André Cheynier, un éminent préhistorien détenu au camp de Mauzac

André Cheynier, portrait
« Je soussigné, Docteur André Cheynier de Terrasson, détenu au camp militaire de Mauzac, ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance la remise de la peine de 10 ans de prison à laquelle j’ai été condamnée le 20 septembre 1944 par la Cour martiale de Périgueux pour intelligence avec l’ennemi ».
Cette requête du Docteur Cheynier adressée au général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République, provoque la révision de son procès suivie de sa libération du centre pénitentaire de Mauzac, à la fin de l’année 1945. Mais qui était Pierre André Cheynier, docteur à Terrasson, prisonnier à Mauzac, nommé en 1955 président de la Société préhistorique française dans le fauteuil de l’abbé Breuil ?

Biographie sommaire

Pierre André Cheynier est né le 18 juillet 1893 à Donzenac (Corrèze). Il est décédé le 23 novembre 1968 à Montgeron (Essonne).

Après une formation secondaire au lycée de Tulle, il entreprend des études de médecine à Bordeaux. Mobilisé en 1914, il est classé dans le service auxiliaire. En 1917, il est volontaire pour partir sur le front de la Marne. Blessé le 9 juillet 1918, il se voit attribuer la Médaille militaire et la Croix de guerre avec palme. Reçu docteur en médecine en 1919, il s’installe d’abord à Cublac (Corrèze) puis à Terrasson où il exerce jusqu’à son arrestation, le 9 septembre 1944.

Mobilisé en septembre 1939, le Docteur Cheynier est affecté à Bergerac en qualité de médecin capitaine radiologue. À sa demande, il est maintenu dans la réserve hors cadre et rejoint Terrasson où il continue à pratiquer la médecine. Il exerce également les fonctions de président cantonal de la Croix-Rouge. Catholique fervent, il est père de neuf enfants, dont quatre seront, comme lui, médecins. Pétainiste convaincu, il rejoint la Légion française des combattants dès 1940 mais se défend d’avoir jamais appartenu au SOL (Service d’ordre légionnaire) ou à la Milice.

Condamné par la cour martiale de Périgueux, il est ensuite écroué à la prison militaire de Mauzac et y reste jusqu’à sa libération, le 22 décembre 1945. Il laisse alors le cabinet à son fils aîné et va s’installer à Meudon (Hauts-de-Seine) où il exerce jusqu’à sa retraite, en 1960.

Illustre préhistorien

La passion du Docteur André Cheynier pour la préhistoire remonte à 1924 et s’explique par les liens d’amitié qu’il noue avec d’éminents préhistoriens : les abbés Jean Bouyssonie et Henri Breuil. Il explore plusieurs sites en Corrèze et entreprend des fouilles dans d’importants gisements du Terrassonnais, mais aussi en région parisienne ainsi qu’en Espagne. À partir de 1930, le docteur Cheynier a beaucoup publié. Le livre qui l’a rendu populaire auprès du grand public est un petit ouvrage de vulgarisation édité en 1965 aux Éditions du Scorpion : « Comment vivait l’Homme des cavernes à l’âge du Renne ».

Le 21 septembre 1940, aux côtés des abbés Breuil et Bouyssonie, du conservateur du Musée de préhistoire des Eyzies, Denis Peyrony, le docteur André Cheynier visitait la grotte de Lascaux, découverte quelques jours plus tôt par quatre gamins de Montignac et leur chien…

