Barthélémy de la Borie du Pourteil

L'ancien couvent des Recollets, Bastide de Monpazier
« Qui se douterait […] que, dès les premières années du règne de Louis XVI, il existait, dans une des petites villes les plus pauvres de notre Périgord et les plus éloignées des grandes communications, non seulement un hospice considérable pour les malades, mais une école gratuite et une filature de coton et de laine, pour fournir du travail aux bras inoccupés. »

Ainsi s’exprimait Jules Delpit dans Le Chroniqueur du Périgord et du Limousin de 1853. L’historien bordelais rendait hommage à Barthélémy de la Borie du Pourteil, fondateur aujourd’hui oublié de la « maison de Charité-Hôpital » de la bastide de Monpazier.

On ne sait que peu de choses de lui alors que son œuvre est immense. Dans l’ouvrage publié en 1774, Le Clergé de France, l’abbé Hugues du Tems situe le personnage : « Barthelemi [sic] de la Borie du Pourteil, vicaire-général de Sarlat, est aujourd’hui archiprêtre de Monpazier. Il a été élu le 4 février 1758, après la mort de Pierre de Meyrignac. On doit à ses soins la décoration de l’église, le rétablissement de la confrérie de la Miséricorde, l’établissement d’un maître d’école et d’une maison destinée à loger cinq ou six pauvres incurables, gouvernée par des Sœurs [Hospitalières] qui instruisent en même temps les jeunes filles. »

Recueil-PV-1804

Procès-verbal de la fondation de charité, PV 1804.

Robert Bouet nous renseigne sur ses origines : « Né le 3 octobre 1731 à St-Cyprien, il est le fils de Gérard de La Borie, seigneur du Pourteil, et d’Antoinette Vassal » (Dictionnaire biographique, Le Clergé du Périgord au temps de la Révolution Française). À Monpazier, le souvenir de l’abbé de La Borie du Pourteil a progressivement disparu de la mémoire collective.

Avant la Révolution…

Pourtant, l’homme d’Église n’a pas ménagé ses efforts ni épargné son temps, ses deniers et sa santé pour mener à bien son œuvre bienfaitrice dans la bastide de Monpazier qu’il affectionnait. Et les obstacles n’ont pas manqué, au point que l’abbé dut faire intervenir le maréchal de Richelieu pour obtenir que le maire de Monpazier et les échevins réfractaires à son projet d’édification d’un hôpital et d’une maison de charité le laissent accomplir sa tâche.

Le 16 avril 1780, Jean Mousson de Lestang, conseiller du roi, juge, magistrat royal à Monpazier et avocat au Parlement procède à la visite de la maison de charité et de l’hôpital de la ville afin de dresser le procès-verbal de sa fondation « que le roi a revêtu de ses lettres-patentes, l’an 1775, homologuées par arrêt de la souveraine cour de parlement de Bordeaux, l’an 1776, ainsi que le tout nous a été exhibé par le sieur abbé de Laborie, co-fondateur de ladite maison de charité, avec feu demoiselle de Gironde, baronne de Lavor [il s’agit d’Anne-Virginie de Gironde, baronne de Lavaur] ; « Étant arrivés au-devant de ladite maison, on nous a fait remarquer deux corps de bâtisse considérables, faits à neuf, sur deux différentes rues, et venant se joindre au coin de ces deux rues, l’une appelée des Récollets [rebaptisée rue Jean Galmot], et l’autre de Notre-Dame. Le premier bâtiment est édifié à trois étages, avec une mansarde, et l’autre à deux étages. Chacun des bâtiments ayant aux environs de cinquante-deux pieds de long, et formant sur ces deux rues, par leur architecture régulière, un coup d’œil aussi beau qu’agréable. Sur la porte d’un des bâtiments est écrit, Maison de charité – Hôpital, et sur la porte de l’autre bâtiment est écrit, Filature royale de coton. Sur les murailles sont placées les armes de la Demoiselle de Gironde, et celles du sieur abbé de Laborie, fondateurs. »

