Embarquement des vins de Bergerac sur le vieux port
Embarquement des fûts de vins sur le vieux port de Bergerac (Dordogne)

L'histoire des vins de Bergerac

Ce sont les Étrusques qui introduisirent la vigne en France, dès le VIIe siècle avant notre ère. Toutefois, c’est grâce aux légions romaines que la vigne connue sa véritable expansion en Gaule. Plus tard, les moines se firent vignerons en défrichant pour gagner sur la forêt quelques arpents. Les terres situées autour des abbayes devinrent de vastes vignobles et les caves se remplirent du meilleur vin. Dès le Moyen-Âge, la viticulture est prédominante dans la vallée de la Dordogne, et principalement en Bergeracois. Aujourd’hui, les vins de Bergerac jouissent d’une renommée bien méritée.

Origines de la vigne en Gaule et en Bergeracois

Après la conquête romaine de l’Aquitaine par les douzes cohortes de Crassus (le jeune lieutenant de César) et l’instauration de la pax romana, les notables de Burdigalla (Bordeaux) ont très vite cherchés à créer leur propre vignoble pour se soustraire à l’emprise des négotiatores vinearum romains. Ils adoptèrent un cépage capable de s’adapter aux terroirs aquitains (1). Baptisé Biturica, du nom d’une tribu gauloise d’Aquitaine, ce cépage fut découvert en Illyrie (Balkans) par les Bituriges Vivisques, un peuple celte implanté en Aquitaine.

Des vestiges archéologiques viennent confirmer l’existence de vignobles dans la vallée de la Dordogne dès l’époque gallo-romaine. Signalons entre autres les aménagements viticoles dans les villas de Montcaret (caves à moût du Nodin), le pressoir d’Allas-les-Mines, la magnifique mosaïque du Canet à Port-Sainte-Foy représentant un panier de raisins ou bien encore, les nombreuses amphores vinaires italiques découvertes dans l’oppidum gaulois de Petrucores à la Curade, commune de Coulounieix-Chamiers. (1)

Voyant dans la Gaule une rivale pour le commerce des vins, l’Italie demanda à Domitien d’intervenir, ce qu’il fit en 96, en ordonnant l’arrachage de la plus grande partie des vignes. Son ordre fut partiellement exécuté et la culture de la vigne fut restreinte pendant presque deux siècles. C’est l’empereur Probus qui, en 281, rendit aux Gaulois la liberté de planter des vignes.

La chute de l’empire romain en 476 ne nuit que peu à la viticulture, les Wisigoths, nouveaux maîtres du pays, étant buveurs de vin.

L’arrivée des Sarrasins, puis les razzias vikings vont porter un rude coup à la viticulture. Les musulmans ordonnent l’arrachage des vignes et le danger représenté par les hommes du nord replie les communautés sur elles-mêmes, tuant le commerce. Une relative stabilité s’instaure avec le royaume franc.

Le christianisme renforce la place du vin dans la société. Les références à la vigne sont nombreuses dans la Bible. La viticulture épiscopale et monastique est encouragée par le Concile d’Aix-la-Chapelle en 816. Pendant tout le Moyen-Âge, la France est le premier exportateur de vin.

Le christianisme contribua grandement à l’essor du vignoble français.

Les vins de Bergerac au Moyen-Âge

Au XIe siècle, les moines du prieuré Saint-Martin de Bergerac implantent un premier vignoble sur la côte de Monbazillac et mettent au point le procédé de vinification des vins blancs liquoreux.

Au XIIe siècle, la croissance de la ville de Bergerac a provoqué un vaste défrichement et a permis d’étendre le vignoble. Les plantations de vignes sont l’œuvre de seigneurs laïques (barons ou comtes du Périgord) et d’ecclésiastiques (évêques ou clercs).

