La salle des fêtes de Pressignac-Vicq, un projet utopique

Un symbole chrétien (le poisson) a été réalisé par l’un des bâtisseurs de la salle des fêtes de Pressignac-Vicq, de confession protestante.

Un projet utopique initié par un maire visionnaire

Novembre 1962 : en plein débat sur le statut des Objecteurs de conscience au service militaire, plusieurs « chantiers d’objecteurs » sont organisés à proximité du Centre pénitentiaire de Mauzac où ils sont internés, dont celui de Pressignac-Vicq, porté par un un maire visionnaire, Évariste Augeyrolles. (1)

Au Camp Nord de Mauzac

Le 15 mai 1962, les derniers prisonniers politiques algériens d’obédience MNA (1) (Mouvement national algérien ) sont libérés du Centre pénitentiaire de Mauzac. Nous parlons du camp Nord situé à Sauvebœuf, sur la commune de Lalinde. Avec sa douzaine de baraquements entourés de rangées de barbelés et de miradors, le lieu ressemble davantage à un camp d’internement sous Vichy qu’à un centre de détention. Il fait alors l’objet de travaux de rénovation en vue d’accueillir une nouvelle population, cette fois « non-violente ».

Le 8 octobre 1962, le directeur régional des Services pénitentiaires de Bordeaux fait savoir au préfet de la Dordogne « que vont être incessamment rassemblés, sur le Camp Nord du Centre pénitentiaire de Mauzac, tous les objecteurs de conscience condamnés à titre définitif ou en pourvoi afin d’y bénéficier d’un régime libéral et d’être mis en mesure d’y travailler à l’extérieur ».

Le 17 octobre 1962, les premiers arrivent. Ils sont au nombre de 59. Une note d’information des Renseignements généraux les classe en deux groupes : « Les non-violents au nombre de 6 : 2 catholiques et 4 extrême gauche ; et les témoins de Jéhovah au nombre de 53. Ces prisonniers qui ont refusé d’endosser l’habit militaire ont été jugés par les TPFA [Tribunaux permanents des forces armées] et ont à subir des peines de 18 mois à 2 ans de prison ».

Le Service Civil Volontaire International

Selon ses propres statuts, le SCI (2) a pour objectif « la construction de la paix, le rapprochement des peuples, le développement durable et la justice sociale ». En novembre 1962, le SCI se dit prêt, à titre d’expérience, à organiser les premiers chantiers d’objecteurs de conscience pour tous ceux qui sont détenus à Mauzac.

Le 6 novembre 1962, un premier entretien a lieu avec le directeur du Ministère de la Justice en présence d’Henri Roser (pasteur de l’église réformée, président de la branche française du SCI), Henri Sellier (poète libertaire et pacifiste, secrétaire général du Comité pour la reconnaissance de l’objection de conscience en France) et Étienne Reclus (militant internationaliste périgordin, cheville ouvrière de la création de la branche française du SCI). Un accord de principe est adopté à la condition que le chantier soit situé dans un rayon de 20 km maximum du centre pénitentiaire.

Le directeur de la Jeunesse et des Sports a pris rendez-vous avec le Maire de Pressignac-Vicq « qu’il considérait comme le plus dynamique des maires de la région et susceptible de donner suite au projet qu’on lui présentait». Étienne Reclus fait le récit de cette rencontre : « Jean-Claude [Labru, ingénieur des Travaux publics] et moi devions nous rendre le 11 novembre 1962 à Pressignac-Vicq, accompagnés du directeur à la Jeunesse et aux Sports (…) Après avoir visité les lieux et parlé du projet… on a insisté pour que nous assistions au banquet des Anciens Combattants ! Impossible de nous dérober – comble de stupéfaction : on débuta le banquet par la présentation de ces inconnus que nous étions ! “Responsables du Service Civil International, venus étudier l’implantation de chantiers pour les objecteurs de conscience”. Il y eut d’abord un grand froid dans la salle… mais bien vite, voyant qu’il y avait parmi les assistants bien des anciens de la guerre de 1914-18, je me suis ressaisi et j’ai rappelé que le SCI était né à Verdun, au lendemain de cette Première Guerre mondiale, pour essayer de réparer les dégâts de cette horrible tuerie… et que les fondateurs du SCI étaient Pierre Cérésole, objecteur de conscience et Ernest Cérésole, colonel de l’Armée suisse, unis pour essayer de mettre en pratique le serment des anciens de Verdun : “Plus jamais cela – tuer à tout jamais la guerre ”. Ce fut non seulement avec intérêt, mais avec un certain enthousiasme que cette idée fut acceptée ». (2)

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Ouverture difficile du chantier de Pressignac

Le projet consistait en la construction d’« un Centre culturel pour toute la région de Pressignac ». Il devait être entièrement construit avec des pierres provenant de vieux murs de clôture et de maisons en ruines. En dépit d’un accord donné par MM. Herzog, haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, et Perdriot, sous-directeur de l’Administration pénitentiaire, le chantier ne fut ouvert qu’en avril 1963, après que la colonie protestante de Peyrebrune ait mis ses bâtiments à la disposition du SCI, jusqu’à l’été. Les responsables du chantier furent successivement Émile Bernis, Pierre Rasquier et Roger Paon, jusqu’à la prise en charge de la maîtrise d’ouvrage par la Protection civile, en juillet 1964. Le projet a finalement été mené à terme comme en témoigne sa réalisation consistant en un bâtiment massif construit en pierres de tailles, dressé à l’entrée du village.

