Nous sommes au Moyen Âge. Le roi de France Charles V le Sage règne sur un royaume féodal ravagé par la guerre de succession entre Valois et Plantagenêts – dite de Cent Ans – qui dure depuis 1337.
Oublions l’idée d’une guerre totale comme le souvenir des deux dernières guerres mondiales. Au Moyen Âge, les batailles rangées sont rares. Les belligérants mènent généralement des expéditions ou chevauchées pour piller, ravager, rançonner et affaiblir les bastilles ou fiefs adverses.
Dans notre région, le long siège de Bergerac, place importante aux portes de la riche vallée de la Dordogne vient de se terminer. La ville tombe en 1345 aux mains des Anglais commandés par le prince de Galles Henri de Lancastre. Cette domination anglaise, renforcée par le traité de Brétigny en 1360, consolide la souveraineté anglaise sur la Guyenne et le duché d’Aquitaine.
Jehan de la Salle et la châtellenie de Cosa
Dans ce royaume de France occupé, humilié et politiquement exsangue, un capitaine brigand, simple reflet d’un homme du Moyen Âge va se distinguer. La souveraineté anglaise comprend le riche et puissant archevêché de Bordeaux qui s’étend jusqu’au diocèse de Sarlat, commandé par Nicolas de Beaufort, seigneur de Limeuil, frère du pape Grégoire XI. Placée sous sa tutelle, la châtellenie de Cosa est une place forte au carrefour des vallées de la Dordogne et de la Couze. Organisée autour de son castrum fortifié et élevé (emplacement de l’actuel cimetière), elle possède une haute tour, des fossés, et sa propre chapelle.
Las de la tutelle anglaise, le seigneur Nicolas de Beaufort accepte la prodigalité du roi Charles V. Moyennant 5 000 francs or, le paiement de la solde de 50 soldats et une rente de 2 000 livres pour ses enfants, il lui fait allégeance et rejoint le camp français. Il devra toutefois attendre 1377 et la prise de Bergerac par le connétable de France Du Guesclin pour reprendre Lalinde et Couze. C’est alors qu’il établit le capitaine Jehan de la Salle (Jean de la Salle), venu de l’Agenais et d’assez mauvaise réputation, dans la place de Couze.
Le 16 septembre 1380, le roi Charles V meurt laissant un fils âgé de 12 ans qui ne peut pas être couronné. Les querelles et divisions des princes de sang, seigneurs et barons, rompent un équilibre déjà fragile au sein du royaume et, en Périgord, certains fiefs passent plusieurs fois du camp anglais au camp français au gré des intérêts du moment.
Profitant de cette période trouble et anarchique, le capitaine Jehan de la Salle commence à faire parler de lui. Ses « exploits » sont relatés dans « Lo Libre de Vita » (Le Livre de Vie) par Johan Thoyr, notaire public et secrétaire du consulat de Bergerac.
Extraits du « Livre de Vie » de Johan Thoyr
« Le lundi après la fête de saint Michel, qui fut le dernier jour de septembre l’an dessus 1381, ceux de Couse, savoir : le bâtard de Magnion, Jean de Sirac, Peyrot le Fort, Peut Perrot, Héliot Prébost, Jacques Bonhomme, Arnauton l’Espagnol, Guilhamot et Pierre de Mortiers, chevauchèrent de Couse, en dehors, à Bergerac, de l’autre côté de l’eau, prirent Naudo du Vinhal, trois autres hommes de Bergerac et tuèrent Pierre de Galas, tailleur, habitant de Bergerac. Ce fut Jacques Bonhomme qui lui donna le coup de la mort !…
[…] Le mercredi 2e d’octobre l’an dessus 1381 […] À Couse, on rançonna les prisonniers en présence du capitaine Jean de La Salle […] Perroti de la Moissière n’ayant pu financer, lesdits pillards, avec une bonne barre, lui ont rompu un bras et le retiennent prisonnier avec de bons fers et entraves. […] Mémoire soit que le samedi après la fête de saint Front, le 26e jour d’octobre l’an dessus 1381, Jean le Loup, écuyer de monseigneur le Sénéchal, et Pierre de Cauze, à la prière du Gouverneur et des seigneurs consuls, allèrent à Couse conférer avec Jean de La Salle, capitaine de ce lieu, afin de savoir pourquoi, avec ses compagnons, il faisait à Bergerac, ville appartenant en propre au roi de France notre sire, une guerre aussi mortelle. Jean de La Salle et ses compagnons répondirent à l’écuyer du Sénéchal que certainement ils continueraient à faire toute la guerre qu’ils pourraient à la ville de Bergerac, si celle-ci ne voulait venir à composition avec eux. Il fit connaître quelle était la rançon qu’il exigeait et qui sans rien en rabattre, était la suivante : deux tonneaux de froment, deux tonneaux de bon vin, un tonneau de sel, deux marcs d’argent, deux arbalètes et trois cents carreaux. Il ajouta qu’à ces conditions il donnerait pati à la ville jusqu’à la fête de Pâques prochaine, et sur ce, accorda une trêve jusqu’au mardi suivant, afin que jusqu’à cette époque, la ville eût à lui faire connaître si, oui ou non, elle voulait accepter ses propositions. […] Mémoire soit que le mardi 17e jour de décembre l’an dessus 1381, le bâtard de Mechmon, Vidalot et Pierre Lefort, avec d’autres compagnons de Couse, chevauchèrent à Bergerac, de l’autre côté de l’eau, et prirent un pauvre homme de la ville nommé Jean Lefort, qu’ils menèrent prisonnier à Couse, où, en le frappant à grands coups, ils lui firent financer 2 francs. Ils auraient fait davantage de prisonniers s’ils l’avaient pu. »Jehan de la Salle – Épilogue
Cette guerre dura plusieurs années. Couze fut repris par le camp français et Jehan de la Salle fut chassé. Pris et repris, le château de Couze tomba tour à tour aux mains des Anglais et des Français. Le coup de grâce lui fut donné en 1448 par le sire de Lanquais, Jean de la Crauze, et d’autres seigneurs du parti anglais. La grande tour du castrum, les maisons du bourg et la vieille église romane furent brûlées et rasées.
La guerre de Cent Ans prit fin avec le traité de paix de Picquigny, en 1475. La population décimée fit face aux soudards, paya moults impôts, subit les famines et les épidémies. Du reste, à cette époque, Couze ne compte plus que 18 feux et Saint-Front est inhabité.
Aujourd’hui, du repaire de Jehan de la Salle il ne reste qu’un lieu-dit, « Le Tertre du Château ». Et quant au sinistre capitaine, une rue du village en perpétue la mémoire : la rue Jean de la Salle.
Alexandre Diot-Dudreuilh
Bibliographie :
- Couze et Saint-Front, Abbé A. Simon, Imprimerie Générale du Sud Ouest, Bergerac, 1950.
- Le livre de vie (1379-1382) – Bergerac au cœur de la Guerre de Cent Ans, Y. Laborie et J. Roux, Federop, 2003.