Monpazier : défenses et fortifications

Bastide de Monpazier, Porte du Foirail Sud

On comprend aisément l’utilité stratégique de Monpazier, située à l’intersection des routes reliant le Bergeracois au Quercy et le Périgord à l’Agenais. Cette particularité conduisit Edouard 1er, roi d’Angleterre, duc d’Aquitaine, à édifier ici l’une des plus belles bastides du Sud-Ouest.

S’implanter sur les bords du Dropt, entre Villefranche-du-Périgord et Villeréal, était un projet depuis longtemps envisagé par les officiers du roi Edouard 1er. D’après l’acte du 7 janvier 1284, Pierre de Gontaut, baron de Biron, donnait tout le terrain jugé nécessaire pour construire la bastide de Monpazier (agglomération, murailles et fossés, jardins et terres arables). Le sénéchal du roi-duc en Guyenne, Jean de Grailly, fut chargé de la fondation qu’il réalisa avec succès.

Les bastides étaient appelées au Moyen Âge « villes murées » ou « villes closes », preuve qu’elles étaient fortifiées. Primitivement, la bastide de Monpazier devait être dotée d’un système d’avant-postes constitué par des tours de guet situées en des lieux d’observation privilégiés. On peut d’ores et déjà en localiser un à l’emplacement du « Moulin à Vent », d’où l’on pouvait surveiller les voies d’accès de Cadouin, de Beaumont et du « Grand Chemin » de Belvès. Cette tour fut remplacée en 1626 par le moulin actuel, lequel pouvait continuer un rôle d’observation tout en servant à moudre le froment. D’autres postes de guet étaient disposés dans les directions de Villeréal (au lieu-dit « Bézénou »), de Cahors et près du carrefour des routes de Soulaures et Biron (au-delà du « Béroy »). Les signaux d’alarme pouvaient être transmis par des moyens optiques ou acoustiques : cornes, cloches, caisses de résonnance, etc.

Porte Notre-Dame de la bastide de Monpazier

En Périgord, la ville de Monpazier est un chef d’œuvre de la planification médiévale. Nous savons qu’il existait six grandes portes et deux moyennes ; aujourd’hui la bastide du Mont-Paserii n’en conserve plus que trois grandes sur six. Ces portes d’entrée s’ouvraient à la base de tours rectangulaires saillant légèrement sur le mur d’enceinte. La baie destinée au passage des gens et des véhicules est couverte d’une voûte en berceau placée sur des arcs saillants contre lesquels venaient buter les lourds vantaux des portes ainsi que la herse. Dans la voûte, un petit assommoir commandait l’entrée. À l’intérieur de la muraille, un escalier de pierre permettait d’accéder au corps de garde, au chemin de ronde et aux appareils servants à manœuvre la herse. L’entrée de ces portes était probablement protégée, extérieurement, par une bretèche munie d’archères ou d’arbalétrières sur trois côtés. Le dessous de la bretèche était ajouré et faisait office de mâchicoulis. La hauteur des tours devait obligatoirement dépasser la muraille clôturant la ville d’au moins un étage.

Complémentairement aux six grandes portes il y en avait deux moyennes munies d’un pont-levis enjambant les fossés : celle de « l’Ormeau du Pont » à l’Est et celle de « Campan » à l’Ouest. Ces deux portes pouvaient être protégées, côté pont-levis, par une bretèche surplombant la herse, ou bien, par deux échauguettes flanquant la tour de part et d’autre de l’entrée. À « l’Ormeau du Pont », l’accès était préservé par une barbacane située de l’autre côté du fossé, à gauche, dans l’angle qui domine la route du petit lavoir. Du côté Ouest, il subsiste une poterne appelée « Porte du Paradis ». Elle pouvait être dotée d’un simple pont-levis à un bras et d’une petite bretèche. Cette poterne facilitait les sorties de la garnison lors des opérations de diversion, ou pour chercher du secours, ou bien encore, en cas de grand danger, comme moyen d’évasion. Il faut préciser que les six grandes portes possédaient un pont simple à l’origine qui pouvait être retiré rapidement en cas d’attaque.

