Il est né en 1936 à la Beynerie (hameau de Colombier, commune de Bayac). Son père y exploitait la carrière située sous la maison, comme ses parents et grands-parents. Mobilisé en septembre 1939, c’est son beau-père qui sera, pendant toute la guerre, l’homme de la maison. Arthur – c’est le prénom du grand-père de Bernard – a fait la « Der des Ders » de 14-18 et il suit de très près les événements. Son petit-fils écoute ses commentaires mais ne comprend pas tout…
De septembre 1939 à mai 1940, il ne se passe rien. Concentrés à l’arrière de la ligne Maginot, les soldats s’ennuient. « Drôle de guerre » ! Puis tout se déclenche très vite. L’armée allemande se met en marche, traverse les Ardennes et franchit la Meuse, évite la ligne Maginot, « invincible » pourtant – selon grand-père – et fond sur la côte où elle enveloppe Anglais, Belges, et une bonne partie de l’armée française.
C’est la débâcle. Près de deux millions d’hommes sont faits prisonniers, dont le père de Bernard. L’enfant assiste, médusé, à la débandade depuis la Loire de soldats français fuyant vers le Sud. Ils abandonnent dans la carrière, sous la maison, leurs camions, leurs automitrailleuses et des armes.
Le meunier du chateau de Bayac est indigné : « La guerre est faite par des hommes qui n’en veulent pas, pour des hommes qui ne la font pas. Ici, au château, le généralissime Gamelin (1) est planqué pendant que nos soldats se font encore tuer sur la Loire pour stopper l’ennemi. C’est une honte ! »
Paniqués, les civils quittent Paris pour se jeter sur les routes. C’est l’exode. Une famille exténuée échoue à La Beynerie. Les grands-parents l’hébergent. Ils sont Juifs… et le petit Claude devient le copain de Bernard.
Le 14 juin, les Allemands entrent dans Paris déclarée « ville ouverte ». Le 18, depuis Londres, un certain général de Gaulle invite les soldats français à le rejoindre. « Ça fait désordre » dit grand-père. Mais il se ravise quand, le 22 juin, le maréchal Pétain signe l’Armistice, partageant la France en zone occupée au Nord et zone libre au Sud.
« Pour continuer la lutte, il faut rallier de Gaulle. Avec son empire colonial et ses alliés, la France peut encore gagner », dit-il à ses vieux amis. Enfin, en zone libre, tout semble rentrer dans l’ordre et les parents de Claude décident de rentrer à Paris. Bernard ne reverra pas son copain Claude. En 1942, il sera l’une des victimes de la rafle du Vel’d’Hiv.
Bernard va à l’école. La maitresse leur fait chanter « Maréchal, nous voilà ! Devant toi le sauveur de la France… ». Ça énerve beaucoup grand-père qui discute avec ses amis d’une résistance éventuelle en zone Sud : « Il faut faire vite avant que l’Allemagne comprenne son erreur et envahisse la zone Sud ». C’est ce qui se passe en novembre 1942, à la suite du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord. Vichy ordonne de livrer à l’occupant les dépôts d’armes de l’armée en déroute et, le 5 décembre, un officier allemand et deux de ses hommes, conduits par le ferrailleur de Bayac, viennent visiter la carrière sous la maison. Bernard a six ans, sa maman lui demande d’aller vite prévenir son grand-père pour qu’il reste dans le bois jusqu’au soir tombé. Arthur aura toute la nuit pour saboter le matériel militaire avant le retour des Allemands qui, le lendemain, ne seront pas contents du tout ! Grand-père n’est pas le seul à résister. L’oncle de Bernard, d’abord interné au centre de séjour surveillé de Saint Paul d’Eyjeaux, prendra le maquis. Il sera de la bataille de Mouleydier en juin 1944. Avant d’être déporté à Ravensbrück, le fils de grand-père habitait à Monsac. Arthur y va souvent avec Bernard voir sa bru. En juillet 1943, de retour de Monsac, grand-père s’arrête à La Borie Neuve, une ferme en ruine au milieu des bois. « Je vais voir mes amis maquisards, n’en parle à personne ! » Il explique à l’enfant qu’à 7 ans, il est assez grand pour leur apporter une musette de nourriture de temps en temps. Le petit devait également donner au commandant un caillou dont la couleur lui indiquait le lieu du prochain rendez-vous, lui expliquera plus tard son grand-père. Bernard retrouvait à la Borie Neuve Jacques et Georges, deux garçons de Couze de 15 et 17 ans. Il connaissait aussi les deux forgerons qui réceptionnaient les armes parachutées par les Anglais dans la forêt de la Bessède.
