Précurseur de Lavoisier, de Toricelli et de Pascal, Jean Rey, observa en 1630 que l’étain et le plomb augmentent de poids quand on les calcine, et attribua cette action à l’air. Cette découverte précède de cent quarante ans les travaux de Lavoisier, ce qui fait de Jean Rey le vrai découvreur de la pesanteur de l’air. Contemporain de Richelieu, ce médecin périgordin est également l’inventeur d’un des premiers thermomètres médicaux.
Fils d’un marchand aisé, Jean Rey naquit vers 1583, près des rives de la Vézère, dans la petite ville du Bugue, en Périgord. Tandis que ses deux autres frères deviennent maîtres de forges, il part obtenir le grade de Maître ès Arts de l’Académie de Montauban. Il participe activement à la vie estudiantine, étant même l’un des quatre délégués élus par les étudiants pour présenter leurs observations aux professeurs, discuter avec eux des heures de cours et des ouvrages à étudier. Il obtint ensuite le titre de docteur en médecine à l’université de Montpellier en 1609, après quoi il revint dans sa ville natale et y exerça la médecine jusqu’à sa mort. On peut toujours voir sa maison au Bugue, Rue du Couvent.
En un temps où on n’allait chercher le médecin qu’à la dernière minute, les loisirs étaient plutôt rares pour le Docteur Rey. Aussi, se rendait-il souvent au lieu-dit Rocheheaucourt, dans les forges de son frère, le sieur de la Peyroutasse, pour s’y livrer à quelque expérience de physique et de chimie.
De parents pourtant catholiques, ses deux frères aînés adhèrent à la Réforme, et lui aussi, très probablement, ce qui explique sans doute les relations amicales de Jean Rey avec deux protestants de Bergerac, le médecin Deschamps et l’apothicaire Jean Brun. Ce dernier, intrigué d’obtenir « deux livres treize onces d’une chaux très blanche » par calcination de « deux livres six onces d’estain », demande à Jean Rey pourquoi l’étain et le plomb en fusion augmentent-ils de poids ?
La réponse de Jean Rey ne se fait pas attendre : l’accroissement de poids est dû à une absorption d’air, car l’air est pesant. « Remplissez d’air à grand force un ballon avec un soufflet, vous trouverez plus de poids à ce ballon plein qu’à lui-même étant vide. » Pour démontrer la vérité de sa thèse, il écrit les Essays sur la recherche de la cause pour laquelle l’étain et le plomb augmentent de poids quand on les calcine. Publié par Guillaume Millanges, l’ouvrage, in-octavo de 142 pages, paraît à Bazas en 1630. Il compte vingt-huit chapitres. Les quinze premiers préparent la réponse, que donne le seizième. Les autres réfutent les opinions précédemment admises. (1)
Jean Rey comprend que, dans le phénomène de la calcination du plomb ou de l’étain, l’oxygène s’unit au métal pour donner une chaux, ou oxyde métallique, entraînant augmentation de la masse initiale.
Les Essays, portés à Paris par un avocat bordelais, Trichet de Fresne, furent passionnément commentés par tous ceux qui fréquentaient, aux Minimes de la Place Royale, l’un des érudits les plus marquants de son temps, l’illustre Marin Mersenne (2) (à qui lui doit les premières lois de l’acoustique, qui portèrent longtemps son nom). L’une des questions les plus discutées parmi les savants, dans les années 1640, est : l’air a-t-il un poids ? Si l’on veut bien se rappeler que Marin Mersenne était l’ami de Descarte et qu’il était en relations suivies avec Torricelli (3) et Blaise Pascal (4), on comprendra que, sans la découverte de Jean Rey, on aurait peut-être attendu plus longtemps la démonstration expérimentale de la pesanteur de l’air et l’invention du baromètre.
Puis les années passèrent. Les Essays et le nom de l’auteur tombèrent dans l’oubli. Bientôt, il fut universellement admis que tout corps, en brûlant, changeait de poids. Enfin, les expériences de Lavoisier ruinèrent les théories phlogistiques de Stahl (5) qui, soit dit en passant, n’aurait jamais vu le jour si les travaux de Jean Rey avaient été connu de la communauté scientifique de l’époque.
