Henri Courroy un artiste authentique

Un coin de l'atelier de Henri Courroy. © Jacques Saraben
À Varennes, dans le secret du vallon de Laussine, havre de verdure au bord du Couzeau, se trouve l’atelier de Loulou et Henri Courroy, sculpteur et peintre de talent.

Né en 1912 à Bordeaux, Roger Henri Courroy fait une partie de ses études secondaires au collège Jésuite de Bétharam, près de Lourdes, où il acquiert une solide culture religieuse. À cette époque, et avant d’être photographe à Couze, son père moule des statues religieuses ; c’est peut-être en le voyant travailler que nait la vocation d’Henri.

Dans les années 30, il étudie la peinture et la sculpture (peut-être l’architecture) à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux. Pour gagner sa vie, il modèle des projets de jouets et peint des cartons pour tapisseries. En 1941, il épouse Louisette Couzinet, Loulou, (peintre dont le talent mériterait d’être reconnu). Peu de temps après, ils s’installent à Paris, rue des Saints Pères et suivent les cours de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts.

Quelques sculptures… Henri Courroy passe du figuratif au géométrisme ou à l'abstraction sans préjugé

Quelques sculptures… Henri Courroy passe du figuratif au géométrisme ou à l’abstraction sans préjugé

Henri reçoit une formation encore très académique alors que Rodin, puis Bourdelle et Despiau ont depuis longtemps imposé une nouvelle esthétique et que le cubisme, le surréalisme et l’abstraction ont rompu avec la sculpture traditionnelle. Mais cet enseignement lui donne des bases solides : il maitrise parfaitement les techniques qui lui permettront de s’affirmer.

Choisi pour recevoir une bourse d’études à la Casa de Velásquez à Madrid, les circonstances historiques ne lui permettront pas d’en bénéficier. En 1944, il est sélectionné pour participer au Grand Prix de Rome. Après la guerre, il obtient diverses commandes dont un Saint Antoine qui se trouve dans le bas côté droit de l’église de Saint Germain des Prés à Paris et expose régulièrement au salon de la Jeune Sculpture.

« Affranchi de toute contrainte, maitre de son art, Henri Courroy passe sans préjugé du figuratif au géométrisme ou à l’abstraction. Artiste sincère, suivant sa propre sensibilité, son style n’est jamais figé ».

De 1947 à 1978, tout en résidant à Paris il est professeur de sculpture à l’école des Beaux-Arts d’Amiens. Il est très apprécié par ses élèves et ses collègues autant que par son entourage, sa famille et ses amis, pour ses qualités humaines, sa générosité, sa patience, son indulgence mais aussi pour son intelligence et sa vaste culture.

Ses lectures vont des écrits de Saint Paul et Saint Augustin à ceux de Bachelard en passant par les Essais de Montaigne et bien d’autres…

Solitaire, il fuit les mondanités auxquelles il préfère la réflexion philosophique, la méditation et l’affrontement avec la matière. Loulou disait de lui : « c’est un taiseux » ou encore « les gens viennent pour moi mais ils reviennent pour Henri ». Cette modestie est toute à son honneur, en fait on revenait pour les deux ! Pouvant paraître un peu froid au premier abord, on se souvient surtout du compagnon toujours agréable qui partait souvent d’un grand éclat de rire communicatif.

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Lorsqu’il n’est pas à Amiens, Henri se rend au Louvre avec assiduité. Le contact avec les œuvres d’art de toute époque, nourrissait sa réflexion esthétique. Esprit ouvert et curieux, il aime flâner du côté des bouquinistes des berges de Seine, en quête d’un ouvrage de philosophie, de peinture, de sculpture, d’architecture ou même d’archéologie.

