Racontages : « Entre bruits et murmures… »
En règle générale, on évite de boire l’eau de la rivière. Le matin on y lave le linge, le soir on y mène boire les animaux, on s’y lave les pieds et les mains. Pour le reste, chez soi, le dimanche avant la messe… les pieds dans la bassine. Et si quelqu’un, monté sur un tabouret, vous tient le broc au dessus de la tête, alors là, c’est le bonheur !En plus du vin, du bois, du sel et du courrier, il arrivait que les gabares embarquent des passagers, à l’exemple de la coquassière qui montait sur le pont et coinçait ses jupes avec son panier à œufs et celui des volailles. Les gabariers surveillaient alors le vent qui fait danser les jupons, des fois jusqu’aux genoux… Les jours sans vent, elle s’asseyait sur une douelle ou petite douve. Pour ceux qui ne savent pas : une barrique, un tonneau.
Attention aux dormants. Les graviers à peine recouverts d’eau, où le bateau, même à fond plat, risque de s’échouer.
Pour un vrai gabarier, avoir les pieds sur terre, c’est dur. Mais les pieds dans la gabare… là tout devient plus doux, plus souple.
On m’a rapporté qu’un de Taillefer, marquis de Barrière, qualifiait la confrérie des gabariers de « lie du peuple ». Il leur reprochait de pêcher et de chasser au nez et à la barbe du seigneur « Haut Justicier ».
La vie du gabarier est contraignante et dangereuse. Après un long temps de navigation, la pêche constitue parfois une semi-retraite.
« Les rivières et nous, on est des indispensables ! »… affirment les gabariers : « Les gens de rivière y occupent la première place, suivis des travailleurs de la terre. »
Aux enfants qui sont occupés à surveiller les plantations d’aubier et d’osier, on confie aussi d’autres tâches. À la Gratusse, les naufrages sont nombreux. Les enfants aident alors les femmes à récupérer les maïs ou les blés des chargements tombés à l’eau.
Les gens de rivière sont aussi des gens de voyage. Ils s’appellent Isabeau Villot, Marc Chantal, Jeanne Guy, Jean Barse, Anne Deler, Etienne Penazou…
Les cabarets et les auberges des gabariers jalonnent le parcours fluvial. C’est là que se font et se défont les réputations.
Il arrive qu’il y ait des vols de bateaux. Alors il y a maquillage des bateaux volés. Ils sont goudronnés à neuf au plus vite…
Le braconnage faisant partie du quotidien, les garde-pêches sont vigilants. Un jour, un garde suit Anaïs, persuadé qu’elle a dans son panier du poisson braconné en pêche de nuit. Il l’arrête et lui dit : « C’est la loi ! Ouvre ton panier ». Elle répond : « C’est pas du poisson ». Comme il insiste, Anaïs s’écrie : « Si vous voulez le savoir, c’est de la merde que je porte ! » C’est du poisson qu’il dit, « je l’ai vu bouger ». Anaïs rétorque : « Je veux bien que vous tâtiez, mais vous passez la main sans ouvrir le panier ». Ce qu’il fait… « Et alors ? » vous allez me dire… Patience. Après l’avoir traitée de tête de mule, il glisse la main sous la motte d’herbe humide… et la retire aussi vite. Ce n’était pas du poisson ! Vous vous demandez sans doute de quoi il pouvait bien s’agir : de crottin de cheval ! Et voilà… Sur la place, on a moqué le garde-pêche, et ça a fait du bien à tout le monde.
Les meuniers sont bien placés, dans leurs moulins installés en bordure de rivière, pour juger des événements qui échappent à l’ordinaire. En général, ce sont des témoins attentifs. Sauf un que les clapotis des eaux endormaient, c’est une exception. Je crois qu’il y a une chanson là-dessus…
Le meunier sait tout, voit tout. Il raconte à son fils qui a son tour raconte à son fils, qui raconte à la voisine, qui de sa cuisine fait passer le message à la boulangère qui, les mains dans la farine, crie la nouvelle au gabariéro… ainsi de suite, de fuite en fuite l’histoire est écrite, voilà ce qu’on en sait !
Chantal Maman
Actrice et auteur de théâtre / Texte et photos