Plus de cent quarante ans après Jean Rey, Antoine Lavoisier (6), exposa sa théorie sur la combustion et sur la calcination des métaux dans un mémoire célèbre, présenté à l’Académie des sciences, le 12 novembre 1774. Dans cet ouvrage, point de mention des découvertes de Jean Rey. Lavoisier les ignorait-il ? C’est possible, puisque la diffusion du livre de Jean Rey fut plutôt confidentielle ce qui explique d’ailleurs pourquoi ses travaux tombèrent rapidement dans l’oubli.
Quoiqu’il en soit, peu de temps après la présentation du mémoire de Lavoisier à l’Académie des sciences, Pierre Bayen (1725–1798) adressait une lettre à l’abbé Rozier, directeur du journal « Observations sur la Physique, sur l’Histoire Naturelle et sur les Arts », pour lui demander de publier dans son journal une notice de mise au point, rappelant l’antériorité des travaux de Jean Rey. Cette notice parut dans le fascicule de janvier 1775 :
« Je n’ai, Monsieur, connu le livre de Jean Rey qu’après avoir publié par la voie de votre Journal, la seconde partie de mes expériences sur les chaux mercurielles. Je ne pouvais donc en parler dans l’énumération très succincte que je fis alors des différentes opinions sur la cause de l’augmentation de pesanteur des chaux métalliques. Ma faute, quelque involontaire qu’elle ait été, doit être réparée et, pour le faire, je me hâte de rendre justice à un Auteur qui, par la profondeur de ses spéculations, est parvenu à désigner la véritable cause de cette augmentation. Voudriez-vous, Monsieur, concourir avec moi à faire connaître l’excellent ouvrage de Jean Rey ? Votre Journal se lit dans toute la France, il est répandu dans les pays étrangers. Si vous vous vouliez y insérer la notice ci-jointe, les chimistes de tous les pays sauraient en peu de temps que c’est un Français qui, par la force de son génie et de ses réflexions, a deviné le premier la cause de l’augmentation de poids qu’éprouvent certains métaux lorsqu’en les exposant à l’action du feu, ils se convertissent en chaux, et que cette cause est précisément la même que celle dont la vérité vient d’être démontrée par les expériences que M. Lavoisier a lues à la dernière séance publique de l’Académie des Sciences. » (7)
À la suite de cette mise au point qui alerta les milieux scientifiques, Nicolas Gobet entreprit, en 1777, de faire rééditer le livre de Jean Rey chez Ruault, à Paris, d’après l’exemplaire original et les manuscrits de la Bibliothèque Royale et des Minimes de Paris. L’éditeur notait que « Jean Rey eut dans son siècle des opinions qui ont fait la plus grande fortune parmi les étrangers avant de revenir en France ».
Lors de la révision de son mémoire pour la publication annuelle du volume de 1774 de l’Académie royale des sciences (parution en 1778), Lavoisier ne fait aucune mise au point, ni sur Jean Rey, ni sur l’article de Pierre Bayen. Il faudra attendre 1805, avec la publication posthume de ses Mémoires, par son épouse, pour découvrir enfin l’allusion que fait Lavoisier à l’œuvre de Jean Rey :
« Un des Auteurs qui ont le plus anciennement écrit sur cet objet est un médecin presque ignoré, nommé Jean Rey, qui vivait au commencement du XVIIe siècle à Bugue en Périgord, et qui était en correspondance avec le petit nombre des personnes qui cultivaient les sciences à cette époque. Descartes ni Pascal n’avaient point encore paru ; on ne connaissait ni le vide de Boyle ni celui de Torricelli, ni la cause de l’ascension des liqueurs dans les tubes vides d’air. La physique expérimentale n’existait pas ; l’obscurité la plus profonde régnait dans la chimie. Cependant, Jean Rey, dans un ouvrage publié en 1630 sur la recherche de la cause pour laquelle le plomb et l’étain augmentent de poids quand on les oxyde, développa des vues si profondes, si analogues à la doctrine de la saturation et des affinités, que je n’ai pu me défendre de soupçonner longtemps que les Essais de Jean Rey avaient été composés à une date très postérieure à celle que porte le frontispice de l’ouvrage. » (7)
Si Lavoisier n’a eu connaissance des travaux de Jean Rey qu’après la demande de mise au point faite par Pierre Bayen, il semblerait toutefois qu’il était pleinement conscient de leur importance et de leur antériorité. D’ailleurs, selon une note figurant sur un volume conservé au British Museum, Lavoisier aurait fait racheter tous les exemplaires des Essays en circulation.
Quoique tardive, la notoriété de Jean Rey est confirmée par la sortie de plusieurs publications étrangères. C’est ainsi qu’en 1895, paraissait à Édimbourg une plaquette de 54 pages sous le titre d’Essays of Jean Rey, doctor of médecine, on an Enquiry in to the cause wherefore tin an lead increase in weight on calcination (1630). C’est la traduction mot pour mot du titre que Jean Rey avait donné à son livre. Plus récemment, M. Douglas McKie rendait hommage à Jean Rey dans Science Progress, (N° 121, July 1936) et dans Ambix (vol. I, n° 3, March 1938). (1)
Jean Rey a été l’auteur de bien d’autres découvertes, dont la principale est le thermoscope (8), ancêtre du thermomètre ; il en prescrivit l’usage en médecine. Sa vie fut donc bien remplie. Il décède en 1646, selon un document, 1647, selon un autre, imprécision qui désigne peut-être les derniers jours de décembre 1646. Laissons-lui le soin de conclure : « Le travail a esté mien, le profit en soit au lecteur, et, à Dieu seul, la gloire ». Cet homme de talent était aussi un homme modeste…
Jean-François Tronel
Notes :
- (1) Choses et Gens du Périgord, Jean Maubourguet, Paris, Librairie Floury, 1941.
- (2) Marin Mersenne (1588-1648), connu également sous son patronyme latinisé Marinus Mersenius est un religieux français appartenant à l’ordre des Minimes, érudit, mathématicien et philosophe. On lui doit les premières lois de l’acoustique, qui portèrent longtemps son nom. Il établit concomitamment avec Galilée la loi de la chute des corps dans le vide. De Waard dit de lui qu’il était le secrétaire de l’Europe savante de son temps. – Marin Mersenne sur Wikipedia.
- (3) Physicien et mathématicien italien du XVIIe siècle, Torricelli met en évidence l’effet de la pression atmosphérique en découvrant le baromètre à mercure, en 1643.
- (4) Blaise Pascal, mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et théologien français du XVIIe siècle.
- (5) La théorie du phlogistique est une théorie chimique qui expliquait la combustion en postulant l’existence d’un « élément-flamme », fluide nommé phlogiston (du grec φλόξ phlóx, flamme), présent au sein des corps combustibles. Elle a été développée par J.J. Becher à la fin du XVIIe siècle, et développée par Georg Ernst Stahl. Cette théorie a été réfutée par la découverte du rôle de l’oxygène de l’air dans le processus de combustion, mise en évidence par Lavoisier au XVIIIe siècle, et a été supplantée par la théorie du calorique. – Phlogistique sur Wikipedia.
- (6) Souvent présenté comme le père de la chimie moderne, Antoine Lavoisier a inauguré la méthode scientifique, à la fois expérimentale et mathématique, dans ce domaine qui, au contraire de la mécanique, semblait devoir y échapper. Article consacré à Antoine Lavoisier sur Wikipedia.
- (7) Article consacré à Jean Rey (chimiste) sur Wikipedia.
- (8) Thermoscope : c’est un instrument destiné à déceler des différences de températures. Contrairement au thermomètre, le thermoscope ne permet pas de mesurer ces différences de manière absolue (en données quantitatives). – Thermoscope, Wikipedia.
Crédit Photos :
- Aduc 147 Lavoisier (A.L., 1743-1794), Auteur H. Rousseau (designer graphique), E.Thomas (graveur), domaine public.
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