« Avant que la guerre civile en Espagne n’éclate, je jouissais de la vie comme, en général, tout le monde le fait à cet âge-là : je n’avais pas encore vingt ans. Mon caractère joyeux me permettait de regarder l’avenir avec un optimisme fabuleux. Je projetais d’installer, après mon service militaire, un salon de coiffure à Barcelone. »
Peu après le 19 juillet 1936, au début de la Révolution Espagnole, François Llambrich Gasull, surnommé Paco, 20 ans à peine, décide de s’engager activement dans la lutte contre le fascisme. Il est bientôt nommé premier secrétaire d’un bureau de la CNT (Confédération nationale du travail).
Son activité syndicale le conduit à Pons, en Catalogne. C’est là qu’il rencontre, lors d’un bal organisé pour des journaliers employés à la cueillette des olives, celle qui deviendra sa fiancée : Maria Caballé.
Sur le front d’Aragon
Les deux amoureux se promettent le mariage pour l’année suivante, avec la bénédiction de leurs parents respectifs. La guerre civile en décidera autrement. Au début du mois de juin 1937, François Llambrich est dirigé vers le front. Il participe à la terrible bataille de Huesca. Sa compagnie subit de lourdes pertes. C’est la retraite vers Valls, puis Vilaseca.
« Profitant d’un jour de repos et puisque je n’étais pas tellement loin de mon village, je décidai d’aller voir ma famille et Maria, malgré mes vêtements pleins de lentes et de poux et mon corps, surtout les fesses, plein de croûtes de gale. Vu mon état, ce n’était guère encourageant de me présenter ainsi devant ma famille et Maria. Mais j’avais besoin d’un bon nettoyage et surtout de me retrouver parmi eux. Le moral déjà n’était pas comme au premier jour. Trop de batailles perdues sont démoralisantes », écrit-il.
Réchauffé par l’affection des siens et par l’amour de sa fiancée, Paco rejoint le front d’Aragon. Peu après, il doit être évacué en raison de graves problèmes de santé dûs à une forte poussée d’albumine : « Mon visage, mon ventre, mes pieds et mes mains complètement gonflés, je fus admis à l’hôpital de Barcelone, où quelques jours plus tard, je recevais la visite de mon père accompagné de ma sœur et de Maria qui accusaient le coup en me voyant dans un tel état. »
Exilé en France, Paco perd tout contact avec les siens. Il ne reverra pas son père, décédé en 1942, ni Maria, sa fiancé, avant longtemps…
Républicain espagnol en exil
Au début de l’année 1939, c’est la Retirada, la retraite et l’exil. François Llambrich livre ses impressions tandis qu’il franchit la frontière à Portbou, au nord de la Catalogne : « Envahi par un sentiment de tristesse, dû sans doute à la fatigue et à la nostalgie, je ne pus m’empêcher de laisser couler quelques larmes en regardant vers l’arrière où restaient ma famille et ma Maria, tout ce qui était mon illusion, ma vie… mais la vie est ainsi faite et l’homme se forge dans l’adversité ».
Le 9 février 1939, François se retrouve face à la mer, sur la plage de Saint-Cyprien transformée en camp de fortune. Il connaît le froid, la faim, les poux et la dysenterie.
Le 1er mai 1939, tous les hommes valides sont regroupés dans des CTE (Compagnies de travailleurs étrangers). François Llambrich est dirigé vers Briançonnet (Alpes-Maritimes). Il y reste jusqu’au 2 septembre, jour de la déclaration de guerre. Avec sa compagnie, il est ensuite conduit à Amiens puis à Grangis (Aisne).
Le 10 mai 1940, au tout début de l’offensive allemande, l’autorité militaire décide de leur repli vers le Sud-Ouest jusqu’à Mauzac, site de construction de l’annexe de la poudrerie de Bergerac (cf Secrets de Pays n° 1). François Llambrich fait alors partie de la 19e CTE, avant d’être affecté au 652e GTE (Groupement de travailleurs étrangers), stationné à Mauzac jusqu’au 15 septembre 1942.
Paco occupe l’emploi de coiffeur pour tout le Groupement. Il travaille également aux cuisines. Le marché noir lui permet d’améliorer l’ordinaire. Une fois par semaine, après l’appel du soir, François et deux de ses amis quittent le camp. Ils retrouvent une barque amarrée en bordure de rivière et traversent la Dordogne à la rame pour aller chercher du pain au village de Badefols-sur-Dordogne, situé juste en face.
Le dimanche, c’est relâche. Les travailleurs espagnols peuvent se mêler à la population locale. Ils sont appréciés pour leurs bonnes manières, leur élégance… et leurs qualités de danseurs.
Le 17 janvier 1943, François Llambrich est convoqué à Chancelade, près de Périgueux. Il craint d’être requis au titre du STO (Service du travail obligatoire) et d’être transféré en Allemagne. Sa décision est prise, il rejoindra le maquis. Il prend le train à Bergerac pour Pamiers (Arriège), dans l’espoir de gagner Andorre puis de rejoindre l’Angleterre. Il trouve finalement une place de coiffeur à Foix, sous un faux nom : José Alambrico Gasol. Le répit sera de courte durée. Raflé par les Allemands, Paco est conduit à Bordeaux. Logé à la caserne Niel, il est affecté à la construction de la base sous-marine.
Quatre mois plus tard, il a l’opportunité de travailler au transport du ciment. Il en profite pour s’évader et rejoint la Dordogne, via Saint-Astier. Paco retrouve quelques-uns de ses anciens compagnons du 652e GTE qui ont pris le maquis et travaillent chez des propriétaires terriens sur la commune de Pressignac-Vicq. Il décide de s’enrôler à son tour dans le 32e bataillon, sous-secteur de Lalinde, Groupe Cerisier, de l’AS.
C’est à Pressignac que François fait la connaissance d’une jeune bergère de 17 ans, Reine Beney. Il s’éprend d’elle et tous deux se marient, le 20 septembre 1945.
Au début de son mariage, François travaille à la ferme de ses beaux-parents, puis comme maçon, tout en continuant à exercer son métier de coiffeur, le week-end. Le couple a trois enfants, dont l’un décède à l’âge de 3 mois. En 1987, après 42 ans de vie commune, Reine s’éteint à la suite d’une longue maladie.
En 1989, François rend visite à sa famille en Espagne et obtient des nouvelles de Maria, son ex-fiancée, qui a conservé des liens avec sa sœur. Maria est également veuve. François demande son adresse et lui écrit. De cet échange de courriers, de photos et de souvenirs naissent des retrouvailles.
Ce mariage, initialement prévu pour 1937 est finalement célébré le 14 septembre 1991, à Madrid.
Paco décède en 2002, après avoir connu quelques belles années de bonheur avec Maria, son amour de jeunesse.
Jacky Tronel
Merci beaucoup monsieur Tronel pour ce récit retraçant la vie de mon papa – un homme remarquable, comme il en faudrait plus sur terre.
Pensées émues pour lui et ma maman..
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Histoire romanesque d un homme de bien – ces belles histoires illuminent nos journees lorsque parfois il nous arrive de trouver l existence un peu morose –