Michel Jeury : entre futurs et terroirs

En 1977, FR3 diffuse un court-métrage de fiction titré « Opzone 24 » suivi d’un portrait de l’auteur se terminant sur un plan représentant une croix sur laquelle figure la mention « Michel Jeury – 1934-2015 ». Environ deux ans plus tard, il pose avec cette croix aux côtés de sa fille. À partir de juillet 2011, la santé de Michel Jeury se détériore. En novembre 2014, il prévient son ami Christian Grenier qu’il quittera ce monde le 3 janvier 2015. C’est précisément le jour où il a sombré dans le coma avant son départ définitif vers l’incertain.

Qui aurait pu soupçonner que la cité médiévale d’Issigeac, située à 18 km au sud de Bergerac, devienne un jour le lieu de pèlerinage de la science-fiction ?

Il existe de nombreuses passerelles insoupçonnées entre futurs et terroirs. Ainsi, le tout premier auteur français ayant écrit un texte d’anticipation n’est autre que Savinien Cyrano de Bergerac avec son Histoire comique des États et Empires de la Lune. L’écrivain belge J.H. Rosny aîné, qui publia La Guerre du feu en 1909, est l’un des grands fondateurs de la science-fiction moderne. En Périgord, le célèbre paléontologue François Bordes, né à Rives, à 15 km au sud-est d’Issigeac, était par ailleurs l’un des fers de lance de la SF francophone d’après-guerre, sous le pseudonyme de Francis Carsac.

En 1934, à Razac d’Eymet, à 17 km à l’ouest d’Issigeac, naît Michel Jeury, fils de paysans vivant de métairie en métairie. Après guerre, ils s’installent dans l’une des fermes du château Pouthet à Eymet. Adolescent, Michel rêve de devenir écrivain. Son père Joseph le met en relation avec l’auteur Marcel E. Grancher qu’il avait pris sous sa protection pendant la Grande Guerre. Ce dernier conseille le jeune écrivain en devenir, comme il l’a déjà fait avec Frédéric Dard.

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Michel Jeury joue beaucoup avec la notion de temps dans ses livres d’anticipation. Contrairement à ses prédécesseurs, il utilise la notion de drogue chronolytique pour situer ces failles temporelles dans l’imaginaire des personnages de ses romans. L’idée du rêve lucide lui est venue sur un chemin de randonnée de la commune de Plaisance, entre Maine-Chevalier et Florensac, après avoir dégusté du vin local chez des amis producteurs…

Michel Jeury et son œuvre

Michel publie en 1957 un premier livre, Le Diable souriant. En 1960, il obtient le Prix Jules Verne pour La Machine du Pouvoir. Son éditeur Julliard lui demande d’autres manuscrits. Il fournit celui qu’il avait écrit neuf ans plus tôt, publié sous le titre Aux étoiles du destin. Carsac croit y déceler un plagiat de Ceux de nulle part paru en 1954. Le « pitch » est sensiblement le même mais les deux histoires sont différentes et, l’ouvrage de Jeury est antérieur à celui de Carsac. L’éditeur perd le manuscrit d’un quatrième livre. L’Eymetois, blessé par ces incidents, cesse d’écrire. Il exerce divers métiers : comptable, instituteur, précepteur des enfants de Joséphine Baker, représentant de commerce… En 1967, il cesse toute activité et va rédiger durant quatre ans un ouvrage inspiré des techniques du nouveau roman, déstructurant l’unité de lieu, de temps et de personnage. Plusieurs éditeurs, échaudés par le faible succès de ce type de littérature, refusent le manuscrit. Michel l’envoie alors à Gérard Klein qui dirige la prestigieuse collection de science-fiction « Ailleurs et demain » et recherche des auteurs français. On est fin 1972. Le manuscrit reste quelques semaines sur le bureau de Klein avant que celui-ci n’ait le temps de le lire. Il le dévore, et y voit une œuvre visionnaire. Tandis qu’il croit avoir affaire à un ponte de Bruxelles se dissimulant derrière une adresse de vacances à Issigeac, Jeury n’ose avouer qu’il est sans le sou, simple fils de paysan sans terre.

Affiche de l'Exposition Conférence intitulé « Entre Futurs § Terroirs », qui s'est tenu à Issigeac, en Juin 2013Le roman est publié dans la plus prestigieuse collection de SF, sans être corrigé et sans que l’éditeur et l’auteur ne se rencontrent. Le succès est immédiat, au point de susciter ce que Klein appellera plus tard « le pèlerinage d’Issigeac ». (1) Jeury, passionné de pédagogie, accueille volontiers celles et ceux qui le sollicitent. De nombreux auteurs confirmés ou en devenir lui rendent visite.

Il donne également un sérieux coup de pouce aux Bogdanov. À la fin des années 70, Michel retrouve les jumeaux à Paris qui s’apprêtent à créer une nouvelle émission. Ce sera « Temps X », en référence au livre culte de Jeury, Le temps incertain.

Michel enchaîne les parutions, souvent primées, et publie également de nombreuses nouvelles.

Il perd ses parents au milieu des années 80. La SF étant passée de mode, les ressources viennent à manquer. Il rejoint son beau-frère à la bambouseraie d’Anduze et se tourne vers le roman de terroir, s’inspirant de ses souvenirs du Périgord, de ses observations des Cévennes et de l’école. Il connaît alors un succès populaire. Certains de ses livres ont été adaptés en téléfilms.

En 2010, il renoue avec la SF. May le monde obtient le Grand prix de l’imaginaire, 37 ans après Le Temps incertain et 51 ans après La machine du pouvoir. Michel Jeury a publié plus de 70 livres et 110 nouvelles, répertoriés dans une exposition dédiée à son œuvre, réalisée en 2013.

À Issigeac, la route de Bergerac porte désormais son nom. Il s’est éteint le 9 janvier 2015.

Emmanuel Dubois

Les Amis de Michel Jeury : www.jeury.fr.



Cet article a été publié dans le numéro 6 du magazine « Secrets de Pays ».

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