Des Américains dans la Résistance, les parachutistes de Cadouin

Le parachutage de treize « Américains » sur le sol périgourdin s’inscrit dans une politique d’infiltrations d’agents des services secrets britanniques du « Special Operations Executive », plus connu sous les initiales SOE, créé par Winston Churchill dès juillet 1940. Leur mission était de soutenir les divers mouvements de résistance en zone occupée.

À partir de janvier 1944, c’est Jacques René Poirier (nom de guerre Nestor, nom de code Digger), alias Captain Jack, qui est chargé de l’organisation de tous les parachutages de la région. La mission confiée à Nestor, agent du SOE, consiste en actions de sabotage des voies ferrées, en destruction des dépôts d’essence et en opérations de guérillas ponctuelles. L’objectif est de freiner, autant que possible, la remontée des troupes allemandes vers la Normandie.

En Dordogne Sud, le déclenchement de cette opération d’envergure fait suite à un message personnel diffusé par la BBC le 4 juin 1944, à destination de Captain Jack : « Message important pour Nestor : La girafe a un long cou ». Ce message codé est le signal attendu pour lancer les opérations de harcèlement contre les Allemands, tendre des embuscades, organiser des sabotages. C’est à la suite de ce contexte un peu fou qu’arrivent, après la bataille, nos treize parachutistes ! Les maquis viennent en effet de libérer le Périgord de la férule de l’occupant…

Le parachutage du 11 août 1944

On doit à la curiosité et à la persévérance de Ronald Knoth, ancien officier de la Marine royale néerlandaise résidant à Alles sur Dordogne avec Hélène son épouse, d’en savoir un peu plus sur cet épisode peu connu de l’histoire de la Résistance en Pays des Bastides.

Le parachutage du 11 août 1944 devait avoir lieu à 1 km au nord-est de Saint Avit Sénieur et à 6 km au sud-ouest de Cadouin. Il se fit au lieu-dit La Roche, à 1 km de Cadouin. La mission avait pour code « Digger 67 » et pour nom « Percy Pink ». Dans son Histoire de la Résistance en Périgord, Guy Penaud précise que « les groupes Max (Saint-Cyprien), Marsouin et Pistolet, réceptionnent le commando américain »…

Les investigations de Ronald Knoth l’ont conduit jusqu’au Department of the Air Force du Pentagone. Grâce à lui, on connaît maintenant le nom de chacun des parachutistes de Cadouin et celui du chef de mission : le lieutenant T. Allen Legare Jr, membre de l’US Army. Les douze hommes placés sous ses ordres sont : Edward J. Kjellness, E.M. Olsen, R.N. Osthus, Vernon L. Austreng, H. Flater, E.M. Hovland, Bernard N. Iverson, L Neland, J.S. Porvick, Eddy O. Sondeno, A. Toso et R.E. Audet ; tous membres de l’Office of Strategic Services. L’OSS recrutant son personnel parmi un grand nombre de pays alliés et cultivant le secret, il est impossible de savoir si tous étaient de nationalité américaine ou bien s’il y avait parmi eux des Britanniques. Une chose est sûre, il y avait dans le groupe un Canadien parlant Français…

Réception en l'honneur des parachutistes de Cadouin, Photo © Lucienne Imberty

Réception en l’honneur des parachutistes de Cadouin, Photo © Lucienne Imberty


Le témoignage de Bergeret

Dans ses mémoires publiées sous le titre de « Messages personnels », Maurice Loupias (alias Bergeret, chef de la Résistance en Dordogne Sud), offre l’un des rares témoignages connus de cet étrange parachutage… Le groupe des treize parachutistes de Cadouin est conduit au PC de Bergeret, à Bétou, non loin de Saint-Cyprien.…

« On ne nous les avait pas annoncés. Lecamp [il s’agit de Jean Dupuy, second de Bergeret] qui les avait reçus du ciel, attendait seulement des armes. Sa surprise est grande quand, au lieu des cylindres habituels, il voit gigoter d’immenses gaillards au bout de leurs parachutes.

On imagine si, avec leur camion d’armes, ils sont les bienvenus. Ils sont treize, mais nous ne sommes pas superstitieux ni les uns ni les autres. Un des Sammies [soldats américains présents en France à la fin de la Première Guerre mondiale, appelés ainsi par la population française en référence à l’Oncle Sam], Canadien d’origine française, sert d’interprète. Nous leur offrons une magnifique omelette et nous débouchons une bouteille de champagne. C’est un produit rare. Nous ne le boirons jamais en meilleure occasion. Nous restons rêveurs devant leur armement. Ce sont de grands diables très sympathiques, et Allen, qui les commande, nous inspire la plus grande confiance.

Naturellement, nous les montrons à la population. Ils viennent à point au moment où la foi, plus ferme que jamais, n’a besoin que d’un tout petit élan pour emporter les derniers obstacles. Escortés de corps francs, ils passent à Mouleydier, à Lalinde, au Buisson, à Trémolat, à Calès, à Saint-Cyprien. Partout, un enthousiasme délirant les accueille. La population des villages se presse tout entière au-devant d’eux. Ce sont de vrais ambassadeurs. Toutes les maisons sont pavoisées. Les drapeaux flottent sur la mairie et devant le monument aux morts. Toutes les jeunes filles veulent les embrasser, et les seules marques de combat qu’ils portent jusqu’à présent sont des traces de rouge [à lèvres]. La ferveur des femmes est la plus vive, naturellement [sic]. Ayant eu besoin de chemises, ils s’en firent faire à Saint-Cyprien, et les ouvrières y mirent tant de diligence qu’en vingt-quatre heures elles étaient prêtes.

Ils se prêtaient de bonne grâce à toutes ces manifestations. Ils burent même sans faire la grimace le vrai whisky dont M. Longy, de Lalinde, avait gardé une bouteille pour ce jour-là, mais ils étaient très sobres et redoutaient finalement les trop copieuses libations qu’on leur imposait.

Ils étaient d’ailleurs furieux d’être arrivés trop tard, de ne pas participer à cette guérilla pour laquelle ils avaient été spécialement entraînés, et dans laquelle ils nous auraient certainement rendu de grands services. Le premier qui était tombé du ciel avait voulu gagner immédiatement les bois et engager le combat. Lecamp eut toutes les peines du monde à le persuader que nous étions maîtres du pays, que nous circulions maintenant sur les routes, soigneusement gardées, mais avec une sécurité relative, et qu’ils ne serviraient plus guère qu’à notre propagande. À cet égard, ils remplirent parfaitement leur mission. »

Jacky Tronel
Réception en l'honneur des parachutistes de Cadouin, Photo © Lucienne Imberty

Réception en l’honneur des parachutistes de Cadouin, Photo © Lucienne Imberty


Bibliographie sommaire :

  • Messages personnels, Bergeret et Herman Grégoire, éditions Bière, Bordeaux, 1945.
  • La girafe a un long cou…, Jacques R.E. Poirier, éditions Franlac, Périgueux, 1992.
  • Des Anglais dans la Résistance, le service secret britannique d’action (SOE) en France, 1940-1944, Michael R.D. Foot, avant-propos et notes de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, éditions Tallandier, Paris, 2008.

Cet article a été publié dans le numéro 7 du magazine « Secrets de Pays ».

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