La Bête de Sarlat, l’histoire d’un loup enragé au XVIII° siècle

Le bon berger (1616), détail, par Pieter Brueghel le Jeune

C’est en 1940, très exactement le 6 décembre, à 17h30, que fut abattu le dernier loup français. C’était à Javerlhac, en Périgord vert. Mais depuis, le loup est réapparu en Dordogne, après une parenthèse de soixante-quinze années. En effet, le 30 octobre 2015, un animal appartenant à la famille des canis lupus a été abattu, à Saint-Léon-sur-l’Isle. L’histoire du loup en Périgord remonte aux origines, comme en témoigne une peinture rupestre de la grotte de Font-de-Gaume. Mais ce fut une cohabitation difficile, ponctuée d’événements parfois tragiques. L’un de ses épisodes concerne un loup enragé qui terrorisa le Périgord au XVIIIe siècle. Il est passé à la postérité sous le nom de « La Bête de Sarlat ». On lui attribue une série d’attaques contre des humains dans le Sarladais. Bien que marginales, ces attaques ont eu une répercussion sur l’inconscient collectif. Aujourd’hui, le loup est toujours un sujet tabou…

En mars 1766, une dizaine d’attaques mortelles étaient déjà recensées dans les paroisses proches de Sarlat. Une véritable panique gagna alors les habitants de cette région, qui se mirent à parler d’une bête gigantesque assoiffée de sang humain et d’un loup-garou (1). On l’apercevait en tous lieux, même dans les venelles sombres de Sarlat. La peur était telle que les Sarladais n’osaient plus sortir à l’approche de la nuit tombante. La bête fit une quinzaine de victimes avant que les seigneurs n’organisent une battue qui rassembla plus de cent fusils, au début du mois d‘août 1766, au cours de laquelle l’animal fut débusqué et tué.

Il s’agissait d’un loup enragé, mais le peuple, préférant la légende à la réalité, continua à entretenir la légende d’un garou. Contrairement à la bête du Gévaudan qui sévit entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767, « La Bête de Sarlat » n’attaquait pas les femmes, mais exclusivement les hommes.

« Il vient de paraître, aux environs de Sarlat dans le Périgord, une bête féroce, que l’on a jugé être un loup enragé, d’une grandeur extraordinaire. Cette bête féroce parcourut, avec une vitesse incroyable, les paroisses de Saint-Julien et Groléjac. En vain nombre d’habitants de l’une et l’autre paroisse voulurent s’opposer aux ravages de ce cruel Animal. Dix-huit à vingt personnes furent les tristes victimes de sa fureur.

Cet Animal faisait le contraire de la Bête du Gévaudan, dont il a été t’en parlé ; car il semblait que celle-ci n’en voulait qu’aux hommes, au lieu que celle du Gévaudan attaquait les femmes de préférence. Prêt à fondre sur sa proie, elle hérissait son poil, et les yeux tout en feu, se dressait sur ses pieds de derrière, et tachait de saisir sa victime, tantôt visage, tantôt aux autres parties de la tête. Pour arrêter les ravages de ce redoutable ennemi, dont les suites fâcheuses ne se faisaient déjà que trop sentir, le sieur du Dubex de Defcamps, bourgeois de Saint-Julien, rassembla environ cent paysans de l’endroit, auxquelles se joignirent plusieurs habitants de Mareuil. Au jour assigné, vers les neuf heures du matin, ou lança cet Animal dans une montagne couverte de bois. Là, il fut tiré sans effet par différents Particuliers sur lesquels se jette cet Animal plein de rage, et qu’il blessa. L’un deux aurait infailliblement péri sous la dent cruelle de cette bête féroce, s’il n’eut été secouru à temps par le nommer l’Efpitalié, du bourg de Saint-Julien, qui repoussa l’Animal à coup de hallebarde. Mais soit que la pointe de cette arme fut émoussée, ou que la peau fut assez dure pour y résister, la hallebarde plia, sans pouvoir la percer. La bête s’étant promptement débarrassé, gagna la plaine, et fut poursuivie par le sieur Dubex de Defcamps, qui tâcha de la dépasser pour la prendre en tête. L’Animal voyant le sieur du Dubex seul dans un pré, courut à lui de toute sa force. L’intrépide de Defcamps l’attendit de pied ferme sur son cheval, jusqu’à ce que l’Animal l’ayant joint, et s’étant dressé sur ses pieds, prêt à fondre sur lui, il lui tira un coup de fusil à bout portant, et le tua. La balle était entré par le col, et sorti par les côtes. On a présumé que c’était un loup enragé, dont la hauteur extraordinaire est de deux pieds et demi [soit près de 80 centimètres] (2), parce que quatre des personnes qui ont malheureusement été blessées par ce cruel Animal, sont mortes avec tous les symptômes de la rage, et l’on traite les autres avec des frictions mercurielles qui ont déjà eu du succès en pareilles occasions.