À Mauzac, il était connu comme préhistorien, ainsi qu’en témoigne l’iconographie illustrant cet article. Sur l’une des aquarelles, on aperçoit le docteur agenouillé, loupe à la main. Cheynier ignore le double danger qui le menace : Cro-Magnon armé d’une lance et un dragon se pourléchant les babines à l’idée du repas qui s’offre à lui (possible Coulobre… nous ne sommes pas si loin de Lalinde ! cf Secrets de Pays n° 2 relatant la légende du Coulobre vaincu par Saint-Front). Une autre aquarelle illustre les deux activités d’André Cheynier : le préhistorien serre un biface d’une main tandis que de l’autre, le docteur tient un clystère estampillé de la Croix-Rouge. Il tourne le dos à un mirador, sorte de cabane perchée comme la prison militaire de Mauzac en comptait encore en 1945. La dédicace ne manque pas d’humour : « M. le Dr Cheynier, l’éminent préhistorien vient de se fixer « à perpétuité » à la station préhistorique de Mauzac dont le caractère Moustérien le passionne. Il y a découvert les vestiges d’une cité lacustre (montée sur pilotis) et a pu pénétrer par une des vingt-sept ouvertures rectangulaires dans une salle immense, où nos ancêtres se livraient aux agapes et célébraient le culte. D’importantes fresques représentant des animaux ornent les parois. Les squelettes découverts démontrent, par l’absence de canine, que les premiers hommes connus de Mauzac ne mangeaient que des carottes [allusion au régime alimentaire de la prison, pauvre en viande] – (extrait du Canard Périgourdin Enchaîné) 1945. »

Les années sombres…

Le 20 septembre 1944, la Cour martiale de Périgueux prononce à l’encontre de Pierre André Cheynier une condamnation à dix ans de travaux forcés pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’État ». Le journal Les Voies Nouvelles du 21 septembre 1944 a prétendu qu’il fréquentait des collaborateurs, avait dénoncé des patriotes, et appartenait à la Milice. Qu’en est-il exactement ?

Je remercie Thomas Laval, biographe du Dr Cheynier (biographie à paraître) de m’avoir communiqué les aquarelles du camp de Mauzac, ainsi que les ayants droit pour leur autorisation de publication.

Je remercie Thomas Laval, biographe du Dr Cheynier (biographie à paraître) de m’avoir communiqué les aquarelles du camp de Mauzac, ainsi que les ayants droit pour leur autorisation de publication.

Dans le courrier qu’il adresse au général de Gaulle, André Cheynier reconnaît avoir déposé deux déclarations à la gendarmerie de Terrasson, en 1941. La première concernait un restaurateur chez lequel avait été chantée l’Internationale ; la seconde, la dénonciation d’une écoute de la radio anglaise. Cheynier jure n’avoir appartenu à aucun parti de la collaboration et avoir été seulement membre du PDP (Parti démocrate populaire), « bien connu pour son opposition irréductible au nazisme », écrit-il.

Il évoque ensuite les nombreux services rendus à la Résistance : certificats délivrés « afin d’éviter à de jeunes Français de partir en Allemagne ou d’être requis pour le S.T.O. ; soins prodigués aux blessés et malades du maquis « dans des conditions extrêmement dangereuses », ce qui lui aurait valu une arrestation suivie d’un interrogatoire par les Allemands et d’une perquisition ; don de 150 litres d’essence au profit du maquis…

Puis Cheynier revient sur les conditions de son arrestation, de son transfert à la caserne du 35e R.I. à Périgueux, de son procès avec un avocat commis d’office, sans réelle possibilité de prouver son innocence. Il termine enfin en rappelant son passé militaire.

Le 25 mai 1945, l’abbé Jean Sigala, co-fondateur du groupe Combat en Dordogne, déporté politique en Allemagne, rédige une attestation afin de laver André Cheynier de tout soupçon de collaboration et d’obtenir sa libération : « Le docteur Cheynier est un homme loyal, généreux pour les pauvres de toute la région, d’un dévouement inlassable de jour et de nuit […] Je puis affirmer que le Docteur Cheynier a toujours eu des sentiments français et anti-allemands. Et sa conduite a toujours été conforme à ses principes. Sans doute, M. Cheynier a été de la Légion, comme beaucoup de patriotes et d’anciens combattants […] Il a suivi les consignes de Pétain, comme tant d’autres honnêtes gens […] Jamais le Dr Cheynier n’a été milicien, jamais il n’a dénoncé un Français aux Allemands. S’il y a eu erreur politique peut-être, erreur qui s’explique par le milieu pénétré d’une propagande mensongère à laquelle il était très difficile d’échapper, il n’y a eu dans la conduite de M. Cheynier aucun acte criminel et anti-français. »

Cette page sombre de la vie de l’éminent préhistorien était à ce jour inédite…

Jacky Tronel

Cet article a été publié dans le numéro 3 du magazine « Secrets de Pays ».

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