Simone Labrot-Vigier, bien connue en pays lindois où elle réside, est décidément une femme étonnante… « Je n’arrive pas à réaliser ce qui m’arrive aujourd’hui : 100 ans ! » confiait-t-elle le jour de la célébration de son centenaire. Mais qui est donc cette attachante personne ?
Née le 7 avril 1911, Simone Labrot choisit le métier d’institutrice. Après sa formation à l’École normale, elle obtient un remplacement à l’école de Sainte Colombe. Mais c’est à Vicq qu’elle débute réellement sa carrière. En 1939, lors de la déclaration de guerre, elle est nommée à Mauzac et n’en partira qu’en 1966, à sa retraite.
De toutes ses années elle conserve de multiples souvenirs… ses anciens élèves également ! Le 22 mai 2005, une cinquantaine d’entre eux se regroupaient pour célébrer leur « maitresse ». André Goustat, Marcel Labrot et bien d’autres étaient de la fête… Tous se souviennent de cette frêle silhouette enfourchant son vélo le mercredi soir après la classe afin de rejoindre sa maison de Lalinde. Le vendredi, elle retrouvait le logement de fonction de l’école et regagnait le samedi son domicile lindois. Tous sont d’avis que ces efforts physiques quasi journaliers alliés à une extraordinaire énergie l’ont probablement aidée à atteindre ce bel âge !
Les images liées à sa vie professionnelle restent aujourd’hui encore bien présentes dans sa mémoire. Elle raconte avec enthousiasme : « Le matin j’entrais dans la classe encore vide et silencieuse, m’assurais de la propreté du tableau et y inscrivais la phrase pour la leçon de morale quotidienne ».
Formée très jeune à son métier, Simone a dû en accepter les contraintes. Se lever avec ou avant le jour, en hiver, alors que les brumes inondent les vallées, requiert du courage. Se concentrer dès le premier café sur le programme de la journée, s’assurer que rien ne manque : cahiers et livres, plumes et encre, blouses et bons points… la rigueur évitant l’improvisation. De quoi mobiliser son énergie intellectuelle et physique afin de mener sa journée de travail avec l’efficacité requise pour ce métier. Simone connait bien les séquences de sa journée. En premier lieu, respecter le temps préalable d’accueil avant le passage à l’apprentissage qui ne supportera, lui, ni bavardages ni chahut. Elle ajuste ses crayons pendant que les enfants s’efforcent de se réchauffer près du poêle puis, plus tard, près du radiateur, oubliant l’effort du trajet, fait à pied le plus souvent. L’un d’entre eux vient poser la date sur le tableau. La leçon de morale amorce alors la liste des différentes matières indispensables pour devenir un citoyen responsable et autonome.
Simone, c’est l’école des années 20, l’école de la République avec pour fondement ses valeurs de laïcité. Les frontons des écoles voisinent alors avec ceux des mairies. La séparation entre l’école des garçons et l’école des filles s’estompe. Cependant, de rentrée en remise de certificat d’études, la même énergie si bien traduite dans l’ouvrage de Colette, Claudine à l’école, se retrouve jusque dans ces joyeux chahuts teintés d’impertinence. Souvenons-nous de l’attachement à nos institutrices et instituteurs dont le nom reste, pour nous, source de respect et d’admiration. La plume crisse sur les lignes du papier. Le buvard boit le trop plein du trait empâté. Cet univers unique de la classe enchante au plus haut point et, sur fond de cigales, trace le chemin vers la réussite scolaire associée en cela à la relation paternelle et à la découverte de la nature provençale.
Chaque année, Simone et bien d’autres sèment les savoirs dans les petites têtes parfois récalcitrantes ou distraites. Ils y déposent des images et des mondes aux couleurs vives. Avec eux, l’école publique a nourri notre imaginaire tout en étant la source de la maîtrise de la langue. Ces années sur les bancs de classe et dans les cours de récréation laissent des traces durables que chacun garde en lui. Or, ce n’est pas seulement l’autorité et la qualité de l’enseignement qui ont fait germer le grain utile à nos vies d’adultes puis de parents, mais l’exemplarité associée à l’envie de découvrir d’autres horizons.
Oui, cette vie d’école nous touche, non seulement par les nombreux objets continuant d’habiter les cours de récréation (billes, calots, boulets, osselets, cordes à sauter), non seulement par les jeux qui ne changent pas vraiment (marelle, balle au prisonnier, loup, cache-cache et batailles diverses)… Bien au-delà, c’est cet engagement qui nous concerne : il correspond à un besoin fondamental, celui qui résulte de l’appétit de connaître, de partager et nous conduit à l’apprentissage de la liberté et de la démocratie. C’est par l’éducation, la maîtrise de notre langue, des sciences et du raisonnement que l’enfant devient citoyen.
Ces enseignantes – telle Simone Labrot-Vigier – femmes de valeur et de conviction, ont dû lutter pour leurs droits de transmettre et d’accéder à de nouvelles responsabilités. Elles ont participé à l’ouverture de l’école sur le monde et ont contribué à la diffusion des savoirs fondamentaux, de plus en plus planétaires, vecteurs de liberté.
Rémy Cassemiche
Interview et photos, Chantal Maman