Des élections qui tournent mal (1849)

Quelle mouche a donc piqué les citoyens du paisible village de Saint-Félix de Villadeix les 13 et 18 mai 1849 ? Entraves électorales, menaces, coups et voies de fait à Liorac, émeute et rébellion à Saint-Félix… Une mouche socialiste peut-être ?

Le roi Louis-Philippe 1er (1) ayant abdiqué, la Seconde République a un peu plus d’un an en ce 13 mai 1849 où, pour la troisième fois, les citoyens sont appelés à voter au suffrage universel. Les élections précédentes des 10 et 11 décembre 1848 avaient porté Louis Napoléon Bonaparte (2) à la présidence de la République à une écrasante majorité, en particulier en Dordogne : 88,5 % des voix.

Il s’agit aujourd’hui d’élire les députés à l’Assemblée nationale. L’ambiance est lourde après les émeutes de juin 1848 qui ont fait couler le sang d’innombrables victimes. Toutes les libertés acquises depuis l’avènement de la Seconde République en février 1848 ont été supprimées par le parti de l’Ordre rassemblant (provisoirement) légitimistes et orléanistes, l’immense majorité des catholiques et des bourgeois effrayés par la récente menace de révolution sociale. En face, la Montagne regroupe tous les partisans d’une République démocratique et sociale. Quant aux ouvriers, une loi récente subordonnant leur droit de vote à un séjour de trois ans dans la même commune restreignait leurs suffrages. On comprend mieux que, dans de telles circonstances, les esprits se soient échauffés au cours de ces journées d’élections, même au plus profond de la Dordogne.

Premier acte

Lalinde est le chef-lieu de canton dont dépend la troisième section du collège électoral située à Liorac. Ce 13 mai, les Lioracois votent d’abord, ensuite les deux cents électeurs de Saint-Félix puis, enfin, ceux de Cause-de-Clérans. À 13 heures, Saint-Félix a presque fini de voter quand le curé de Clérans, appelé par son ministère, demande l’autorisation de voter avant son tour. Le président Beney, maire de Liorac, la lui accorde. C’est le prétexte qui déclenche les hostilités !

Selon L’Écho de Vésone qui couvre l’évènement, les électeurs de Saint-Félix « avaient été excités, dans un but coupable, à demander la permission de concourir à la garde de l’urne électorale qui devait passer la nuit à Liorac avant d’être dépêchée à Périgueux. À un refus probable, ils devaient répondre par le désordre et la violence ».

Conformément à ce plan, la demande du curé est repoussée aux cris de « À bas les riches, il n’y a plus de lois, vive les rouges ! ». Le maire de Liorac fait fermer les portes pour éviter l’affrontement mais Pierre Chadourne les brise « à coups de roues de charrette ». Les vitres volent en éclats, les gens de Saint-Félix se précipitent à l’intérieur, renversent les tables. L’urne tombe à terre, les coups pleuvent, on hurle « À bas les bleus, vive les rouges ! ». Chadourne frappe Chassagne, le capitaine lioracois de la garde nationale, et le menace de mort.

Beney suspend les élections pendant une heure. À la reprise, Léonard Lambert, le meneur, exige de présider la séance avec Louis Lafaye (de Saint-Félix tous les deux) comme scrutateur. Il veut aussi les clefs de l’urne. Pour éviter de nouvelles violences, Beney se plie à ses exigences mais le lendemain il signe des mandats d’amener contre Chadourne et Lambert, Prévot et Teulet pour « entraves apportées dans les opérations électorales, voies de fait et menaces, outrages au maire de Liorac ». Beney est un notable qui vit dans son château de Gential et sera maire de Liorac de 1835 à 1872. On le respecte.

S’ensuit un procès à Périgueux, les 18 et 19 août, où Lambert est puni de quinze mois de prison. Chadourne, Teulet et Prévot de cinq ans de réclusion, « arrêts qui soulèvent des sanglots dans la salle ». Mais heureusement pour eux, le Prince Président Bonaparte utilisera bientôt son droit de grâce. Ce n’est pas fini !

Deuxième acte

Toujours paru dans L’Écho de Vésone du 22 août, le compte-rendu de l’audience du 21 août concernant les évènements du 18 mai à Saint-Félix de Villadeix : la cour d’assises s’occupe ici « d’une affaire qui a de l’affinité avec celle jugée les 18 et 19 courant ».

