dieu et le responsable de la poste ?

– « Donnez- moi s’il vous plait mon facteur quotidien ! »

Aujourd’hui il n’a, pour elle, qu’un dépliant publicitaire d’hypermarché où elle ne va jamais. Pourtant elle glisse avec soin le prospectus sous son châle, contre sa poitrine.

Le facteur fixe le bouquet entre le guidon et la sacoche. Quand il l’embrasse et la remercie d’un grand rire, elle sent monter en elle un de ces bonheurs à pleurer qui serrent parfois le cœur des vieilles dames. Elle le regarde partir et, mutine, comme en son jeune temps, elle fait un pied de nez à la froidure tardive qui rosit ses joues de pomme d’api.

Moi, j’ai refermé discrètement ma fenêtre sur un ciel brusquement dégagé qui pavait la rue de plaques de clarté.

Je me suis surpris à dire à voix haute : « Printemps tu peux venir ! ».

Texte Pierre Gonthier, illustration Marcel Pajot
« Printemps » technique mixte sur papier


« Le Printemps », Illustration Marcel Pajot, technique mixte sur papier


Cet article a été publié dans le numéro 10 du magazine « Secrets de Pays ».

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