Dès 1209, la ville de Bergerac posséda un pont sur la Dordogne, le seul de la vallée pendant des siècles. Bergerac devint ainsi le passage obligé du commerce aquitain et une étape appréciée des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le pont jouera un rôle primordial dans le développement du vignoble bergeracois, faisant de Bergerac un port fluvial très important. (1)

Depuis le mariage d’Aliéner duchesse d’Aquitaine avec le comte d’Anjou Henri de Plantagenêt en 1152, les Anglais apprécient les vins de Bergerac et de Monbazillac. Cependant, il existe un privilège de vente – accordé en 1241 par Henri III d’Angleterre – aux viticulteurs bordelais. Il ordonne à Walter d’Arundel, John de Southwark et Brun de la Porte, lieutenant du maire de Bordeaux, d’arrêter et de retenir tout ce qui viendrait de Bergerac, hommes, vins, et autres marchandises. Connu sous le nom de « privilège bordelais », cette pratique bloque jusqu’à la Noël, l’entrée des vins de l’amont de la Garonne dans le port de Bordeaux. L’objectif de cette mesure protectionniste est simple : limiter la concurrence et ainsi permettre aux vignerons bordelais d’écouler plus facilement leur production. En effet, en hiver, la navigation est plus difficile et de nombreux bateaux sont déjà repartis chargés. Ces vins dont l’entrée à Bordeaux est réglementée sont connus sous le terme générique de « vins du haut-pays » ; il s’agit des vins de Bergerac, Cahors, Gaillac, Moissac…

Toutefois, parce que les notables de Bergerac se soumettent au roi Henri III d’Angleterre, la ville est érigée en juridiction autonome, le 16 janvier 1255. Le vin de Bergerac échappe ainsi au « privilège bordelais » et obtienne ainsi le droit de libre circulation de leurs vins jusqu’à l’embouchure de la Gironde. Les îles britanniques deviennent le premier débouché pour les vins de Bergerac. Malgré ces privilèges, les relations entre viticulteurs bergeracois et négociants bordelais furent souvent ponctuées par une longue série de conflits  : cargaisons bloquées, accès au port de Bordeaux freiné, subtiles luttes d’influence lors de la guerre de Cent Ans, intrigues incessantes… Il a souvent fallu aller en justice pour que les vins de Bergerac puissent descendre la Dordogne sans être inquiétés par les Bordelais.

La Vinée de Bergerac

Le 16 janvier 1322 est une autre année importante dans l’histoire des vins de Bergerac. Sur l’ordre de Charles IV, roi de France, Renaud de Pons, Seigneur de Bergerac, donna à la ville ses statuts définitifs avec droit de Sceau, de Milice et de Maison Commune. Les consuls de la ville avaient autorité sur la Vinée de Bergerac qui s’étendait de Monbazillac à Saussignac au sud, jusqu’à Maurens, Ginestet et Mouleydier au Nord. Ils se voient concéder le droit d’apposer sur les fûts de vin sortant de leur territoire une marque particulière, d’une face un pied de griffon, de l’autre une tour. Cette concession leur est confirmée le 26 avril 1326. Dans les Statuts et Coutumes accordés par Jeanne de Pons, dame de Bergerac, et Archambaud III, comte de Périgord, son mari, les Consuls et habitants de Bergerac se voient également attribuer le privilège de n’admettre à l’abri des remparts de la ville que les vins produits par les vignobles appartenant aux bourgeois, après dégustation et marquage à feu des fûts.(2) C’est ainsi que l’article 74 des statuts de la ville défend à toutes sortes de personnes de vendre du vin, du drap et du sel dans l’intérieur de la ville. L’article 75 défend de faire entrer des vins dans la ville s’ils n’ont été récoltés dans les vignes qui font partie de la « vinata ». Ces mesures protectionnistes, qui visaient à garantir la prospérité des bourgeois de Bergerac, étaient appelées « le droit d’entrée ». Bergerac devient alors un centre important de rassemblement et de commercialisation pour les vins de la région. De plus, et pour garantir une réelle qualité des productions viticoles, les consuls de Bergerac – après délibération avec les jurats – avaient autorité pour déterminer la date des vendanges. En années normales, elles auraient lieu dans la seconde quinzaine de septembre.

L’occupation anglaise dure trois siècles au cours desquels se créèrent d’étroits rapports commerciaux avec l’Angleterre. Elle se termine par la défaite anglaise lors de la Bataille de Castillon (2)en 1453, mettant un terme à la Guerre de Cent Ans. Les liens commerciaux se distendent. La consommation de la bière se répand alors en Angleterre et le vin devient un produit de luxe.

Après la Guerre de Cent Ans (1337-1453) et les guerres de Religion de la seconde moitié du XVIe siècle, le vignoble se reconstitue, se développe. Des crus de qualité voient le jour dans la Vinée Sud de Bergerac, zone de production des vins de Monbazillac.