La résistance en liaison avec Londres s’organisait et on attendait l’ordre d’empêcher par tous les moyens les renforts allemands de rejoindre le lieu encore inconnu du débarquement allié. En mars 1944, la division Das Reich doit rallier Montauban d’où elle peut intervenir tant côté Méditerranée qu’Atlantique. La division Brehmer, quant à elle, était en Dordogne. A partir du 6 juin, Londres donne le feu vert et Koenig, général en chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI), lance la guérilla sur les routes, les voies ferrées… C’est le « Plan vert » suivi à Bergerac, le Buisson, Eymet… Le 10 juin, la population du village d’Oradour sur Glane est massacrée. Le 21 juin, Mouleydier et Pressignac sont incendiés.
Le 9 juillet, Bernard revient de la boulangerie avec un vieil homme et une fermière de la Beynerie. Deux chars arrivent sur la route, puis un camion s’arrête, des soldats en sautent et arrosent de balles les collines d’en face. Un sous-officier dit aux trois civils : « Si les terroristes [qualificatif utilisé par les Allemands pour désigner les maquis FTP, d’obédience communiste] répondent, vous serez fusillés ! »
Un officier leur demande ce qu’ils font là. C’est Bernard qui répond : « Nous rapportons du pain de la boulangerie ». « Allez raoust ! » lui dit l’officier allemand. Il rejoint vite son grand-père et ils filent vers la colline boisée. Invisibles, à quatre pattes sous les feuilles, ils avancent. Grand-père se relève. Les tirs reprennent, il est touché superficiellement. La colonne repart enfin. Six heures de tirs et d’angoisse. Les deux vieux otages ont été relâchés, mais Jacques et Georges ont été tués. C’est la première fois que Bernard voit pleurer son grand-père.
Paris est libéré le 23 août. Pour Bernard la guerre est finie. « Une sale période pourtant où la France de Pétain se découvre résistante… » ronchonne grand-père, témoin désabusé des règlements de comptes villageois. Le père revient en 1945, l’oncle de Monsac aussi, libéré par les Russes… et squelettique ! Il est temps pour Bernard d’entrer au collège et de quitter ce grand-père qui lui avait enseigné les étoiles et la pêche à la main, les oiseaux, les cèpes et les truffes, qui l’avait enchanté de ses histoires et avait, en ces temps troubles, fait de lui une graine d’homme.
Bernard Gironnet fit de brillantes études. Sorti de l’École normale supérieure de l’enseignement technique (ENSET), il est nommé professeur à l’École normale supérieure des Arts et Métiers de Paris, responsable du bureau d’études des moteurs thermiques. Concepteur de voitures de courses, de stations de pompage en Afrique, de motopropulseurs pour ULM, il participe à la naissance du moteur Vulcain d’Ariane 4… Il est enterré au cimetière de Bayac.
Bernard Gironnet décrit dans son livre, « Juillet rouge » (Éditions L’Harmattan), son enfance dans la France rurale des années 40, entre la gravité des événements et la pêche à la truite.
Texte Régine Simonet, photo coll. Éliane Gironnet
sur une proposition de Chantal Maman