Les visiteurs forment un groupe d’une cinquantaine de personnes parmi lesquelles figurent tous les notables de la ville (nommément citées dans Le Chroniqueur du Périgord). Ils sont accueillis par « Messire de Laborie Duporteil », ainsi que par des religieuses hospitalières ; quatre sœurs et une novice. La supérieure qui guide la visite conduit le groupe dans une pièce « destinée à tenir l’école des filles de la ville et des pensionnaires de la maison […] Une maîtresse leur apprend à lire, à écrire, et leur fait le catéchisme ». Puis, arrivant dans une très grande et belle salle, les visiteurs découvrent avec étonnement « quarante jeunes filles dont vingt orphelines couchant dans la maison ; les autres, des pauvres filles de la ville, couchent chez elles et toutes se réunissent pendant le jour, pour y filer le coton au rouet, sous les yeux de deux sœurs de la maison qui dirigent cette œuvre, et leur apprennent aussi à lire, et les instruisent de la religion. On nous a fait observer que l’éducation de ces pauvres filles étant faite, la maison de charité a grand soin de leur chercher des places pour servir dans les maisons honnêtes, ou bien, on les remet à leurs parents, en leur fournissant un rouet et un petit fond pour continuer à filer chez elles, et perpétuer ainsi l’industrie qu’on leur a donnée ; ou enfin, quand on trouve des établissements honnêtes, on aide à faire leur dot et leur constitution. Déjà plus de quatre-vingt filles sont sorties de cette maison depuis son établissement, et ont apporté dans les maisons de la ville et de la contrée, les exemples des vertus et de l’amour du travail qu’elles ont acquis dans la maison de charité. Les rouets à filer le coton sont aujourd’hui répandus de toutes parts, dans la ville et à la campagne ; et il est de notoriété publique que plusieurs familles auraient succombé à la misère dont nous avons été affligés dans les dernières années, sans le secours du filage du coton que les enfants y fournissaient ».

La visite se poursuit avec les locaux où se reposent les malades, répartis en deux salles, l’une à droite où sont les hommes, l’autre à gauche où sont les femmes, de part et d’autre de la chapelle. « Nous y avons trouvé les malades assistés de sieur Vialein, chirurgien juré, attitré à l’hôpital, aussi recommandable par ses lumières que par son affection avec les pauvres. » Au troisième étage se situent les magasins et le dortoir des orphelines. « La propreté qui règne dans cette pièce, jointe à la salubrité de l’air qu’on y respire, fait augurer que les enfants ne peuvent qui acquérir une très bonne santé. »

Jardins de l’ancien couvent des Récollets, côté Est. Coll. J. Tronel.

Jardins de l’ancien couvent des Récollets, côté Est. Coll. J. Tronel.

Dans les jardins se situe la manufacture des garçons. « Nous avons vu, avec admiration, tous les jeunes garçons pauvres et mendiants de la ville, rassemblés sous les yeux et la direction d’une des sœurs de l’hôpital, travaillant tantôt à la filature de la laine, tantôt à la filature du coton, à qui cette religieuse fait en même temps les instructions de la religion, tâchant de leur inspirer, tout à la fois, et l’amour du travail et celui de la vertu. En les occupant ainsi, on les arrache à la mendicité, à la friponnerie, aux brigandages, et à tous les vices que l’oisiveté produit. Lorsque leur âge les rend assez forts pour passer à des métiers, et qu’ils sont suffisamment instruits de ce qui constitue l’homme honnête et chrétien, on leur donne à chacun le métier pour lequel ils marquent du goût et de l’aptitude. Ceux qui en ont pour les métiers en étoffe de laine, sont formés dans la maison même ; on place les autres chez les maîtres qui sont dans la ville, comme chapeliers, cordonniers, tisserands, tailleurs, maçons, etc. ; et communément le sieur abbé de Laborie paye leur apprentissage. Il s’est déjà établi, dans la ville, neuf métiers battant en étoffe de laine, qui ont pris naissance dans cette maison, et les autres métiers sont aujourd’hui peuplés par les enfants élevés dans la maison de charité. Leur sagesse dans la conduite et leur âpreté au travail, sont les signes distinctifs de ces jeunes ouvriers répandus dans la ville. »

Le récit de cette visite reflète largement les idées de l’époque, celles portées par le vaste mouvement né à la veille de la Révolution, initié par les philanthropes (repris ensuite par les hygiénistes) qui vantaient les vertus du travail, de l’éducation et de la religion, dans un environnement « sain ».

Les affres de la Révolution…

Dans l’ouvrage Les origines chrétiennes des hôpitaux, hospices et bureaux de bienfaisance du Périgord ou réponse à la loi du 5 août 1879, le chanoine Auguste-B. Pergot observe que « la prospérité de l’hôpital de Monpazier continue de progresser jusqu’aux mauvais jours de la grande Révolution. En 1792, l’abbé de Laborie, ayant refusé le serment prescrit par la Constitution, fut déchu de ses fonctions de directeur et remplacé par trois administrateurs choisis par la municipalité. L’école et la filature furent fermées, et les sœurs elles-mêmes ne tardèrent pas à être expulsées […] L’abbé de Laborie, retiré à Saint-Cyprien, protesta mais en vain, contre cette inique mesure. Il était lui-même quelque temps après, emprisonné à Périgueux ».