Ce 18 mai, quatre gendarmes se présentent à Saint-Félix de Villadeix pour arrêter les individus désignés par les mandats d’amener du maire de Liorac. Ils en arrêtent deux dont Lambert et vont se renseigner à la mairie de la commune sur les deux autres. Le maire, Jérôme Perrot, aubergiste, est absent. Ils s’adressent à son adjoint Ferrié qui s’oppose à eux et ameute le pays ! On fait sonner le tocsin et la commune se soulève. Ils sont 200 armés de fourches et de bâtons, harangués par Lambert : « Je verserais mon sang pour vous, vous ne me laisserez pas emmener ». Sur le conseil de Beney, les gendarmes repartent sans Lambert.

Quelques jours plus tard, ils reviennent, escortés cette fois d’un escadron du 4e Chasseur de Bordeaux. Ils repartent avec cinq prisonniers mais ce sont dix personnes parmi les plus compromises qui sont arrêtées pour « rébellion premièrement avec armes et deuxièmement par plus de vingt personnes ». Provisoirement suspendu, le procès ne reprend que fin octobre. Pour attendre une période plus calme et apaiser les esprits ?

Sur les dix-huit inculpés, mis à part les inculpés jugés lors du premier procès, quinze ont été acquittés, les trois autres condamnés à un mois de prison et à cinquante francs d’amende. Peine symbolique, ils ont été d’ailleurs graciés eux aussi par le Prince Président.

Ces élections du 13 mai 1849 furent un duel national entre le parti de l’Ordre bourgeois et la Montagne ; les premiers conquirent 450 représentants contre 180 pour les seconds. Quant aux républicains modérés (dont Lamartine) ils ont été écrasés avec seulement 80 députés. Mais ce sont les résultats nationaux. Ils ne représentent pas ceux de la Dordogne qui était alors un des départements les plus rouges de France.

Parmi les dix montagnards élus par les Périgourdins, on compte plusieurs commissaires envoyés en 1848 par Ledru-Rollin pour donner aux campagnes quelques rudiments d’éducation républicaine : Jean-Baptiste Chavois, Marc Dufraisse, Auguste Mié, Timoléon Taillefer et Thomas Dusolier… Le préfet Albert de Calvimont l’expliquait ainsi au futur Napoléon III : « Nos paysans votent pour les rouges mais ils crient “Vive l’Empereur !” ».

Régine Simonet

L’élection présidentielle de 1848


L’élection présidentielle de 1848, organisée pour désigner le président de la Deuxième République française, s’est tenue les 10 et 11 décembre 1848 et s’est conclue par la victoire écrasante de Louis-Napoléon. Les résultats sont proclamés le 20 décembre. Il est élu au premier tour au suffrage universel, pour un mandat de quatre ans, avec 5 434 226 voix (74,33 % des voix) contre 1 448 107 voix au républicain modéré Eugène Cavaignac (19,6 %), 370 119 voix au démocrate-socialiste Alexandre Ledru-Rollin (5 %), 36 920 voix au socialiste François-Vincent Raspail (0,5 %), 17 210 voix au libéral (candidat de « l’illusion lyrique ») Alphonse de Lamartine (0,3 %) et 4 790 voix au monarchiste Nicolas Changarnier. Il s’agit de la première élection présidentielle dans l’Histoire de France. Cette élection du président de la République au scrutin direct de l’ensemble des électeurs resta une expérience démocratique unique jusqu’en 1965, date à laquelle Charles de Gaulle fut réélu pour un nouveau septennat au poste de président de la République française, avec 55,20 % des voix au second tour.

Premier président de la République, âgé de 40 ans et 8 mois lors de son élection, il est le plus jeune président élu, jusqu’à l’élection d’Emmanuel Macron, âgé de 39 ans en 2017. Son élection profite à la fois de l’adhésion massive des paysans, de la division d’une opposition hétérogène (gauche, modérée ou royaliste), et de la légende impériale, surtout depuis le retour des cendres de Napoléon Ier en 1840. Si quatre départements ne donnent pas la majorité relative à Louis-Napoléon (Finistère, Morbihan, Var et Bouches-du-Rhône), une vingtaine, essentiellement situés dans le sud-est et l’ouest, ne lui accordent pas de majorité absolue alors que dans 34 départements, il dépasse les 80 % des suffrages. Son électorat, bien que majoritairement paysan, se révèle hétéroclite mêlant bourgeois hostiles aux partageux, citadins des petites villes et ouvriers parisiens. D’ailleurs à Paris, il réalise un score homogène, recueillant autant de voix dans les beaux quartiers de l’ouest que dans ceux ouvriers de l’est. (3)

