Travailleur acharné, le docteur Samuel Pozzi, le fils cadet de Benjamin, est crédité d’un cursus exemplaire : externat, internat, médaille d’or de l’internat, agrégation, chirurgien des hôpitaux de Paris, Professeur de la chaire de gynécologie.
Mais il est d’abord et avant tout un chirurgien remarquable qui a fait son douloureux apprentissage sur les corps mutilés lors de la guerre de 1870 : dans ce contexte, il travaille sans répit, drainant les blessures infectées et amputant les membres déchiquetés. Il observe les yeux hagards de ceux qui succombent à une péritonite, après des blessures abdominales ; il entend les cris des mourants se tordant de douleur, aux derniers stades du tétanos. Ces scènes monstrueuses resteront gravées à jamais dans son esprit et influenceront sa pratique de la chirurgie jusqu’à la fin de ses jours.
Samuel Pozzi, le défenseur de la gynécologie
Samuel est par ailleurs un gynécologue qui a voué tout son exercice professionnel à imposer cette discipline qui n’intéressait personne jusqu’alors. Il est partisan de la gynécologie conservatrice, refusant l’ablation de l’utérus et des ovaires et s’intéressant aux opérations réparatrices des mutilations congéniales ou acquises. Il se consacre aussi à l’amélioration du traitement des kystes ovariens en plaçant des drains à travers la peau et défend les avortements thérapeutiques. Il est le premier à sensibiliser le corps médical aux nécessaires respect, consentement et confiance devant être instaurés entre le médecin et la patiente lors de l’examen gynécologique.
Farouche défenseur de l’hygiène et de l’antisepsie, sa rencontre avec Joseph Lister, un chirurgien anglais, pionnier et vulgarisateur de l’antisepsie chirurgicale a été déterminante. Lister, effrayé par les désastres opératoires qu’il observe surtout chez les amputés, opérés majeurs à l’époque – le taux de survivants ne dépasse pas 50% – est un des premiers à comprendre que cette situation est liée aux déplorables conditions d’hygiène que connaissent les hôpitaux. Il est un adepte de la théorie des germes, formulée par Louis Pasteur, montrant que l’atmosphère est septique du fait d’organismes minuscules qui s’y trouvent en suspension et va découvrir fortuitement les propriétés de l’acide phénique : dès lors, il appliquera systématiquement sur les plaies, des pansements constitués de couches de gaze trempées dans une solution phéniquée, permettant de réduire le taux de mortalité opératoire de 50 à 15%.
Tout au long de son exercice professionnel, Samuel Pozzi n’aura de cesse de promouvoir les échanges et le partage. En France, la gynécologie – étude et traitement des maladies des organes génitaux féminins – reste alors gravement négligée. Les très nombreux voyages qu’il effectue à l’étranger – Angleterre, Ecosse, Allemagne, Autriche, États-Unis, Québec –, facilités par sa parfaite maitrise de la langue anglaise et de l’allemand, lui permettent de rencontrer ses homologues, de confronter leurs idées et d’échanger leurs expériences.
De même, cherchera-t-il toujours à transmettre son savoir au travers de l’enseignement qu’il prodigue aux étudiants et des nombreuses communications qu’il fait paraitre dans la presse spécialisée, relatant le résultat de ses essais. Dès 1884, il récupère une petite salle sombre et humide à Lourcine pour y installer une salle de cours et y enseigner la gynécologie de façon bénévole, puisque son projet d’enseignement officiel a été rejeté. Pendant dix-sept années, le cours sera libre, en dehors de toute institution universitaire.
Les grands traités de chirurgie étant tous allemands, Samuel Pozzi décide de s’attaquer à la rédaction de son propre traité de gynécologie. Présentant les principes de l’asepsie chirurgicale et de l’anesthésie, détaillant rigoureusement l’anatomie avant de décrire les techniques chirurgicales et les suivis post-opératoires à suivre, son traité de gynécologie clinique et opératoire qui parait en 1890 en deux volumes, est un énorme pavé de plus de 1000 pages, près de cinq cents figures dans le texte dont nombre de coupes microscopiques, presque toutes originales. Toutes les maladies féminines sont décrites avec leurs traitements, chirurgical et médical. Une véritable bible conduite par un seul homme, au point que certains refuseront d’y croire, prétendant qu’elle n’était pas entièrement de lui. Le succès de l’ouvrage est immédiat et le livre fera l’objet de nombreuses rééditions et de traductions en allemand, anglais, italien, russe…Visionnaire acharné, son traité devient rapidement un manuel fondamental et demeurera la principale référence dans ce domaine jusque dans les années 1940. Quant à la pince porte-aiguille qu’il présente pour la première fois à l’exposition universelle de 1889, on l’appellera rapidement, vu son succès, la pince de Pozzi. Spécialement conçue pour optimiser la traction du col de l’utérus, elle est toujours utilisée aujourd’hui par les gynécologues.
Samuel Pozzi est élu à l’Académie de médecine en 1896 et, reconnaissance suprême, il est nommé le 12 mars 1901, professeur de la toute nouvelle chaire de gynécologie, créée spécialement pour lui.
Samuel Pozzi, le mondain
Pour autant, la personnalité de Samuel Pozzi est marquée par une forte ambivalence : d’un côté le spécialiste rigoureux, travailleur acharné, la bête à concours, doté d’une intelligence exceptionnelle, réussissant tout ce qu’il entreprend, et de l’autre, le mondain, qui privilégie la fréquentation de ceux dont la notoriété est établie, plus particulièrement tournée vers les Arts et Lettres, où sa grande culture l’entraine naturellement.