Robert Bouet précise que « dès 1790 et jusqu’en 1792, il va être en opposition avec sa municipalité à propos de l’administration de l’hôpital de Monpazier […] Étant réfractaire après la loi du 26 août 1792, il quitte alors Monpazier pour revenir dans sa famille à St-Cyprien ».

Le 16 août 1796, Barthélémy Laborie adresse une lettre « Aux Citoyens administrateurs du département de la Dordogne », dans laquelle il déclare s’opposer à la vente de la maison de charité, pressentie pour devenir le lieu du nouvel hôtel de ville tandis que l’hôpital serait déplacé dans l’ancien couvent des Récollets ; « Croiriez-vous, citoyens, que la commune de Monpazier médite dans ce moment la destruction de cette maison, sous le prétexte illusoire d’une amélioration. On veut, dit-on, la vendre et en transporter les œuvres dans la ci-devant maison des Récollets. On veut réunir dans cette maison aux œuvres d’un hôpital, celles d’un tribunal de juge de paix, et celles de l’administration municipale […] D’abord, quel assemblage d’œuvres aussi disparates ! Les unes sont très bruyantes et très tumultueuses ; et les autres demandent beaucoup de tranquillité, de silence et de recueillement […] Ensuite, pourquoi toucher à une maison qui ne manque de rien ; où tout est disposé et distribué pour les œuvres auxquelles elle est destinée, et laquelle peut être conservée dans cet état sans beaucoup de dépenses ! Tandis que la maison des Récollets étant aujourd’hui dans la plus grande dégradation il en coûtera immensément pour l’approprier aux œuvres d’un hôpital, et prodigieusement chaque année pour l’entretenir ; ce qui est certainement au-dessus des facultés collectives de la commune de Monpazier. »

L’abbé fait ensuite valoir qu’il est propriétaire de la plus grande partie de cette maison, qu’il a bâtie et meublée à ses dépends et qu’il est usufruitier d’une petite partie qu’il a cédée à l’administration : « Par conséquent […] je suis autorisé à réclamer contre l’entreprise de la commune ; […] parce que j’aime trop la cause de l’humanité qui toute ma vie a fait mon plus grand attrait ; et que j’aime trop le bien de la ville de Monpazier que j’ai habité pendant quarante années pour ne pas m’y opposer de toutes mes forces et par tout mon droit. »

Après la Révolution…

Cette requête semble avoir été entendue puisque le retour des sœurs hospitalières permet la réouverture de la maison de charité et de l’hôpital, au tournant du siècle. Quant à l’hôtel de ville, il est finalement installé dans l’ancien cloître des Récollets, ainsi qu’en témoignent d’anciennes cartes postales de Monpazier.

En 1801, « le citoyen Laborie, prêtre domicilié à Monpazier », propose au préfet un « Plan du rétablissement de l’hospice de la ville de Monpazier et de la manufacture y jointe ».

« Quand la tourmente révolutionnaire fut passée – relate le chanoine Pergot – les bonnes sœurs reprirent possession de l’hôpital ; c’était sous le Consulat. La maison se trouvait dans le plus triste état ; les ressources étaient taries, les bâtiments mutilés. L’abbé de Laborie, échappé, comme par miracle, au couteau de la guillotine, brisé par les épreuves de l’exil et arrivé à une extrême vieillesse, n’avait plus l’énergie nécessaire pour reprendre son œuvre. »

« Plan du rétablissement de l’hospice de la ville de Monpazier et de la manufacture y jointe », 1801, Archives départementales de la Dordogne, 1 X 32.

« Plan du rétablissement de l’hospice de la ville de Monpazier et de la manufacture y jointe », 1801, Archives départementales de la Dordogne, 1 X 32.

Le 22 juin 1802, un rapport fait l’éloge de « la générosité du citoyen Laborie […] qui forcé par des persécutions révolutionnaires à abandonner un hospice qu’il avait fondé et entretenu jusqu’alors, s’est empressé de consacrer à sa restauration les faibles restes de sa fortune, et dont la seule ambition, s’il pouvait obtenir quelques secours du gouvernement, serait de faire de cet hospice une maison de secours, de travail et même d’industrie ».