D’autres « chantiers d’objecteurs » ont été créés dans la région, juste ébauchés pour certains, menés à terme pour d’autres… ou tout simplement restés au stade de projets : divers aménagements dans les villages de Bayac et de Naussannes, fouilles archéologiques à Saint-Avit Sénieur (sous la direction des Beaux-Arts), relèvement de murs en pierres sèches à Monsac, travaux de restauration de la halle de Montferrand du Périgord, remise en état de logements pour personnes économiquement faibles au Buisson de Cadouin…

Commentaire sur une signature

Sur l’un des côtés du bâtiment, situé vers l’arrière, un symbole chrétien (le poisson) a été réalisé par l’un des bâtisseurs, de confession protestante. C’est la seule trace qui atteste de la qualité des bâtisseurs de la salle des fêtes de Pressignac : des objecteurs de conscience au service militaire pour motif religieux, à l’exemple des premiers chrétiens. Du 17 octobre 1962 au 27 février 1971, 221 objecteurs de conscience sont écroués à Mauzac. Parmi eux, 92,3 % revendiquent leur appartenance aux témoins de Jéhovah.

Des non-violents et des objecteurs de conscience au service militaire pour motif religieux…

La salle des fêtes de Pressignac, un projet utopique et fondateur…

L’un des initiateurs du projet déclare : « Ce chantier a représenté un moment important dans l’histoire du SCI en France. À la suite d’une grève de la faim de Louis Lecoin, soutenu par le SCI, le Général de Gaulle a donné l’assurance qu’un statut des objecteurs de conscience allait être adopté et qu’une solution allait être trouvée pour ceux qui étaient emprisonnés au Centre pénitentiaire de Mauzac (Dordogne) où ils étaient toujours assujettis au régime de droit commun. Le SCI a alors proposé au Ministère de la Justice d’organiser, à titre d’expérience, les premiers chantiers d’objecteurs de conscience. En avril 1963, par l’intermédiaire du pasteur Roser, des bâtiments d’une colonie de vacances ont été mis à la disposition du SCI pour recevoir les objecteurs et les volontaires. À la suite de ce chantier expérimental, le SCI a été chargé, en 1964, d’organiser des activités pour les objecteurs de conscience, à Brignoles, en Provence »…

Jacky Tronel


  • (1) Le Mouvement national algérien (MNA) était une organisation politico-militaire visant à l’indépendance de l’Algérie et qui a remplacé le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) à partir de 1954.
  • (2) Peu après la Première Guerre mondiale a lieu une rencontre de pacifistes chrétiens européens en 1919 à Bilthoven aux Pays-Bas. L’idée émerge de réunir des volontaires de divers pays pour travailler à la reconstruction, on veut proposer une alternative au service militaire obligatoire. L’association est créée en 1920 sous le nom Service civil volontaire international (SCI). Le principal fondateur est l’ingénieur suisse Pierre Ceresole, il met sur pied en 1920 un premier chantier de reconstruction à Esnes près de Verdun en France avec quelques autres pacifistes, dont le quaker anglais Hubert Parris (un des initiateurs de Bilthoven). Ce camp réunit des volontaires anglais, belges, français et allemands afin de contribuer à la réconciliation des peuples qui venaient de s’affronter. Cette première expérience n’est pas simple mais l’esprit de ce premier chantier se répand rapidement. Les volontaires de ce chantier souhaitent convaincre d’autres personnes qu’œuvrer pour la paix dans un tel cadre peut constituer une véritable alternative au service militaire. Le nombre de volontaires augmente rapidement et ils gagnent également le soutien des populations locales et de certains gouvernements. Dans les années 1920, le SCI organise de grands projets de volontariat, apportant secours et assistance dans des zones touchées par des inondations ou des avalanches. Lors de la Guerre civile espagnole, de nombreux volontaires du SCI participent à l’évacuation et à l’accueil des réfugiés espagnols. (…) Avec le temps, le travail du SCI s’est élargi et s’est tourné vers de nouvelles questions : le conflit dans les Balkans, l’écologie, l’aide aux réfugiés etc. Avec la chute du Rideau de fer, de nouveaux partenariats se créent. Parallèlement, les échanges Nord-Sud rencontrent un vif intérêt. Au milieu des années 1990, le SCI se réorganise. Puis il définit un programme stratégique pour les années 20042009. Les discussions autour de la démocratie et de l’efficacité au sein de la structure, de la portée du travail pour la paix et du rôle du SCI animent sans cesse le mouvement, en constante évolution. — Service civil international (SCI), Wikipedia.

Crédit Photo :

  • Photos coll. Orlando Pia.

Cet article a été publié dans le numéro 8 du magazine « Secrets de Pays ».

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