Campagne électorale 1848 : Bonaparte contre Cavaignac | Louis-Napoléon Bonaparte


Notes :

  • (1) Louis-Philippe Ier, né le 6 octobre 1773 à Paris, mort en exil le 26 août 1850 à Claremont (Royaume-Uni), est le second et dernier souverain français à avoir régné sur la France avec le titre de « roi des Français », et non plus « roi de France ». Bien moins traditionaliste que ses prédécesseurs, il incarna un tournant majeur dans la conception et l’image de la royauté en France. En effet, ce nouveau titre, déjà porté par Louis XVI de 1789 à 1792, est une innovation constitutionnelle liant la nouvelle monarchie populaire au peuple, et non plus au pays, au territoire. Il s’agit donc d’une monarchie contractuelle fondée sur un Pacte entre le roi et les représentants de la nation.
    Dix-huit ans à la tête d’un royaume en profondes mutations sociales, économiques et politiques, Louis-Philippe – par la monarchie de Juillet – a tenté de pacifier une nation profondément divisée. Cependant, la chute du régime qu’il a fait naître a pour principales causes d’une part la paupérisation des « classes laborieuses » (paysans et ouvriers) et d’autre part le manque de compréhension de la part des élites de la monarchie de Juillet pour les aspirations de l’ensemble de la société française.
    Pendant quelques années, Louis-Philippe règne plutôt modestement, évitant l’arrogance, la pompe et les dépenses excessives de ses prédécesseurs. En dépit de cette apparence de simplicité, les soutiens du roi viennent de la moyenne bourgeoisie. Au début, il est aimé et appelé le « Roi Citoyen », mais sa popularité souffre quand son gouvernement est perçu comme de plus en plus conservateur et monarchique. Il est régulièrement moqué, caricaturé, brocardé et les doutes sur ses talents de monarque bourgeois se cristallisent dans ce mot de Victor Hugo : « Le roi actuel a une grande quantité de petites qualités. » Dans son recueil de notes et de mémoires, Choses vues, l’écrivain indique que, sous son règne, ce roi graciait volontiers les condamnés à mort, geste qu’il admire et interprète comme une conséquence pour lui d’avoir vu son cousin Louis XVI et son père décapités par la guillotine.
    En février 1848, il est renversé par une révolution parisienne. La Deuxième République lui succède. — Voir la page Wikipedia consacrée à Louis-Philippe 1er.
  • (2) Charles-Louis-Napoléon Bonaparte, dit Louis-Napoléon Bonaparte, est né à Paris, le 20 avril 180. En février 1848, le roi Louis-Philippe Ier est renversé et la République est proclamée. Louis Napoléon rentre en France, fait une campagne politique en s’appuyant sur le souvenir glorieux de son oncle Napoléon Ier. Soutenu par les hommes politiques conservateurs, il est élu président de la République le 10 décembre 1848. Il est à la fois l’unique président de la Seconde République, le premier chef d’État français élu au suffrage universel masculin, le premier président de la République française, et après la proclamation de l’Empire le 2 décembre 1852, le dernier monarque du pays, sous le nom de Napoléon III, empereur des Français. Affaibli par la maladie et poussé de l’avant par son entourage et l’opinion publique, il engage une guerre désastreuse contre la Prusse qui va lui coûter son trône et ternir le bilan de son règne. Il est fait prisonnier à Sedan. Les républicains parisiens en profitent pour proclamer la République le 4 septembre 1870. Libéré, il doit s’exiler en Angleterre où il meurt à Chislehurst, au Royaume-Uni, le 9 janvier 1873. — Voir la Page Wikipedia consacrée à Napoléon III.
  •  (3) Consultez les pages Wikipedia consacrées à Napoléon III et à l’Élection présidentielle française de 1848.

Crédit Photos :

  • L’élection présidentielle de 1848, by Illustrierte Zeitung, via Wikimedia Commons.
  • Napoleon III of France, Charles-Louis Napoleon Bonaparte, via Wikimedia Commons.

Cet article a été publié dans le numéro 9 du magazine « Secrets de Pays ».

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