Vers l’angle Nord-Est, au niveau de la « Font-Grande » et au-delà de la route de Cahors, on décèle une avancée défensive en chicane. Même situation du côté opposé c’est-à-dire face à l’angle Nord-Ouest de l’enceinte. Des chemins bordés de murs longeaient parallèlement l’enceinte de la ville à une distance d’environ cent dix mètres. Ils servaient à canaliser les arrivants vers les portes fortifiées et de prime abord vers une redoutable barbacane protégeant tout le haut de la ville. Plus loin, une sorte de verrou fortifié implanté sur le promontoire gauche du carrefour de « La Douelle » servait à contrôler la route de Beaumont et la route de Cadouin.

Cliquez pour agrandir

La partie Nord (en patois le Cat dé la Bilo), la plus vulnérable par sa configuration topographique, était pourvue de nombreux obstacles et ouvrages avancés. Ils consistaient en escarpes, contrescarpes, courtines, demi-lunes en barbacane et d’un moulin fortifié entouré d’eau. Fortement équipé pour la défense, le « Moulin de la Croix » devait servir de citadelle. En réalité il commandait l’accès Nord de la ville et contrôlait efficacement tout ce qui arrivait de Beaumont, Cadouin et Belvès.

Les champs et les jardins, renforcés par murs et fascines, formaient aux abords du village des escarpements difficiles à franchir. Les chemins à dénivellation brisaient les assauts ennemis ; ce procédé astucieux obligeait les assaillants à longer les remparts à une certaine distance sans pouvoir les aborder de front. Ils servaient à retarder ou gêner les assauts éventuels et forçaient les cavaliers, la piétaille, ainsi que les engins de siège à se diriger avec difficulté vers les points à investir. Généralement tous ces obstacles étaient destinés à casser les tentatives de déploiement adverses.

Monpazier fut pourvu dès le départ d’une couronne fortifiée. Cette ceinture bâtie en gros moellons reposait sur un socle calcaire formant l’ossature du plateau. Sur tout son périmètre, pour pallier les méfaits de la sape et du bélier, la base était consolidée dans la masse par des chaînages en bois. L’extérieur comportait, vers le fossé, sur une hauteur de deux mètres à partir du sol, une sorte de glacis solidaire de la muraille dont la pente était calculée pour gêner l’attaque et dévier les coups de bélier. Vers l’intérieur, des apports très importants de terre étaient entassés contre le rempart sur une hauteur de cinq à six mètres renforçant ainsi la solidité du manteau défensif.

La muraille, haute d’une dizaine de mètres, épaisse de deux mètres à la base (y compris l’épaisseur du glacis) et d’environ un mètre au sommet, était dotée d’un chemin de ronde bordé d’un parapet extérieur crénelé ou non. On peut supposer qu’au début les habitants de Monpazier utilisaient des hourds : autrement dit des galeries volantes, en bois, qu’on déplaçait au besoin et qui étaient placées en encorbellement au sommet des murs d’enceinte afin d’en battre le pied lors d’un assaut.

Bien qu’on ne puisse l’affirmer, les tours d’angle devaient être carrées. Tout comme à Beaumont et bien d’autres lieux fortifiés, certaines de ces tours pouvaient être comblées intérieurement jusque à mi-hauteur, ingénieux procédé qui les renforçait efficacement. Au-dessus, elles étaient vides avec quelques réduits, çà et là, pour loger les défenseurs. Parfois, elles comportaient une échancrure angulaire vers l’intérieur de la ville ce qui permettait aux assiégés d’attaquer un ennemi ayant investi ces tours sans qu’il puisse être à couvert.

Les quatre tours intermédiaires de flanquement devaient être rondes et réparties par moitié de part et d’autre de « l’Ormeau du Pont » à l’Est et de la « Porte de Campan » à l’Ouest. Le plan cadastral de 1845 en indiquait encore deux pour l’époque, une au levant et l’autre au couchant. Actuellement, il ne reste plus que celle qui est située à l’Est, à une centaine de mètres de l’angle Est-Sud. La tour devait être dotée de meurtrières et de créneaux pour battre en cas d’assaut le décrochement de l’angle Est-Sud.

