« Marques Hollandaises » : nom donné aux vins de Monbazillac vendus aux Provinces Unies (Pays-Bas) à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, parce que commercialisés sous le nom de leur producteur ou de leur lieu d’origine.
La Hollande : une histoire liée à la viticulture
Dans un article intitulé « Le rôle des Hollandais dans l’histoire de la viticulture mondiale et leur influence sur le vin noble » (1), Alexander Van Beek précise le contexte historique de l’époque, la place occupée par la Hollande sur la scène internationale et sa contribution – trop méconnue – à l’essor de la viticulture :
Tout débute au XVIIe siècle que l’on peut qualifier de « Siècle des Hollandais ». Ces derniers deviennent à cette époque les maîtres de la navigation mondiale. L’essor de la puissance commerciale hollandaise va avoir d’importantes conséquences sur l’économie française et européenne. On assiste à une rupture totale avec les pratiques du Moyen Âge. À l’instar de leur suprématie sur les mers, les Hollandais vont régner à partir des côtes (atlantiques) sur le monde du vin, apportant transformations et modifications pour répondre à leurs besoins. En l’espace de quelques décennies, les Hollandais vont prendre la place des Anglais qui jusqu’alors détenaient la maîtrise quasi-totale du commerce des vins. La demande hollandaise n’est pas la même que celle des britanniques. Dans un premier temps, la quantité est privilégiée sur la qualité. La Hollande a besoin de vins pour l’exportation à destination de ses lointaines colonies, mais aussi pour la distillation. (1)
Selon Colbert, il semblerait que la flotte hollandaise représentait à l’époque les trois-quarts de la flotte européenne, bien loin devant celles des Anglais et des Français. Autre remarque, portant cette fois-ci sur l’évolution des goûts vers des vins de qualité, plus sucrés, plus doux :
L’ouverture vers d’autres civilisations, permise par les nombreux voyages de la flotte hollandaise, va engendrer une évolution du goût, qui elle-même participera à certains bouleversements de l’histoire de la viticulture. Le goût a connu plusieurs variations d’un peuple à un autre et d’une époque à une autre. C’est au cours des XVIe et XVIIe siècles que l’on constate les plus importants changements. La mode était jusque là dominée par une nourriture salée et relativement acide. Avec la découverte des épices et des fruits exotiques dans les nouvelles colonies dès 1492, les goûts évoluent vers des aliments plus sucrés, plus doux.
Une nouvelle mode va alors se développer, en Hollande, avec un réel engouement pour les vins blancs liquoreux. À partir de là, ce nouveau goût va se propager en Europe et dans les colonies. Il va donc falloir trouver de nouveaux lieux de production, parallèlement aux vignobles classiques. C’est donc pour répondre à cette demande, que les négociants hollandais vont être, sans le savoir, à l’origine de la naissance de la plupart des régions de production des grands vins blancs liquoreux que nous connaissons aujourd’hui. C’est le cas des grands vins de Sauternes et Barsac, mais aussi du Monbazillac dont l’histoire nous intéresse plus particulièrement. (1)
Ces précisions sur l’influence hollandaise grandissante – qui bouleversa en profondeur le commerce des vins – sont indispensables pour bien comprendre l’histoire des Marques Hollandaises.