Il passe aussi beaucoup de temps dans son atelier, rue du Moulin de Beurre, d’abord, puis rue de Gergovie dans le quartier Montparnasse, grand foyer artistique et intellectuel depuis les années 20. Là, il taille, polit le marbre et le bois, modèle la terre glaise et le plâtre, dessine beaucoup (il a laissé quantité de carnets), réalise des papiers collés, toujours à la recherche de nouvelles formes épurées. On peut supposer qu’il ait eu l’occasion de rencontrer des sculpteurs célèbres alors au sommet de leur art, installés à Paris dans les années 50/60 comme Brancusi (1876-1957), Giacometti (1901-1966), Zadkine (1890-1967) ou encore Hans Arp (1887-1966) et Henri Laurens (1885-1954).

Médaille « Terre de désolation » (diamètre 130 mm)  — Médaille « Terre de désolation » (diamètre 130 mm), avers et revers : terre aride, crevassée, fissurée.

Médaille « Terre de désolation » (diamètre 130 mm), avers et revers : terre aride, crevassée, fissurée.

Souvent au moulin de Varennes, pendant ses vacances, il cherche des bois flottés sur les berges de la Dordogne et, dans les champs, des galets roulés dont il s’inspire parfois dans ses œuvres. Ses longues promenades avec Loulou sont aussi l’occasion de récolter quelques silex taillés préhistoriques. Affranchi de toute contrainte, maitre de son art, Henri Courroy passe sans préjugé du figuratif au géométrisme ou à l’abstraction. Artiste sincère, suivant sa propre sensibilité, son style n’est jamais figé.

Il nous a laissé un grand nombre d’œuvres de tous formats. Malheureusement, lorsque son atelier était trop encombré, il cassait les plus grandes, les projets en plâtre, pour faire de la place. Sa production est très variée. Des sujets vont du religieux au profane et à l’abstrait : piétas, crucifixions, portraits, sujets mythologiques, formes géométriques abstraites, nombreuses médailles éditées à la Monnaie de Paris (Saint Jean, Moïse, Saint Paul, Montaigne, Bachelard, Dante, Servantes, Homo Sapiens, Clair de lune, les Esprits Mauvais…). Il obtient le prix « Renouveau de la Médaille » en 1970.

Médaille diamètre 160 mm. Avers : d'après les souvenirs de l'auteur, le visage du philosophe poète Gaston Bachelard. Revers : Une rêverie plastique inspirée par l'œuvre de Gaston Bachelard et notamment « La poétique de l'espace, le poétique de la rêverie, la terre et les rêveries de la volonté ».

Médaille diamètre 160 mm. Avers : d’après les souvenirs de l’auteur, le visage du philosophe poète Gaston Bachelard. Revers : Une rêverie plastique inspirée par l’œuvre de Gaston Bachelard et notamment « La poétique de l’espace, le poétique de la rêverie, la terre et les rêveries de la volonté ».

L’ambition, l’égocentrisme, l’exhibitionnisme, l’autosatisfaction si communs dans le milieu artistique, lui sont complètement étrangers. Au contraire, modeste et discret, prenant du recul vis-à-vis de sa création, Henri ne fait rien pour se faire connaître. Plus souvent retiré à Varennes lorsqu’il arrête d’enseigner à Amiens, il savoure le calme et la solitude de son atelier et continue son œuvre. Sur le tard, le marbre étant devenu trop dur, il s’essaie avec succès à la tapisserie qu’il pratique d’une manière très libre.

En 1992, une petite exposition de ses œuvres a été présentée au moulin de la Rouzique, à Couze. Henri s’est éteint le 5 janvier 2011, Loulou l’a suivi quelques mois plus tard.

On ne peut que se réjouir du projet de rendre un hommage posthume à ce créateur trop réservé au talent méconnu. L’exposition de ses œuvres, du 8 au 22 mars 2014, salle de l’Étendoir à Couze et Saint Front permettra à un large public de découvrir et d’apprécier cet artiste authentique.

Séance de pose : Henri Courroy et Jean Gibert, photo coll. Gibert

Séance de pose : Henri Courroy et Jean Gibert, photo coll. Gibert

Jean-Claude Moulard
Photos Pierre Boitrel (à l’exception de la dernière photo, coll. Gibert)


Cet article a été publié dans le numéro 3 du magazine semestriel « Secrets de Pays ».

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