Cet Animal est mâle, et autant qu’on en peut juger, il n’avait que douze ou quinze mois. Sa longueur entière est de 4 pieds 4 pouces [soit 1,3 mètre] (2) ; ses jambes de derrière sont plus longues que celles de devant ; il a les oreilles grandes et larges, la tête carrée, et assez ressemblante à celle d’un Renard ; le museau pointu, la gueule large et garnie de quarante-deux dents tranchantes et effilées, dont quatre sont en forme de crochet (3). Il y a quelques parties ressemblantes à celle d’un Lévrier ; son poil mêlé de gris et de fauve est moins rude que celui d’un Loup ordinaire, et approche assez celui du Renard (4).

Le seigneur sensible aux vœux des malheureux, et toujours prêt à leur faire sentir les effets de sa clémence, inspira au sieur Dubex de Defcamps ce courage et cette activité si nécessaire, pour délivrer le Pays d’un Animal si redoutable.

Lu et approuvé, ce 5 août 1766.

Vu l’Approbation, permis d’imprimer, ce 7 août 1766. De Sartine. »



Notes :

  • (1) Un loup-garou est un humain qui, dans les mythologies, les légendes et les folklores, aurait la capacité de se transformer, partiellement ou complètement, en loup. La lycanthropie est aujourd’hui scientifiquement reconnue comme symptôme d’une maladie mentale dans laquelle la personne se croit changée en loup, on parle alors de lycanthropie clinique. — Extrait de la page Wikipedia consacrée à la Lycanthropie clinique.
  • (2) En 1876, en Dordogne, un autre loup dont l’âge est estimé à onze ans mesurait 1m70 de longueur sur 0,72 m de hauteur [La Chasse illustrée, 29 janvier 1876.] Les loups imposants ne sont pas rares. Le poids maximum relevé, sur 500 cas environ, est celui d’une femelle de 48 kilos tuée en 1877 à Jumilhac-le-Grand, d’un mâle de 48 kilos tué aussi à Jumilhac en 1855 et d’un autre mâle du même poids tué en 1885 à Bourniquel. — Extrait d’un article de Bernard Reviriego, paru dans « Mémoire de la Dordogne », Revue semestrielle éditée par les Archives départementales de la Dordogne, n° 2 de juin 1993.
  • (3) La mâchoire du loup est capable d’exercer une pression de 150 kg/cm² contre 60 kg/cm² pour le chien. — Loup gris (Linnaeus 1758) – Canis lupus, un article de Futura Planète.
  •  (4) Afin de toucher la prime d’abattage, certains chasseurs font passer de jeunes renards pour des loups. Ces deux espèces sont très ressemblantes quelques jours après leur naissance. Il est toutefois possible de les distinguer grâce aux poils blancs qu’il y a à l’extrémité de la queue du renard et que n’a pas le jeune loup.
    La robe la plus commune du loup commun (Canis lupus) est composée le plus souvent d’un mélange de poils gris assombris de poils noirs. Cependant, des individus peuvent être entièrement noirs ou blancs, présenter un poil fauve, roux ou brun. Le poitrail, le cou, le bas de la mâchoire et les parties internes des membres sont plus clairs. La fourrure est dense ; elle est composée d’un sous-poil abondant protégé par les poils de garde. À la fin du printemps, la mue laisse apparaître la fourrure d’été qui s’épaissira tout au long de l’année pour devenir le manteau d’hiver. — Extrait de la page Wikipedia consacrée au Canis lupus.

Crédit Photos :

  • Loup gris de la meute, by Dfrancou (own work), via Wikimedia Commons.
  • Portrait d’un Loup gris, by Gary Kramer (own work), via Wikimedia Commons.
  • Le bon berger (1616), détail, par Pieter Brueghel le Jeune, Photograph by Rama, via Wikimedia Commons.

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