Un peu d’histoire…
Reconnus pour leur qualité et exportés en quantité vers l’Angleterre dès le milieu du XIIIe siècle, les vins de Bergerac devaient, à partir du XVIe siècle conquérir les marchés d’Europe du Nord. Les Hollandais, en particulier, découvraient la douceur et la somptuosité des vins blancs produits dans le sud de la Vinée de Bergerac, dans les paroisses du terroir de Monbazillac (par la suite, les exportations évoluèrent vers les vins rouges). (2)
À partir de 1682, les persécutions religieuses obligèrent de nombreux huguenots à émigrer vers la Hollande. Ils se sont rendus à Meschers, sur l’estuaire de la Gironde, d’où les pilotes les ont transportés au Pertuis d’Antioche, entre les îles de Ré et d’Oléron. Là, des vaisseaux hollandais les ont embarqués pour Rotterdam. C’est ainsi que, le 24 avril 1686, un synode réuni à Rotterdam 202 pasteurs français parmi lesquels se trouvent des Périgourdins de la région de Bergerac. Ils y sont reçus avec un enthousiasme touchant par leurs confrères hollandais qui les emploient aussitôt à la prédication et au ministère, dans le cadre de l’église wallonne. Ils y resteront jusqu’à leurs morts. Tout naturellement les fidèles ont suivi leurs pasteurs. Presque tous de familles bourgeoises et aisées, ces protestants furent également bien accueillis par leurs coreligionnaires de Hollande. Après la révocation de l’Edit de Nantes en 1685, les persécutions religieuses amenèrent de nouveaux commerçants, industriels et artisans à émigrer vers la Hollande, l’Allemagne et la Suisse. C’est ainsi que la France perdit 300 000 sujets, et pas des moindres. (3)
Les propriétaires du vignoble de Bergerac ayant adhéré à la Réforme, émigrèrent eux aussi vers la Hollande, le vin de Bergerac leur servant en quelque sorte de passeport. En effet, plusieurs décennies de commerce avaient fourni aux Bergeracois les meilleures adresses. Bien accueillis par la bourgeoisie d’Amsterdam, une grande ville de négoce, ils utilisèrent leur exil pour raffermir les liens commerciaux entre le bergeracois et les provinces des Pays-Bas, à tel point que les vins de Monbazillac y seront rapidement exportés en quasi-totalité. (2)
Tous ces exilés gardèrent le contact avec leurs familles demeurées à Bergerac. Ils conservèrent aussi la nostalgie des vins liquoreux des vignobles de leur région d’origine et ils en devinrent les acheteurs fidèles. Ainsi s’explique la faveur dont jouirent en Hollande les vins de Bergerac. (3)
Une garantie d’origine avant l’heure
Les descendants des émigrés et leurs successeurs instaurèrent une véritable hiérarchie dans la qualité des vins doux et la notion de crus, ou de vins de propriétés, apparaît à travers les Marques Hollandaises. Ce désir d’identifier les différents crus au sein du terroir montre tout l’intérêt mérité et la noblesse accordée au vin de Monbazillac. Ainsi sont nés les crus, dits de « Marques Hollandaises ». Cette dénomination prestigieuse, garantie d’origine avant l’heure, reste encore bien vivante aujourd’hui.
Toutes situées sur la côte nord de Monbazillac, ces 32 Marques Hollandaises sont estampillées au fer rouge sur les fonds des barriques. Ce sceau personnel est une garantie d’authentification pour ces crus nobles de « Monbazillac ». La marque du propriétaire est souvent accompagnée du lieu-dit.
Les Hollandais, grands acheteurs de la région de Monbazillac (…), demandèrent en 1738 que chaque expédition fût ainsi aux chiffres des viticulteurs. Une collection de 106 marques à feu a été retrouvée à Sainte-Foy-la-Grande où un ouvrier, chargé de forger ces fers destampes, les essayait sur un panneau. On connait ainsi les marques de Bergerac et de seigneurs de Saussignac, Monbazillac, La Force, Montaigne. (3)
Le succès des Marques Hollandaises a largement contribué à la renommée de l’appellation d’origine contrôlée « Monbazillac ». Précisons que le vin blanc liquoreux de Monbazillac était alors appelé « vin musquat » car issus de cépage Muscadelle, ou bien « grand vin de Bergerac ». Les Hollandais l’appelaient également le « Madère du Périgord » .
La liste des Marques Hollandaises
