Recueil de Nouvelles : « L’Auberge de Souviens-t’en »

L'Auberge du Souviens-t'en, un recueil de nouvelles de Pierre Gonthier illustrée par Marcel Pajot
Dans ce recueil de nouvelles venant de paraître, Pierre Gonthier emprunte une fois de plus les chemins de sa mémoire qui sont chemins de hasard et de fantaisie. Les lecteurs l’y suivront avec bonheur pour y rencontrer « ces gens d’avant qui nous font encore signe ». En voici quelques-uns, cohorte tendre et pittoresque, revenus des villages d’autrefois pour peupler l’univers de cet auteur que l’on dit proche de ceux de Pagnol, Giono ou Gaston Bonheur. | Textes de Pierre Gonthier – Photographies de Michel Dartenset – Éditions Couleurs Périgord, Périgueux, 2013.

EXTRAITS

Couverture du livre L’Auberge de Souviens-t’enLes dernières châtaignes grillées, promesse avait été faite qu’à l’automne suivant, tous iraient à la cueillette. « À la Brugue, c’est les plus grosses ». Pour sceller le pacte, Miette avait noirci le bout du nez d’Aurélien, d’un doigt enduit du charbon des fruits calcinés. Les autres l’avaient imitée, se lançant dans une danse autour du poêle baptisé autel des sacrifices. « C’est quoi un sacrifice avait demandé le plus jeune des Berlinguet » ? – « C’est là qu’on te coupe le zizi » avait blagué Titou. Et la danse avait repris de plus belle, tandis que le petit reniflait son inquiétude. Un soir les deux enfants traînaient un peu en traversant le village. Miette avait chaussé les sabots du garçon et s’ingéniait à marcher en tapant du pied. Anaïs Viber, qu’on surnommait la vipère, les apostropha : « Qui c’est celle-là, dans tes esclops ? » – « C’est Miette » répondit Aurélien. – « Ici personne s’est jamais appelé comme ça ! Qui sait d’où ça sort encore ? » grogna la vieille en se remettant à balayer son devant de porte, poussant rageusement les détritus chez les voisins.

Tiens, l’ancienne auberge. Elle est là sous ton nez. Tu vois cet escalier sur la place ? Quatre marches et la maison avec une porte de bingoï (de travers), le mur fendu. Ça me fait peine de la voir inhabitée depuis la mort de la Marcelle qui la tenait de famille. Une sacrée bonne femme celle-là ! Jamais voulu d’homme. Je veux dire dans son ménage. Parce que dans son lit…

Une bombe éclatait dans le ciel magnanime de septembre pour signaler la remise des prix aux pêcheurs et le début du concours de boules. À nouveau, prise de frénésie, la Fine courait vers l’allégresse collective. Quand elle revenait à son office, elle poursuivait quelque mouche importune à grands envols de torchon en fredonnant « Une partie de pétanque ça fait plaisir tu la vises et tu la manques… ». C’était rituellement l’instant où l’oncle Cyprien qui avait épousé Fine, « en sa jeunesse ravissante », disait ma mère, revenait de sa partie de chasse dominicale dont rien n’aurait pu le détourner. Toujours avec Paulin Joyeux qu’on invitait au dessert où il chanterait en s’accompagnant à l’accordéon « Quand refleuriront les lilas blancs », un air qui attendrissait l’assistance, au demeurant plutôt braillarde, une fois dégrafés les cols et remontés les bras de chemises. Les chiens des deux compères se précipitaient dans la cuisine, pressés de laper l’eau de la cuvette où baignait la laitue. La Fine les chassait à coups de louche en disant : « Si on n’est pas riches, au moins qu’on soit propres ». Et replongeait l’ustensile dans la marmite.

Si un de passage demandait : « S’il vous plaît, je voudrais… », la Marcelle remettait l’exigeant à sa place : « Ici on mange ce qu’il y a ! » – « Alors, le plat du jour insistait l’homme. » – « J’ai pas le plat du jour. Juste ce que j’avais envie de faire. Un tourin blanchi et des paupiettes avec des cèpes. Si ça vous va pas… » Ça allait toujours et ça se disait loin, ce qui est bon pour la réputation.

Si on en parlait devant Félicie, assise sur le pas de sa porte à cancaner avec qui voulait l’écouter, elle traçait une croix sur le trottoir avec sa canne et disait : « C’est la terre de mauvais œil. On m’a raconté, il y a du temps de cela, qu’un orage avait un jour noyé le pays, arraché l’ormeau de la place, emporté le toit de l’église. La grêle avait battu terres et vallons. Le ciel était noir et pourtant, du côté de la lande, on aurait dit que la lumière sortait de terre. On y voyait comme en plein jour. C’est alors que les truffes y sont venues. Comme si le diable de L’En Dessous les avait semées. Il faudra bien qu’un jour, quelqu’un le rembourse celui-là, parce que, à la fin du repas, c’est jamais lui qui paie l’addition ». La vieille baissait la voix : « Le drôle de la grande Borie qui est allé gratter la truffe en pleine lune de janvier parce qu’à douze ans on a de la malice, la purésie (pleurésie) qui l’a emporté, elle est bien venue de quelque part. Et le cheval de Sagnette échappé de son enclos qui s’y est cassé une patte. Le vétérinaire appelé pour l’abattre s’est senti tellement patraque qu’on l’a ramené étendu dans la carriole avec le cheval mort ». Le doigt pointé vers la colline, Félicie marmonnait : « Ces truffes, c’est du mal noir ». Elle crachait par terre comme si dans la bouche lui venait le mauvais goût.

Illustration de Marcel Pajot

Illustration Marcel Pajot

Anselme essaya le purin d’ortie, la fiente de poule, l’eau de la fontaine des Matalys réputée miraculeuse et celle de Lourdes qui lui est, dit-on, supérieure. Il fit intervenir Barricot le sourcier qui incrimina les eaux souterraines, lesquelles trimbalèrent un flux nocif aux melons. Félicie, la dernière sorcière du pays, aspergea le sol d’une étrange mixture. Anselme se résigna à se placer sous l’aile de la science et fit analyser sa terre à la coopérative agricole. Le laboratoire décréta que rien ne s’opposait à la culture des cantaloups. Le brave curé Marissol consacra une messe à Saint-Fiacre, patron des jardiniers et se déplaça avec son viatique et un enfant de chœur pour bénir l’enclos. Au point que ceux qui les virent passer crurent que quelqu’un était à la dernière extrémité chez Anselme. Seul Milou le rebouteux refusa ses services, objectant qu’il n’avait pas reçu le don de guérir pour soigner des citrouilles.

Marcelle, la Fine, Emilien, la Tontine, Miette et Aurélien, Anselme, Félicie, quelques autres… leur temps vécu, simplicité, grandeurs ou petitesses, avec ce livre les voilà revenus.

Cet article a été publié dans le numéro 3 du magazine « Secrets de Pays ».

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