La « vinata », ou Vinée, définissait, au Moyen Âge, l’ensemble du terroir viticole dépendant de l’autorité urbaine de Bergerac. Dans un premier temps, cette Vinée s’étend sur la rive droite de la Dordogne et englobe sept paroisses environnantes, dans un rayon de dix à quinze kilomètres dont les limites étaient Ginestet, Maurens, Campsegret, Lembras, Creysse et Mouleydier. Suite aux dégâts causés par la guerre de Cent Ans, les bourgeois de Bergerac s’approprient de nouveaux vignobles, situés principalement au sud de la Dordogne. Par une transaction en date du 4 septembre 1495, le territoire de la Vinée couvre alors sept nouvelles paroisses, à savoir Montcuq, Saint-Mayme, Pomport, Saint-Laurent-des-Vignes, Monbazillac, Colombier, Saint-Christophe. Les limites de la Vinée resteront inchangées jusqu’à la fin des privilèges en 1776.

Les vins de Bergerac pendant la Renaissance et l’époque classique

Au XVIe siècle, les guerres de religion déchirent le Périgord : au Nord, Périgueux et les Catholiques, au Sud, Bergerac et les Huguenots. Les persécutions religieuses commencent dès 1662, contraignant à l’immigration de nombreux protestants de Bergerac, comme de toute la Guyenne. C’est vers la Hollande que se dirigent la plupart des réfugiés. Les Hollandais deviennent alors les principaux acheteurs des vins de Guyenne, supplantant les Anglais. Une lettre de l’intendant Pellot à Colbert, du 18 janvier 1669, note : « Les habitants de Bergerac et du long de la rivière de Dordougne ont mieux fait leurs affaires que ceux de Bordeaux, pour les vins qu’ils ont chargé pour leur compte, car ils ont été mieux vendus, parce qu’ils se sont trouvé de meilleure qualité. » (2)

En 1685, la révocation de l’Edit de Nantes marque le paroxysme des persécutions religieuses. Les huguenots périgourdins continuent à s’exiler en grand nombre, toujours en Hollande, là où la religion et liens familiaux s’étaient déjà tissés par le passé. Leur attachement aux produits de leur région d’origine crée un engouement pour les vins de Bergerac, notamment pour les vins blancs. Le vignoble est alors reconverti vers la production de vin blanc sec et, surtout, de liquoreux. Sous la contrainte des acheteurs hollandais qui souhaitaient des « vins de liqueur », la date des vendanges fut repoussée, pour donner au raisin le dernier degré de maturité et de pourriture noble. Le développement des vendanges tardives est alors associé à la pourriture noble… Et c’est à Bergerac que la notion de « crues » apparaît avec l’appellation « Marques Hollandaises », du nom de leur destination privilégiée.

Le développement du commerce avec la Hollande encourage l’innovation technique et l’introduction de nouvelles techniques comme par exemple vers 1750, l’élevage en barriques, puis en bouteilles, grâce à « l’allumette hollandaise » (mèche soufrée). Ce marché hollandais prospéra pendant trois siècles, bien qu’il connaîtra son apogée dans les années 1740-1750.

Des chiffres précis nous permettent d’apprécier l’importance de l’économie qui gravitait autour de la viticulture. Par exemple, en 1724, on dénombrait 74 tonneliers à Bergerac, 14 à Saint-Martin, 11 à Montcuq et Monbazillac.

Dans le Traité sur la nature et la culture de la vigne, publié par Bidet en 1759, il est écrit que : « Les vins blancs de la Dordogne, comme ceux de Sainte-Foy, Bergerac sont des vins de primeur que les Hollandais y vont chercher (…). Ce sont des vins véritablement doux, d’un goût suave, relevé et parfumé, ce sont des vins de côte. »

Parce que la vigne se contente, telle une paysanne, d’une nourriture rustique, elle a maintenu son vaste domaine en Périgord malgré les ordonnances de Charles IX (1567), d’Henri III (1577) et les arrêts du Parlement de Bordeaux. Sous peine d’amende, la culture de la vigne fut en effet réglementée, de peur qu’on négligeât les céréales panifiables et le foin, en des périodes où les famines étaient fréquentes. Le Périgord parait avoir été à l’abri de la visite des agents qui, en 1725, circulèrent à travers la Guyenne et arrachèrent les vignes, restées deux ans sans entretien. On ne signale pas ici les échauffourées que ces opérations inquisitoriales provoquèrent en Angoumois. Même alors, malgré les guerres, les intempéries et la peste, les paysans périgourdins donnèrent à la vigne leurs soins vigilants. Ils multiplièrent leurs requêtes, surtout entre 1726 et 1768, pour sauver par elle de l’aridité le Périgord pierreux. Munis de procès-verbaux, signés du notaire, du curé et des principaux habitants, constatant que le sol ne s’appropriait pas à une autre culture, ils obtinrent l’autorisation de prolonger leurs règes sur les champfroids que la forêt eût reconquis ; de replanter dès que la gelée, la vieillesse ou la grêle détruisaient les ceps. (3)