Dans l’édition de 1903 de son livre de référence « Bergerac et ses Vins », Édouard Féret a dressé la liste des Marques Hollandaises, en faisant figurer en regard le nom du cru et du propriétaire de 1903. Dans l’édition de1994, Marc-Henry Lemay propose les correspondances actuelles, en précisant toutefois qu’il n’a pas été possible de dresser une liste exhaustive et sûre. (4)
Marques Hollandaises | ||||
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Marque Hollandaise | Nom du Cru en 1903 | Nom du propriétaire en 1903 | Nom actuel du cru | Propriétaire actuel |
À MONBAZILLAC | ||||
Grand Rauly | Ch. de Rauly | Mme Fournier | Ch. du Rauly | M. Borderie |
Rauly Marsalet | M. Alard | |||
Ch. Grand Marsalet | P. et J.P. Nadal | |||
Gendre Marsalet | Cru Marsalet | De Boek | Dne de Marsalet | René Monbouché |
Sorbier secrétaire 4 fois (Eyriniac) | Cru Haut Marsalet | Chassaigne | Ch. Haut Marsalet | GFA Héritiers Frechet |
André Tessier | Cru Haut Marsalet | |||
Sorbier secrétaire 2 fois | Dne de Theulet | Alard | Ch. Theulet | Pierre Alard |
Alard Marsalet (Alard) | Cru Marsalet | Raoux | Rauly Marsalet | Alard |
Jacques Pinet | Ch. de Theulet | André Poumeau | Ch. Haut Theulet | GFA Lacoste |
JLC répété 5 fois 1ère marque (*) | Cru Petit Saint-Laurent | Viger | exploité Dne de Marsalet | Robert Alexander |
JLC répété fois 2me marque (*) | Cru Petit Saint-Laurent | Viger | Ch. Haut Theulet | GFA Lacoste |
I.P. Planteau Fumat | Au Fumat | Ouvrard | ??? | ??? |
P.Q. 5 fois | Cru Pintouquat | Capitaine de Bordage | Ch. Pintoucat | Uniger GFA de Pintoucat |
P. Pauly Poulvère 3 fois | Cru La Fonrousse et Poulvère | Élie Poumeau | Ch. Poulvère | GFA des Vignobles Poulvère et Barse |
La Fonrousse, Sorbier secrétaire | Cru de La Fonrousse | G. Valeton | ??? | ??? |
Loche La Fonrousse | Dne de La Fonrousse | Henri Domenget | Ch. Haute Fonrousse | M. Serge Géraud |
Loche au Touron | Dne de Touron | Henri Domenget | Ch. Le Touron | SCI (famille Brown) |
Lentilhac (Loche) | Ch. de la Borderie | Élie Poumeau | Ch. La Borderie | SCI M. Vidal |
GLMICS-Sorbier (Lemoine) | Le Désert | Mme Lespinasse | ??? | ??? |
PP et l’image d’un Pin (#) | Tirecul | Coudre | Ch. Tirecul La Gravière | GFA Peynette-Tirecul |
Baradis | Ch. Baradis | F. de La Batut | Ch. Baradis | GFA du Baradis (Mme Labasse) |
Eyma-Thibaut | Cru de Thibaut | F. de La Batut | ??? | ??? |
Eyma-Thibaut | Cru de Thibaut | Dupuch Pouvereau | Ch. Le Thibaut | SCEA Le Thibaut |
G. Monbouché et Fils | ||||
W.A. de-Thibeau | Cru de Thibaut | Arnaud avocat | Ch. Le Thibaut ? | SCEA Le Thibaut ? |
Dalba-Peroudier | Ch. du Peroudier | Boyer Guillon | Ch. Peroudier | M. Loisy |
Ch. de Monbazillac | Ch. de Monbazillac | MM de Lapoyade | Ch. de Monbazillac | SCEA Ch. de Monbazillac |
Laumon-Monbazillac ou Rose-Boissière | Poulvère | Albéric de Boissière | Ch. Poulvère et La Barse | GFA de Vignobles de Poulvère et Barse (M. Borderie) |
La Catie | La Catie | Vedey | Ch. La Cattie | Guy Roussely |
Eyma Barse | Dne de la Brie | Philippe Eyma | Ch. de La Brie | LEPA de La Brie |
Dne de La Brie Basse | Paul Sanchez | |||
——— | Edgar Gouy | |||
À COLOMBIER | ||||
Planque Levardie | Ch. Planques | C. Gouzeau | Ch. de Planques | Jacques de Meslon |
Laveau | Ch. Laveau | André Poumeau | Ch. Lavaud | Jean-Louis Constant |
À POMPORT | ||||
Fage Maury | Ch. Le Fage | Henry Geraud | Ch. Le Fage | M. et Mme Gérardin |
Setty | Ch. du Septy | Capitaine Brunet | Ch. Septy | GFA du Septy |
Grand Pré | Dne de Hebras | Jules Maris | Jules Maris | Éric et Pascale de Bazin |
(*) J.L.C. : abréviation de Jean-Louis Constant.
(#) PP : ces deux lettres éaient l’abréviation de Pinet du Pinier.
La visite du Château de Monbazillac permet de contempler la vitrine des « Marques Hollandaises » qui témoigne du passé glorieux de la région.
Sources et notes :
- (1) « Le rôle des Hollandais dans l’histoire de la viticulture mondiale et leur influence sur le vin noble », Alexander Van Beek, Académie Internationale du Vin.
- (2) Les Vins de Bergerac, Découvrir le Périgord Pourpre, Michel Delpon, 2002, Éditions Féret.
- (3) Croquants du Périgord, Georges Rocal, Éditions Pierre Fanlac, Périgueux, 1970.
- (4) Bergerac et ses Vins, Marc-Henry Lemay, Éditions Féret, 1994, Bordeaux.
Crédit Photo : Château de Monbazillac, par Kraer (Travail personnel), via Wikimedia Commons.