Monpazier, la « machine à habiter » idéale

« Le Far West » arrive à Monpazier, © Michael Delahaye

Bertrand de Panissals était un urbaniste du Moyen Âge. Il exerçait si bien son savoir-faire que la ville qu’il construisit pour le roi d’Angleterre Edward 1er demeure encore aujourd’hui et avec autant d’éclat qu’au XIIIe siècle. Je le sais car j’y habite…

Fondée en 1284, Monpazier est considérée comme « la plus parfaite » des bastides d’Aquitaine. Le Corbusier, architecte qui a notamment défini la maison comme « une machine à vivre », a inclus Monpazier dans sa liste des villes idéales. Un plan de Monpazier révèle le tracé d’une grille rectangulaire simple, mesurant approxima­tivement 400 mètres de long par 220 mètres de large. Les principaux axes nord-sud sont traversés par des routes perpendiculaires plus étroites, tandis qu’un réseau de ruelles, connu sous le nom de « carreyrous », offre aux piétons des raccourcis entre les deux. Au centre se trouve la place principale, la Place des Cornières, entourée d’arcades qui offrent à la fois les bienfaits de l’ombre lorsque le soleil se fait trop présent mais également une protection contre la pluie.

Cela semble simple, presque évident. Cependant, c’est seulement en y regardant de plus près, lorsque la ville est en action, que l’on peut apprécier la finesse avec laquelle cet ensemble architectural fonctionne.

Parlons d’abord de la place du village… Monpazier, comme beaucoup de bastides, a été conçu comme un lieu d’échanges où les gens de passage comme les résidents pouvaient se réunir pour acheter et vendre. Les locaux avaient cependant un avantage : alors que les étrangers étaient taxés sur leurs transactions, les habitants eux en étaient exonérés. La place, avec ses trois mesures à grains, utilisées pour le paiement de l’impôt, était donc le cœur battant de la bastide. Les jours de marché – chaque jeudi depuis plus de sept cents ans – tous les chemins menaient à la Place des Cornières.

C’est là que le génie de Bertrand de Panissals se révèle. Le grand historien de l’architecture du XIXe siècle, Eugène Viollet-le-Duc, a été tellement impressionné par l’ingénieux dessin de la place de Monpazier qu’il lui a consacré une illustration avec une mention spéciale dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle.

Les axes principaux de la bastide devant permettre aux commerçants de se rendre au marché avec chariots, marchandises et bétail, il semblait logique qu’ils y accèdent par des rues à angles droits débouchant sur les quatre côtés de la place, en leur milieu. Toutefois, ce système présentait l’inconvénient d’engorger les rues principales convergeant vers le marché, et ainsi d’en perturber l’accès, alors même que ce lieu central devait demeurer facilement accessible pour que l’activité commerciale puisse s’y exercer sans entraves… Tel était le défi !

Les arcades de la place des Cornières avec des flèches matérialisant les flux de circulation au centre de la bastide, © Michael Delahaye

Bertrand de Panissals trouva la solution : elle passait par les diagonales. Les axes principaux étant alignés sur les cornières entourant la place [voir photo ci-dessus], ceux qui ne se rendaient pas au marché pouvaient circuler sans entrave sous les voûtes [lignes oranges], en évitant la zone centrale. Quant aux jours de marché, lorsque la foule se pressait vers la place, l’entrée se faisait alors en diagonale, à partir des coins [ligne bleue]. De cette façon, le flux s’écoulait vers la zone centrale comme l’aurait fait une rivière… C’est, dirait-on aujourd’hui, la différence entre un rond-point et un carrefour.

Avant de quitter la place, notez comment la jonction entre les deux bâtiments d’angle forme une grande arche triangulaire. C’est un motif qui se répète dans le coin diagonalement opposé. Cela permettait aux cavaliers armés, pensait-on, d’entrer et de sortir sans devoir descendre de cheval ; particulièrement utile lors de troubles civils.

Mais où est l’église, vous demandez-vous ? Pourquoi l’édifice le plus important ne se trouve-t-il pas en l’endroit le plus central de la bastide ? Un des traits distinctifs de Monpazier – que l’on retrouve dans les bastides voisines de Monflanquin, Villeréal et Beaumont-du-Périgord – c’est le fait que l’église soit située en dehors de la place. Est-ce là l’illustration de la finalité que se devait de remplir la bastide : le commerce d’abord, le culte ensuite ? Ou bien était-ce une façon délicate d’épargner au Bon Dieu la vue et le bruit des « marchands du temple » ?

Il n’y a finalement qu’un seul écueil pouvant être formulé à l’endroit du plan conçu par Bertrand de Panissals : parfois cela fonctionne trop bien… Imaginons que vous souhaitiez éviter quelqu’un, il y a de grandes chances pour que, dans les jours prochains, voire même dans l’heure, il émerge d’un carreyrou. À Monpazier, il n’y a personne que vous puissiez éviter !

Texte en anglais et photos © Michael Delahaye
www.michaeldelahaye.com/monpazier


Crédit Photos :

  • « Le Far West » arrive à Monpazier
  • La halle dotée d’une batterie de contenants à bascule permettant de mesurer les grains et autres denrées
  • Un moment de tranquillité, la place des Cornières
  • La foire aux Fleurs sur la place des Cornières
  • L’église Saint-Dominique, encadrée par une arche de la place des Cornières
  • Vue de Monpazier, côté ouest
  • Le carreyrou du Pontet

Cet article a été publié dans le numéro 10 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer sur la boutique du site…

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