Une vue de Bergerac en 1856

Les vins de Bergerac pendant l’époque moderne

En établissant la libre circulation des vins dans le royaume, la promulgation de l’Édit de Turgot du mois d’avril 1776 marqua la fin du privilège de la Vinée. Pour le Bergeracois, cet édit eut des répercussions désastreuses sur le commerce des vins et, par voie de conséquence, sur toute l’économie locale. Dans la décennie qui précéda la Révolution, l’effondrement général du prix du vin amplifia cette crise.

C’est une nouvelle fois grâce aux Hollandais que la viticulture prospéra à nouveau. C’était la mode du « Claret » en Europe : un vin rouge « clair » et singulier, issu du mélange de raisins rouges et blancs, à la fois gouleyant et bien charpenté. Puis lui succéda une nouvelle mode, The Black Wines, des vins rouges corsés et forts. Les vignerons bergeracois adoptèrent alors des cépages appropriés pour obtenir des vins noirs et alcoolisés issus d’une longue fermentation. (1)

En 1816, le topographe A. Julien établit la première classification des vins en 5 classes. Les vins blancs de Bergerac figurent en deuxième classe, immédiatement après les Sauternes et Barsac. Les vins rouges de Bergerac figurent en troisième classe au même niveau que Pauillac, Margaux, Saint-Estèphe et Saint-Julien.

Mais en 1865, cette belle prospérité allait être mise à mal par l’arrivée d’un véritable fléau : le phylloxéra vastatrix, un insecte importé avec des plants américains. Entre 1871 et 1893, le vignoble de Bergerac s’effondre. En Dordogne, le vignoble passa de 10 7000 à 2 180 hectares(1)

L’éradication de la maladie se fit grâce à la reconstitution du vignoble en utilisant des porte-greffes issus de plants américains particulièrement résistants. 10 000 hectares furent replantés grâce au travail efficace de Monsieur Perdoux, un pépiniériste bergeracois talentueux qui sut greffer des boutures de plants français sur les plants américains.

Le port du Fleix sur la rivière Dordogne, en 1913

Les vins de Bergerac pendant l’époque contemporaine

Au XXe siècle, lors de la délimitation du vignoble de Bordeaux, les limites sont fixées à celles du département de la Gironde. Les vins de Bergerac, longtemps vendus sous le nom générique Bordeaux doivent se créer du jour au lendemain une image. Le négoce de Libourne, traditionnel vendeur de ces vins écoule en priorité les vins labellisés bordeaux, puis tentent ensuite de trouver des marchés pour leurs autres vins.

Au début du XXe siècle, au cours de la phase juridique de définition des appellations, un litige est né entre le syndicat des vins de l’arrondissement de Bergerac et le syndicat agricole de Saint-Cyprien. Un jugement du Tribunal de Bergerac en date du 29 juin 1923 a décidé que « tous les vins récoltés sur l’entier territoire de l’arrondissement de Bergerac ont droit à l’appellation d’origine Bergerac » et que « cette appellation sera réservée aux vins récoltés sur le dit territoire et qu’elle sera interdite à tous autres qu’aux vins récoltés dans les limites de ce territoire ».


Sources et notes :

  •  (1) Les Vins de Bergerac, Découvrir le Périgord Pourpre, Michel Delpon, 2002, Éditions Féret.
  •  (2) Bergerac et la Hollande, Les vins de Monbazillac, les papiers, les relations familiales, André Jouanel, Éditions Pierre Fanlac, Périgueux, 1970.
  •  (3)Bergerac et ses Vins, Marc-Henry Lemay, Éditions Féret, 1994, Bordeaux.

Crédit Photo : Port du Fleix en 1913, par M. l’abbé Bernède (collection particulière), via Wikimedia Commons.


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