Marie-Antoinette Duboisdendien-Noël… histoire pénitenciaire

Prison de Paris © Charles Lansiaux / CVP / DHAAP

Du Cherche-Midi à la prison de Mauzac

Ce témoignage inédit sur l’exode pénitentiaire de juin 1940 rappelle que des dizaines de surveillants et des centaines de prisonniers provenant du Cherche-Midi et de la Santé vont former, au camp Nord de Sauvebœuf, la « prison militaire de Paris repliée à Mauzac ».

Marie-Antoinette Duboisdendien, portraitJusqu’à l’âge de 17 ans, Marie-Antoinette vit sa jeunesse à Paris, derrière les hauts murs de la prison militaire du Cherche-Midi. Son père y est adjudant-chef. Marie-Antoinette habite avec sa famille au troisième étage de la prison, juste au-dessus de l’entrée du tribunal militaire, à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail, à deux pas de l’hôtel Lutetia et de la Banque de France.

Tous ses souvenirs d’enfance sont restés là-bas, au Cherche-Midi… Avec un sourire malicieux et des yeux rieurs, cette dame de 91 ans nous raconte le petit jeu qu’elle avait imaginé et qui consistait à arroser, avec une poire à lavement remplie d’eau, ceux qui franchissaient la porte du tribunal… jusqu’à ce que son père s’en aperçoive, monte précipitamment jusqu’au 3e étage et confisque l’objet du délit !

Le 10 juin 1940, en raison de l’offensive allemande sur Paris, le ministère de l’Intérieur ordonne le repli de la prison militaire. Le 12 juin, c’est l’évacuation générale : 297 prisonniers du Cherche-Midi et leurs gardiens prennent place dans les autobus de la STCRP (Société des transports en commun de la région parisienne) et se dirigent vers le sud. Le 21 juin, ils arrivent au pied des Pyrénées, non loin de Navarrenx, et sont conduits au sinistre camp de Gurs. Ils y resteront jusqu’au début du mois de novembre 1940.

Prison de Paris © Charles Lansiaux / CVP / DHAAP

Prison du camp de Mauzac © Photo Galerie Bondier-Lecat

Marie-Antoinette garde des souvenirs très précis de l’exode qu’elle, sa mère et son frère ont vécu, entassés à cinq dans une voiture conduite par Jean, le grand frère qui a son permis.… Les longues files de réfugiés fuyant le Nord de la France et Paris, sa capitale ; les ponts sur la Loire que l’armée en déroute menace de faire sauter pour tenter de freiner l’avancée fulgurante de la Wehrmacht ; les attaques fréquentes des « stukas » de la Luftwaffe et des avions italiens qui mitraillaient en passant au-dessus des routes encombrées en volant en rase-mottes ; les morts abandonnés sur les bords des fossés… puis l’arrivée à Oloron Sainte Marie, épuisés, au terme d’un voyage cauchemardesque.

De Gurs, l’adolescente conserve en mémoire l’image d’un camp immense, formé d’une enfilade sans fin de baraques entourées de barbelés. Elle se souvient aussi de l’arrivée des juifs allemands, à la fin du mois d’octobre 1940. On a séparé les hommes des femmes, puis les femmes des enfants. Les cris des enfants, leurs tentatives désespérées pour rejoindre leurs mères… les cris des mères qui demandent aux enfants de s’éloigner des barbelés craignant que ceux-ci ne soient électrifiés… Marie-Antoinette se souvient d’une fillette qui s’est faite écraser sous les roues d’un camion conduit par un Allemand, alors qu’elle tentait de retrouver sa mère.

