C’est à la fin du XVIIIe siècle qu’apparaissent les premiers lavoirs. Napoléon III subventionne alors leur construction à hauteur de 30 % après avoir fait appliquer une loi datant de 1851 portant sur l’hygiène et imposant à chaque commune de s’équiper d’un lavoir communal.
La cour des commères
Le lavoir, élément important de promotion de la santé publique et de l’hygiène, concourt au progrès et au bien-être de la population en améliorant le travail de la femme, la lessive étant une tâche exclusivement féminine. Il représente pour les femmes ce qu’est le bistro pour les hommes : un lien social indispensable à la vie collective. Avant tout, lieu de dur labeur, c’est aussi leur espace de liberté. Elles s’y retrouvent entre elles. La convivialité y est permanente, les pauses, prétextes à quelques rites locaux, rires et chansons. On s’y entraide et on y échange des nouvelles du village, voire de la région.
De la cour des commères à l’hôtel des bavardes en passant par moulins à paroles, chambre des députés, académie de médisance, les images fleurissent pour décrire ce lieu dont on entend aussi dire : « Au lavoir on lave le linge et on salit les gens » !
Si les paroles fusent, c’est qu’elles font suite à une fine observation. Le linge des voisines est source d’informations pour qui veut bien interpréter les souillures, les tissus élimés et rapiécés. Le langage des lavandières devient proverbial. Les confidences s’y glissent comme elles le font parfois elles-mêmes : « J’ai glissé en descendant »… laisse ainsi comprendre que la dame s’est laissée aller à tromper son mari entre la maison et le lavoir.
Le lavoir de Couze, lieu de vie
Le village de Couze [commune actuelle de Couze et Saint-Front] s’est bâti au pied de son château, château du sinistre Jean de la Salle. La route qui vient de Montferrand longe la falaise et, autour de cet axe, se construisent les premières maisons, en dessous des remparts. Parfaitement exposé au soleil, on y est aussi à l’abri de l’humidité de la rivière où, sur les rives, vivent les moulins.
Mais, en haut, il n’y a pas d’eau ! Si l’on n’a pas de puits dans sa propre maison, on descend la chercher par un chemin pentu à la fontaine de la Vierge. La vie est rude. On lave son linge à la maison deux ou trois fois l’an en faisant chauffer l’eau dans une bassine. Ce qui n’est point l’idéal, avec toute l’humidité dégagée et les problèmes d’écoulement engendrés.
Puis arrive le XIXe siècle… M. Prat-Dumas et son copain pharmacien à Bergerac inventent le papier filtre. Couze travaille et s’enrichit. Des maisons s’élèvent dans la vallée et une route plus large y serpente, suivant le cours de la rivière.
La vie s’améliore comme va encore l’améliorer la construction d’un lavoir communal en-dessous de la fontaine de la Vierge. L’eau y est tiède comme elle l’est dans celui privé et mitoyen appartenant à la famille Prat-Dumas, où l’eau sort à 16°. Les femmes ont désormais de l’espace pour faire leur lessive, et elles en profitent.
Laver son linge sale au lavoir ou chez soi
Eugénie Fromental (née Lambert) et sa bonne – c’est ainsi qu’on nomme en ce temps-là les aides-ménagères – quittent chaque semaine la maison de La Croix, route de Beaumont, et apportent dans une brouette le linge sale à lessiver au lavoir.
Marcelle Dulys, quant à elle, raconte les nombreux va-et-vient nécessaires entre haut et bas de Couze pour avoir un linge bien blanc et bien propre. Marcelle commence sa lessive à la maison dans une grande bassine pour un premier décrassage. Puis elle descend son linge pour un premier rinçage au lavoir. Elle remonte ensuite chez elle dans le haut de Couze pour le laver à l’eau bouillante et le redescend une dernière fois au lavoir pour le rincer et l’essorer.
Certaines lavent leur linge directement au lavoir. Elles le frottent et le brossent sur le bord en plan incliné dit pierre à laver avec du savon fabriqué artisanalement. Pour accomplir toutes ces tâches, les femmes sont alors à genoux. C’est aussi à genoux qu’elles le rincent en jetant et secouant le linge dans l’eau, ajoutant parfois quelques boules de bleu – une poudre à base d’indigo – qui lui donne de l’éclat et l’assouplit. Pour l’essorer, elles le plient, le replient, le tordent et le battent avec un outil en bois qualifié de battoir, à plat, sur la pierre, afin de l’essorer le plus possible. Puis elles le chargent dans la brouette et le ramènent sécher chez elles.
Dur labeur justifiant que le lavoir devienne aussi, par la force des choses, ce lieu où l’on rit et l’on chante, où l’on cancane et où, parfois, on se chamaille.
Le lavoir communal, patrimoine historique de nos villages
Reflet de la communauté qui en a commandé la construction, le lavoir parle de son village. Sobre ou monumental, selon la taille de la commune, il est obligatoirement associé à l’eau, qu’il soit alimenté par une source ou positionné au bord d’un cours d’eau.
D’abord constitué d’une simple pierre à laver en plan incliné, il devient ensuite bassin. Il est enfin couvert d’une toiture protégeant les lavandières de la pluie ou du soleil. On va parfois jusqu’à y construire un mur pour les protéger du vent et du froid. Certaines constructions sont équipées d’une cheminée qui apporte la chaleur en hiver et dont les cendres, riches en potasse, sont utilisées pour la lessive.
Dans l’esprit du commun des mortels, un lavoir est constitué d’un bassin recouvert d’un toit porté par des poteaux en bois. Au fil des balades en pays des Bastides, l’œil se réjouit de ces images fleuries où le rouge des géraniums se reflète dans l’eau désormais définitivement pure des lavoirs abandonnés mais valorisés.
Le lavoir de Couze n’échappe pas à la règle. Lorsque sa réfection s’est avérée nécessaire, il a quitté son toit de tôles pour des tuiles traditionnelles. En 2010 il fut, pour sa dernière saison, l’objet d’une exposition Éphémères. L’artiste international Christophe Doucet y avait installé un concombre de mer représentant notre cher Coulobre, œuvre in situ qui fait, encore aujourd’hui, la notoriété de notre territoire au travers des ouvrages et autres sites faisant référence au talent du sculpteur.
C’est ainsi que le lavoir de Couze est devenu éternel.
Véronique Dubeau Valade
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