Le 24 mars 1803, le citoyen Laplene-Rouquet, membre du conseil d’arrondissement de Bergerac, se rend à Monpazier « après les désastres de la révolution ». Il rapporte ; « Nous avons vu avec joie le rétablissement de cette maison, qui ne présente plus ce triste abandon et cette solitude où le préfet l’a trouvé à son passage […] L’hospice néanmoins, atteint des désastres de la révolution, a besoin de beaucoup de choses […] La pharmacie, conduite par la sagesse et l’intelligence d’une des hospitalières, et sauvée comme par miracle des fureurs de la révolution, s’est conservée en assez bon état ».

Le 26 floréal an 13 (16 mai 1805), celui qui signe maintenant « Laborie Duporteil, ancien vicaire-général », adresse un courrier à « Son Altesse Impériale, Madame l’Auguste Mère de l’Empereur des Français et Roi d’Italie », dans lequel on peut lire cet extrait ; « Les hospitalières de l’hospice de Montpazier [sic] me chargent, Madame, de mettre leurs hommages à vos pieds. Elles ont eu part au calice amer de la révolution. Plusieurs fois chassées avec violence de leurs maisons, et aujourd’hui remises à leur place par un préfet zélé pour le bien de l’humanité, elles oublient leurs maux, en apprenant les consolations inappréciables que vous daignez verser sur leurs pénibles fonctions ».

Dans la notice biographique consacrée à Laborie Barthélémy, Robert Bouet évoque les derniers événements de la vie du fondateur oublié de la maison de charité de Monpazier : « En 1802, il adhère au Concordat. Le 27 floréal X (17 mai 1802), le sous-préfet de Bergerac, Prunis, le recommande au Préfet pour la cure de Monpazier. Mais c’est Lintillac qui y est nommé […] En 1807, l’évêque l’interdit à Monpazier. Il se retire alors de nouveau à St-Cyprien, mais réclame la levée de cet interdit et demande à l’évêque à être nommé aumônier de l’hôpital de Monpazier. Mais il va bientôt mourir dans sa maison de St-Cyprien, le 24 novembre 1808, à 78 ans, avec le titre “d’ancien archiprêtre de Monpazier”. Avant sa mort, dans son testament, il avait fait un legs à l’hôpital de Monpazier ».

Les dernières traces de l’hospice, conservées aux Archives départementales de la Dordogne remontent à l’année 1913. Le 25 avril, l’inspecteur général adjoint Dupont établit un rapport d’inspection qui se termine ainsi : « L’hôpital se trouve dans de vieux locaux, bien mal agencés, et le matériel est ancien, sauf, dans la salle des hommes où sont six lits de fer, à sommiers, à lames métalliques. Il manque toutefois, de bonnes et chaudes couvertures. Les water-closets situés au-dehors, sont à refaire, entièrement. Il n’y a ni antichambre, ni réfectoire »…

Jusqu’en 2010, il existait à Monpazier la maison de repos et de convalescence Sainte-Marthe. Les religieuses de Sainte-Marthe ont définitivement quitté les lieux cette année-là. Aujourd’hui, c’est l’association Les Papillons Blancs de Bergerac qui en est propriétaire et accueille dans ses murs des personnes handicapées âgées. Qui se souvenait encore de Barthélémy de la Borie du Pourteil, fondateur de l’hospice et de l’hôpital de Monpazier ?

Le 6 avril 1780, Jean Mousson de Lestang concluait par ces mots le procès-verbal de fondation de l’hospice de la ville royale de Monpazier ; « Puisse l’acte authentique que nous en avons dressé, être un monument qui éternise le souvenir des obligations qu’a la ville de Monpazier au sieur abbé de Laborie, et la reconnaissance qu’elle lui doit ! ».

Puisse Secrets de Pays contribuer également à raviver la mémoire de Barthélémy de La Borie du Pourteil (1731-1808), fondateur de l’hospice, de l’hôpital et de la filature royale de Monpazier.

Jacky Tronel


Sources :

  • Archives départementales de la Dordogne, 1 X 32, Q 313 et Archives diocésaines, Périgueux.
  • Robert Bouet, Le Clergé du Périgord au temps de la Révolution Française, dictionnaire biographique, Éditions Deltaconcept, Piégut-Pluviers, 1993.
  • Abbé Hugues du Temps, Le Clergé de France, ou Tableau historique et chronologique des Archevêques, Evêques, Abbés, Abbesses & Chefs des Chapitres principaux du Royaume, depuis la fondation des Eglises jusqu’à nos jours, Tome second, Paris, 1774.
  • Le Chroniqueur du Périgord et du Limousin, sous la direction de M. Armand de Siorac, Première année, Périgueux, 1853.

Cet article a été publié dans le numéro 3 du magazine « Secrets de Pays ».

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