À l’intérieur même, la ville comprenait également des édifices religieux, administratifs et même privés, plus ou moins fortifiés. Quelques-uns, particulièrement importants, pouvaient être munis de meurtrières, de bretèches, de petites échauguettes et peut être de mâchicoulis ou de créneaux pour les plus exposés. Parmi les bâtiments privés fortifiés nous citerons ici pour référence celui de la parcelle n° 658 de l’ancien cadastre : cette maison possède dans un mur épais d’un mètre, deux meurtrières placées de part et d’autre d’une porte donnant sur la ruelle (carreyrou) et on remarque également de chaque côté du mur vers l’intérieur, deux profondes encoches destinées à placer un madrier pour bloquer la porte.

Cliquez pour agrandir

En ce qui concerne les bâtiments administratifs et religieux, l’ancienne « Grange aux Dîmes » ou « Maison du Chapitre », située en face de l’ancien cimetière, ou si l’on préfère de l’actuelle place de l’église, conserve des vestiges nettement défensifs : le deuxième étage comporte sous une petite fenêtre l’encorbellement d’une ancienne bretèche de petite dimension surplombant la porte d’entrée. Cette bretèche est aujourd’hui transformée en balcon. Nous devons préciser que la petite fenêtre servait d’accès à cet édicule défensif, lequel était muni, si l’on se réfère à d’anciennes gravures, d’une archère sur chaque côté et de deux mâchicoulis entre les corbeaux. On remarque aussi sur l’angle du toit, à gauche, une sorte de petite échauguette triangulaire munie de deux archères et d’une fenêtre minuscule, attenant à la mitre de la cheminée. On peut supposer que cette petite tour polygonale servait à faire le guet et compléter la défense de l’immeuble.

L’église elle-même, sans atteindre le degré de fortification de celle de Beaumont du Périgord, s’incorpore par son chevet qui forme bastion dans le système de défense de la bastide. La voûte du transept est surmontée d’une grande chambre rectangulaire dont la présence ne peut s’expliquer que par le désir de la fortifier (à une époque très peu postérieure à la construction) avant le prolongement du chœur par le chevet polygonal. Le clocher, extérieurement sans caractère, semble avoir fait partie d’un système défensif inachevé, à cause probablement du trop grand étalement des travaux d’édification de l’église.

Complémentairement à ce bref inventaire des fortifications de Monpazier, nous ajouterons le réseau secret des souterrains de la bastide. Beaucoup nous sont inconnus, certains sont supposés exister, quelques autres sont répertoriés avec précision. Creusés à six mètres de profondeur, les souterrains passaient sans difficulté sous les remparts et les fossés de la bastide. Ils permettaient, soit de fuir rapidement et sans être vu, soit d’apporter un soutien discret aux postes les plus menacés.

Au début du XIVe siècle, Monpazier devait avoir fière allure avec sa ceinture de remparts bordés de fossés profonds, ses six portes d’entrées fortifiées, ses huit tours de flanquement et ses deux entrées fortifiées. Le tableau panoramique devait être franchement martial dès lors qu’on le parachevait par l’ensemble des ouvrages avancés protégeant la ville.

Nous savons qu’en 1770 la ville gardait, à peu de choses près, son aspect d’origine ; quant aux fortifications, elles étaient dans un tel état d’abandon que le 1er décembre de la même année, il fut fait interdiction aux habitants d’en emporter les pierres. Dès 1775, une grande partie des pierres de ceinture servit à la construction de l’hôpital et de la Maison de Charité. Rien d’étonnant à ce qu’à la fin du XVIIIe siècle les fortifications soient en piteux état. En cinq siècles la bastide avait subi bien des sièges, des attaques, des revers. Prise et reprise de nombreuses fois, parfois par traîtrise, elle avait même, en 1580, lors des guerres de religion, frisé le démantèlement.

Élysée CÉROU

Extrait du Cahier N°1 du Groupe Archéologique de Monpazier de 1985
(Publié avec l’autorisation de Jean-Marie Baras, Président du GAM)
Photos J. Tronel, photo aérienne © Jean-Jacques Saubi


Cet article a été publié dans le numéro 10 du magazine « Secrets de Pays ».

Vous pouvez vous le procurer sur la boutique du site…

1 Commentaire

  • Piesti dit :

    J’ai toujours appris que les fortifications avaient été montées APRÈS la fondation et je n’ai jamais entendu ces appellations de « ville murée » ou de « ville close » du moins à la naissance des bastides.
    Sont-ce de nouvelles informations récemment découvertes ?
    Merci pour cet article.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *