Des Alsaciens au Pays des Bastides

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Réfugiés alsaciens à la cantine de Monpazier en 1939
Après l’arrivée des républicains espagnols, au début de l’année 1939, le Pays des Bastides continue à faire face à un afflux important de réfugiés. Il y a les Alsaciens proches de la frontière nord-est, évacués en septembre 1939, puis les réfugiés et les troupes en débâcle de l’exode de mai-juin 1940, sans compter les Lorrains expulsés de leurs villages par les Allemands, à l’automne de la même année…

L’évacuation de septembre 1939

À la construction de la ligne Maginot, sur la frontière nord-est de la France, avait été associé un plan d’évacuation des populations civiles. Les autorités militaires voulaient éviter ce qui s’était passé en 14-18 et mettre à l’abri les populations civiles afin de permettre aux armées de manœuvrer sans difficultés.

Dès le 1er septembre 1939, jour de la mobilisation générale (la guerre sera déclarée le 3), l’évacuation de 600 000 Alsaciens et Mosellans demeurant à proximité de la ligne Maginot fut ordonnée. Chaque département avait son lieu d’accueil. La Dordogne se vit confier une partie du Bas-Rhin comprenant Strasbourg et 19 villages situés au sud de cette ville, dans la région nommée le Ried, soit environ 80 000 Alsaciens.

La partie du Pays des Bastides – étendue au Bergeracois – en reçut pour sa part 6 749. Les cantons de Beaumont du Périgord et Monpazier accueillirent principalement des habitants du village de Rhinau, celui de Sainte Alvère reçut Gerstheim, Pontours Daubensand et les communes du Buisson et de Cadouin Obenheim. Les cantons de Lalinde et de Bergerac reçurent uniquement des Strasbourgeois.

Il fallut organiser l’accueil de ces populations souvent désemparées et fatiguées par un voyage de plusieurs jours dans des conditions de confort et d’hygiène déplorables. Fernand Fauchier, de Saint Avit Sénieur, raconte : « Je me souviens très bien de cette arrivée, de ces pauvres gens qui étaient tout à fait abandonnés. Ça faisait un va-et-vient, les voitures du bourg… Il y avait notamment… comment ça s’appelait ? Il y avait Monsieur Morel et plusieurs qui allaient en gare de Couze les chercher. Ils arrivaient là. Ils étaient complètement déboussolés ».

Les débuts furent difficiles car les habitants du Périgord n’étaient pas préparés à recevoir un si grand nombre de personnes. Les premières nuits se passèrent souvent sur la paille : « À Beaumont, on a couché sur la paille pendant 15 jours, dans une grande salle qu’il y avait. On était bien une trentaine » (témoignage de René Lindmann). Ce fut la même chose à Monpazier… Des cantines furent organisées dans des salles de fêtes, des restaurants, jusqu’à ce que les familles disposent d’un logement indépendant et puissent cuisiner elles-mêmes. En janvier 1940, il y avait encore une cantine collective à Mouleydier (pour 74 personnes), à Monpazier (pour 140), à Capdrot (pour 103) et à Sainte Alvère (pour 63).

La difficulté majeure fut de se comprendre ! Les Alsaciens avaient vécu sous l’occupation allemande de 1871 à 1919 et avaient fréquenté l’école allemande. Seuls les jeunes de moins de 20 ans s’exprimaient en français. Les autres parlaient leur dialecte alsacien. Pour des oreilles périgourdines, l’alsacien ressemblait terriblement à l’allemand, langue de l’ennemi contre lequel nous étions en guerre… Quant aux Périgourdins, surtout dans les campagnes, ils parlaient surtout en occitan. Il y eut donc des incompréhensions, parfois de savoureux quiproquos : « Un jour, au marché, une fermière essayait d’expliquer à ses clients alsaciens que le lait qu’elle vendait était de la veille et qu’il ne fallait pas attendre pour le cuire. Les gestes utilisés étaient tellement éloquents… qu’Émile Geschwindenhammer courut chercher une pompe à vélo ! » (témoignage d’Henri Simler).

Pour l’enseignement et les cultes, les Alsaciens avaient apporté avec eux leur régime concordataire. Des écoles spécifiques avec des instituteurs alsaciens furent créées chaque fois qu’il y avait au moins 15 enfants alsaciens. Ce fut le cas à Beaumont du Périgord, Saint Avit Sénieur, Mouleydier, Cadouin, Alles sur Dordogne, Molières, Lalinde, Capdrot, Monpazier, Sainte Alvère, Limeuil et Trémolat. Il n’y en avait pas à Creysse et le maire en réclamait une d’urgence car 17 enfants alsaciens et 18 lorrains devaient y être scolarisés.

Dehors le fatras français !, affiche d’Alfred Spaety, 1941 Coll. H. Solveen

Les difficultés s’apaisèrent après quelques semaines, surtout dans les villages accueillant l’une des communes du Ried. Entre paysans, on se comprend ! En l’absence de main-d’œuvre due à la mobilisation des hommes, les Alsaciens aidèrent aux travaux des champs. Ce fut plus compliqué pour les Strasbourgeois, habitués au confort d’une grande ville moderne. Ils se retrouvaient perdus au fin fond de la campagne périgourdine, sans eau courante et sans salle de bains ! De plus, ils ne participaient pas aux travaux agricoles auxquels ils ne connaissaient rien. En raison de l’allocation de réfugié qu’ils percevaient, les Périgourdins les accusaient souvent d’être « payés à ne rien faire ». Cependant la vie s’était organisée et les deux populations vivaient côte à côte, sans heurts.

L’exode et la débâcle de mai-juin 1940

Le 10 mai 1940, quand Hitler lança son offensive, les évacués alsaciens étaient toujours présents en Dordogne. En quelques semaines arrivèrent des foules de réfugiés de toutes régions (Belges, Luxembourgeois, Parisiens, habitants du nord de la France…) et de soldats en déroute fuyant devant les troupes allemandes. Le 29 juin, le préfet Marcel Jacquier avançait le nombre de 400 000 réfugiés en Dordogne.

On se serra dans les maisons tant bien que mal, on utilisa tous les locaux vides disponibles (hangars, granges, mairies, écoles) afin de loger tout ce monde qu’il fallut aussi nourrir. Or le ravitaillement était déjà difficile : la Dordogne était coupée de son centre d’approvisionnement habituel, Bordeaux, dont le port était occupé par les troupes allemandes.

Quelques semaines après l’armistice, les réfugiés des différentes régions de France purent commencer à rentrer chez eux. Les Alsaciens évacués durent attendre que les Allemands aient fait le ménage dans l’Alsace à nouveau intégrée à l’Allemagne (« Dehors le fatras français ! ») et mis en place le dispositif de leur retour. Les départs s’échelonnèrent d’août à octobre 1940. La plupart des Alsaciens choisirent de rentrer en Alsace où ils avaient laissé tous leurs biens. Pour les agriculteurs, leurs terres et leurs animaux. Pour tous, les tombes familiales. Mais ils ne se doutaient pas de ce qui les attendait. Les maisons inoccupées avaient été pillées, dégradées, vandalisées. Voici ce qu’en dirent les habitants d’Obenheim : « Après que l’armistice fut signé, tout le monde ne souhaita qu’une chose « Rentrer à la maison ». Certains de nos hôtes ne pouvaient comprendre pourquoi nous voulions aller chez les Boches. […] Le train quitta Le Buisson le jeudi 8 août, à 4 h du matin. Le dimanche 11 août 1940, la cargaison humaine entra en gare de Benfeld. Quelle joie de fouler de nouveau la terre natale ! » (témoignage cité dans Obenheim, une cité, une histoire, Roland Chrapatyj, Carré Blanc, Strasbourg, 2002).

Tous les réfugiés ne reprirent pas le chemin de leur domicile. Environ 15 000 Alsaciens choisirent de rester en Dordogne, dont les réfugiés de confession israélite. En 1941, on dénombrait parmi eux 3 800 français et 2 265 étrangers. La majorité vivait dans les grandes villes, mais les communes rurales en accueillaient également.

Conclusion

Soixante-dix ans après ces événements, il reste en Périgord un souvenir confus de cet accueil de réfugiés Alsaciens. Évacuation et exode se confondent le plus souvent dans les mémoires. Toutefois, des jumelages témoignent de leur importance : sur les 19 communes du Ried alsacien évacuées en Dordogne, 13 sont jumelées avec leur commune d’accueil périgourdine. Malgré la disparition progressive des témoins directs, les générations des enfants et petits-enfants ont pris le relais et les liens perdurent.

Catherine Schunck,
Présidente de l’association La Pierre Angulaire
et auteure de plusieurs ouvrages sur l’évacuation des Alsaciens

1 Commentaire

  • Pierre-François FLORES dit :

    De passage dans cette somptueuse région, les jumelages sont les témoins de notre passé commun. Éternels mercis à tous ces hôtes qui savaient mieux que quiconque la signification du mot patriote.

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