Le 6 novembre 1940, la « Prison militaire de Paris repliée au camp de Gurs » est à nouveau déplacée, et cette fois en Dordogne. Les tribunaux militaires de Paris étant installés à Périgueux, les« préventionnaires » (prévenus en attente de jugement) doivent être mis à la disposition de la justice militaire, non loin du tribunal compétent. Mauzac est choisi comme lieu de regroupement des prisonniers issus du Cherche-Midi et de la prison de la Santé, son annexe. Un lotissement composé d’une douzaine de baraquements destinés à l’origine aux ouvriers affectés à la construction de la Poudrerie de Mauzac est réquisitionné. Trois rangées de barbelés suffisent à le transformer en prison militaire. Il est situé à Sauvebœuf, sur la commune de Lalinde.

Marie-Antoinette se souvient très bien du nom des commandants qui se sont succédés à la prison militaire : capitaine Kersaudy, capitaine Bayle, lieutenant Gros et lieutenant Chappert, sans oublier le capitaine Chaussat, nommé par la suite directeur du camp Sud.

Le 25 avril 1942, Mademoiselle Marie-Antoinette Duboisdendien se marie avec Monsieur Émile Noël. Peu de temps après, en mars 1943, Émile est requis pour le STO (Service du travail obligatoire). Femme de caractère, Marie-Antoinette entend bien se rendre utile. Après le départ de son mari, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle propose ses services au groupe local de la Résistance dirigé par Mojzesz Goldman, dit « Mireille », puis rejoint le groupe Cerisier en septembre 1943, après l’arrestation du chef départemental du maquis de l’AS. Elle assure des missions de ravitaillement et de renseignements, puis prend part aux actions sanitaires du secteur, principalement après le 21 juin 1944, lors des événements tragiques de Mouleydier au cours desquels vingt-quatre maquisards sont fusillés par les membres de la 11e Panzer Division commandée par le Major Karl Bode. Elle se distingue en participant activement à l’enlèvement des corps affreusement mutilés, leur rendant autant que possible forme humaine avant de les remettre à leurs familles. Parmi eux se trouvent Georges Noël, son beau-frère, dont le visage, méconnaissable, a été piétiné par des bottes allemandes.

Prison de Paris © Charles Lansiaux / CVP / DHAAP

L’équipe féminine de basket de Mauzac, 1943, coll. Mme Noël. En bas à droite, Marie-Antoinette Duboisdendien. Debout en haut à droite, Marie-Rose Duboisdendien,

Le 1er février 1945, âgée d’à peine 20 ans, Marie-Antoinette trouve un emploi à la prison militaire de Mauzac, en qualité de surveillante auxiliaire. Elle garde les femmes détenues accusées de collaboration et d’atteinte à la sûreté de l’État. Elles sont au nombre d’environ quatre-vingt. Il lui faut se faire respecter. Au début, son jeune âge, sa petite taille et son allure d’adolescente lui valent quelques quolibets : « Voilà qu’on nous envoie la classe bébé ! » Mais c’est mal la connaître, car bientôt, son autorité n’est plus contestée. Madame Noël reste ainsi surveillante jusqu’à la dissolution de l’établissement, le 19 mai 1945. La prison militaire est versée au ministère de la Justice et les femmes qui s’y trouvaient sont alors transférées à la maison centrale de Rennes.

Puis c’est le retour à Paris où une nouvelle carrière s’ouvre à elle : Marie-Antoinette Noël crée et dirige une société de déménagement et de tournées théâtrales en Europe dont elle va s’occuper jusqu’à sa retraite et son retour en Périgord. Sur le plan familial, le couple a trois enfants : Claude, Christian et Philippe.

Le 17 mars 2012, au lendemain de son 89e anniversaire, Marie-Antoinette Noël est promue chevalier de la Légion d’honneur, médaille qu’elle reçoit des mains de Philippe Ducène, conseiller général et maire de Sainte-Alvère, en présence de Madame le maire de Couze et Saint Front, Véronique Dubeau-Valade, des conseillers généraux Dominique Mortemousque et Serge Mérillou, ainsi que de M. Bernard Gouzot, ancien maire et docteur à Lalinde.

Jacky Tronel

Cet article a été publié dans le numéro 5 du magazine« Secrets de Pays ».

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