En Périgord, nul ne peut nier le charme né de la contemplation de la rivière Dordogne. Combien de riverains, de visiteurs, observent inlassablement l’eau s’écouler et baigner le pied des rochers et des falaises qui la bordent. Les oiseaux, eux aussi, constituent une véritable attraction. Sans conteste, le plus observé est le cygne tuberculé.
Le cygne tuberculé à la silhouette gracieuse mérite que l’on s’attache à sa biologie et à son histoire. Il s’agit du plus gros oiseau d’Europe pesant de 10 à 23 kg pour une envergure de 216 à 236 cm. Contrairement à une idée reçue, le cygne tuberculé est strictement végétarien. En plongeant la tête sous l’eau, grâce à son long cou, il peut atteindre les plantes aquatiques du fond et nettoie ainsi la rivière ! Autrefois très chassé, il avait, il y a un siècle, pratiquement disparu de régions entières en Europe. Grâce à des échappées de captivité, il est parvenu à recoloniser les territoires perdus. L’été, on peut compter plus de deux cents cygnes évoluant entre Couze et Mauzac, avec une forte concentration à Lalinde. Durant la saison de nidification, le mâle se montre hautement défensif, voire agressif. Quand les jeunes (au plumage gris) sont en âge de voler (vers 4-5 mois), ils quittent le territoire des parents qui, eux, sont accouplés pour la vie.
Une grande variété de poissons ou d’insectes aquatiques vit ou fait escale sur la rivière Dordogne. Les plus représentatifs étant le Martin-pêcheur, tel une pierre précieuse volante, et le héron cendré. Ce dernier, longtemps absent de nos contrées, niche à nouveau sous le barrage de Mauzac, grâce à l’arrêté de protection de biotope créé à son intention par la SEPANSO, la Fédération des chasseurs de la Dordogne et la Préfecture.
Ce site accueille également le canard colvert à la robe chatoyante et la gallinule ou poule d’eau. Le petit-gravelot, oiseau rare et mimétique, affectionne les galets en aval du barrage. Il pond ses œufs tachetés dans une dépression entre les graviers.
Le milan noir, rapace charognard de la Dordogne, visiteur d’été, hiverne au sud du Sahara. Ici, il niche dans les collines boisées à proximité de la rivière et se nourrit principalement de cadavres de poissons et de petits rongeurs.
L’hiver, la rivière Dordogne, jamais atteinte par le gel, devient terre d’asile pour des populations d’hivernants : de nombreux canards colvert, chipeau, pilet, souchet, mais aussi la bécassine des marais, la mouette rieuse et le goéland leucophée. Les chanceux, au gré d’une balade, pourront apercevoir le balbuzard pêcheur, rapace migrateur de 1,70 m d’envergure, venant s’alimenter, durant quelques jours, entre Lalinde et Mauzac. On peut le voir grandeur nature à l’Office du Tourisme de Lalinde, reproduit sur papier cartonné. Le grand cormoran, peu apprécié des pêcheurs en raison de l’importance de sa population, se nourrit principalement d’espèces communes, tel le poisson-chat. L’aigrette garzette et la grande aigrette, les élégantes, apportent une note supplémentaire à la beauté de nos sites aquatiques.
Le long de la Couze, un oiseau bien curieux hante les berges et le fond du cours d’eau : le cincle plongeur. De la taille du merle, il est le seul passereau capable de plonger dans des cours d’eau à fort courant. Il nage bien et capture larves d’insectes, petits crustacés et autres bestioles vivant au fond de la Couze. Les plus fortes populations se trouvent dans l’Auvézère et le Céou, respectivement sous-affluent et affluent de la Dordogne.
Chez les mammifères liés à l’eau, nous observons quatre espèces invasives introduites accidentellement ou volontairement : le ragondin, le rat musqué, le rat d’égout et le vison d’Amérique. Ces animaux n’ayant pas de prédateurs d’origine ont tendance à proliférer et à concurrencer nos espèces nobles et autochtones.
Parmi les mammifères nobles, la loutre, en timide recolonisation et le vison d’Europe, carnivore le plus menacé en Europe, sont aujourd’hui protégés. Le vison se nourrit d’amphibiens, de poissons faciles à capturer et de campagnols. Le campagnol amphibien, souvent confondu avec le rat, s’est raréfié, victime de campagnes d’empoisonnement (raticides et anticoagulants) tendant à éliminer ragondins et rats musqués.
Toutefois, la rivière ne se porte pas trop mal comparée aux autres rivières françaises ; la faible pollution y est tout de même croissante. Des menaces pèsent sur les poissons et insectes aquatiques, avec notamment les antibiotiques, les pesticides, les engrais chimiques de synthèse et les contraceptifs véhiculés par nos chasses d’eau : un cocktail contre nature qui stérilise les poissons en détruisant leurs spermatozoïdes.
Les responsables de ces phénomènes de raréfaction ne sont pas les espèces piscicoles, souvent incriminées, mais un animal vertical : l’homme.
Serge Fagette
Naturaliste à la SEPANSO