Pozzi est par-dessus tout un séducteur impénitent. Dès le début de ses études, sa liaison avec Sarah Bernhardt perdurera épisodiquement pendant une dizaine d’années, entrecoupée de brouilles et de relations sexuelles intermittentes, laissant la liberté à l’un et à l’autre de connaitre d’autres aventures. « Quand il n’était pas son amant, elle était une amie simple et charmante » notera son ami Schlumberger. Après Sarah, Samuel n’a sans doute pas été insensible au charme de la fille de Théophile Gautier, Judith, femme étrange, dont la grande beauté subjuguait les uns, tandis que son intelligence d’esprit la faisait haïr des autres. Le nom de Geneviève Bizet est également souvent avancé. Fille du compositeur Jacques Fromental Halévy, elle avait épousé Georges Bizet, l’élève préféré de son père, qui devait décéder subitement peu de temps après, puis s’était remariée avec Émile Straus, l‘avocat des Rothschild. On lui prête aussi de nombreuses aventures avec ses patientes, surtout si elles sont célèbres. Ne le surnomme-t-on pas, L’Amour Médecin, Docteur Dieu ou Le beau Pozzi ?
À n’en pas douter, Pozzi aime le luxe et les mondanités. Bien qu’ayant fait un sincère mariage d’amour, son union avec Thérèse Loth Cazalis, riche héritière lyonnaise, lui apporte ce qu’il lui manque, la fortune. Son installation place Vendôme n’est pas anodine et ses salons richement décorés lui permettront de recevoir tout ce qui se fait de mieux à Paris. Il appartient au club des Mirlitons où il côtoie le peintre officiel de Sarah, Carolus-Duran, qui lui présentera l’un de ses élèves, John Sargent Singer ; ce dernier réalisera le fameux portrait en pied de Pozzi dans son peignoir de satin rouge, dans une attitude théâtralement majestueuse qui suscitera de nombreux commentaires peu flatteurs pour le modèle. Malgré ses obligations professionnelles particulièrement prenantes, Samuel fréquente assidument les salons à la mode, ceux de Mme Emile Straus, de Mme Aubernon de Nerville, de la princesse Mathilde, de Mme Arman ou de la comtesse Potocka… D’ailleurs, le nom du docteur Pozzi est souvent évoqué lorsque l’on cite le docteur Cottard, l’un des personnages du roman de Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, dont certains traits, comme la solennité, le snobisme, seraient empruntés à Pozzi. Familier du Tout-Paris, le chirurgien est au fait de sa gloire lors de ses interventions sur le kyste de l’ovaire de Sarah Bernhardt ou l’appendice d’Edmond Rostand, largement commentées.
Pour autant, Samuel aime profondément les arts et les artistes. Considéré par ses pairs comme un véritable Seigneur de la Renaissance, mêlant le faste à l’érudition, la générosité à la provocation intellectuelle, il contribue, lors de son internat, à l’image d’excellence de la salle de garde de la Charité, réputée être la plus agréable, la plus vivante, la plus gaie de Paris, la plus chic aussi. De jeunes écrivains, des artistes, des musiciens accourent à ces dîners. Son amitié avec Leconte de Lisle l’a introduit dans le cercle fermé de ses poètes, tandis que Mounet-Sully et Sarah Bernhardt lui ont ouvert les portes du théâtre et des artistes. Sa liaison avec Emma Fischhof, le grand amour de la fin de sa vie, lui permet de s’adonner à des plaisirs artistiques sans cesse renouvelés : voyages culturels, opéras, expositions… Entre ces deux êtres extrêmement cultivés, raffinés, sensibles, l’accord est parfait. Leurs sensibilités d’artistes se complètent admirablement et leurs séparations entre deux séjours est un total déchirement. Nul doute qu’ils se seraient remariés si Thérèse avait accepté de divorcer.
L’ancrage en Bergeracois
Particulièrement attaché à son Bergeracois natal, Samuel Pozzi ajoutera à son parcours une activité de gentleman farmer dans sa propriété de La Graulet qu’il ne cessera d’agrandir et d’embellir, ainsi qu’une courte carrière en politique, tour à tour conseiller général, maire et sénateur.
« Les Pozzi, Une famille d’exception »
Jean-Philippe Brial Fontelive consacre un livre à la famille Pozzi ; il raconte la saga de cette famille bergeracoise qui a laissé son nom à une rue et à un hôpital de Bergerac, ainsi qu’une pince porte-aiguille toujours utilisée par les gynécologues (pince de Pozzi ou tenaculum).
Fiche technique de l’ouvrage
- Format : 14,8 x21 cm. Nombre de pages : 196. Reliure : carré collé.
- Thème : Biographie consacrée à la famille Pozzi, une famille d’exception : le pasteur Benjamin Pozzy (1820-1905), le professeur Samuel Pozzi (1846-1918) et la poétesse Catherine Pozzi (1882-1934).
- Contenu : Benjamin, Samuel, Catherine – un père, son fils et sa petite-fille –, trois générations de Pozzi au parcours singulier, mais portés par une exigence commune, trois histoires ayant pour cadre le XIXe siècle et le premier tiers du XXe, période de profonds changements et d’instabilité politique, marquée par deux empires, trois monarchies, deux républiques, trois révolutions et deux guerres, mais d’une richesse intellectuelle et d’une création artistique incomparables.
- ISBN : ISBN 978-2-9560026-8-0 Parution : avril 2019. Prix public de vente TTC : 19 €.
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Crédit Photos :
- Dr. Pozzi at Home, 1881 par John Singer Sargent (1856-1925), Hammer Museum, Los Angeles.
- Une laparotomie à l’hôpital Broca par Samuel Pozzi – Bibliothèque interuniversitaire de santé [Licence Ouverte]