Au temps de la race « Périgorde », le berger n’intervient pas sur la reproduction ; il laisse faire la nature et se contente de choisir les béliers parmi les agneaux les plus beaux et les plus robustes du troupeau. Par cette « auto-sélection » il espère favoriser les souches de mères les plus laitières et donc les plus aptes à élever leur agneau. Le berger laisse ces jeunes mâles dans la troupe des mères pendant trois ou quatre ans, sans souci des risques de consanguinité. L’essentiel pour lui est de parvenir à maintenir ses effectifs et produire les quelques agneaux que la famille engraissera comme des chapons en vue des foires annuelles. Les agneaux naissent toute l’année et doivent leur survie davantage aux efforts du berger et sa famille qu’aux qualités maternelles et laitières des brebis.
À la fin du XIXe siècle, le berger en introduisant des béliers issus de troupeaux différents du sien, commence à raisonner les accouplements. Il cherche à obtenir des agneaux plus vigoureux et bien conformés qui « présenteront bien » à la foire. Il porte son choix vers des béliers plus grands, plus charpentés, capables de produire des agneaux plus lourds.
Au début du XXe siècle, une nouvelle étape est franchie avec le choix des races rustiques sachant s’adapter à des conditions précaires. Celles-ci sont capables de produire de façon très économe : elles consomment tous types de fourrages, même médiocres. La frugalité et la résistance des brebis rustiques s’accompagnent d’une capacité plus grande à mettre bas toute l’année. Cette double aptitude sera peu à peu mise à profit par le berger périgourdin.
Le choix judicieux des mâles à accoupler aux femelles, de type rustique ou semi-rustique, permet de produire des agneaux de bonne conformation, présentant des masses musculaires développées sur un squelette fin. Ils sont appréciés pour leur viande à la saveur délicate et peu chargée en graisse, qualités reconnues comme celles de l’agneau du Périgord.
La périgorde, une race locale
À la fin du XIXe siècle, la population ovine est majoritairement constituée d’animaux issus d’une race locale, appelée communément « la Périgorde », encore à l’état de race pure dans certains troupeaux du Nontronnais et du Périgord Central.
Cette race locale donnait des moutons de grande taille, hauts sur pattes, anguleux et maigres, recouverts d’une toison blanche ou marron, aux extrémités souvent noires. Leur laine, comme leur viande, était peu abondante et de médiocre qualité. Leur principal avantage résidait dans leur remarquable rusticité et sobriété, leur permettant de s’adapter parfaitement à des conditions de vie difficiles.
De nouvelles races ovines sont introduites au XXe siècle
À partir du début du XXe siècle, les éleveurs périgourdins suivant l’évolution générale commencent à s’intéresser au progrès génétique. Ils s’orientent vers la pénétration de nouvelles races rustiques, récemment créées ou améliorées, dans le but de remplacer la Périgorde ou d’en améliorer la conformation et le rendement en viande des carcasses par croisement.
a) La race Charmoise
Dans un premier temps fut introduite la race Charmoise. Cette race a été créée au milieu du XIXe siècle par l’agronome-éleveur Édouard Malignité. Elle est issue du croisement de bélier anglais (béliers de la race anglaise améliorée Romney-Marsh appelée New Kent en France) avec une brebis issue de croisements entre des races rustiques françaises (Berrichon, Mérinos, Tourangeau, Solognote). Il s’agit d’une race très résistante à la sécheresse – ce qui constitue un atout important lorsque le fourrage vient manquer – et très bien adaptée aux conditions d’élevage en plein air avec agnelage sous abri. On retrouve donc des Charmoise dans des zones herbagères de qualité médiocre avec une conduite extensive. D’autre part, c’est une race à croissance lente, donc très bien adaptée à la production d’agneaux d’herbe pour une commercialisation possible au quatrième trimestre sous la forme d’agneaux de report. Sa bonne aptitude au désaisonnement naturel permet jusqu’à trois agnelages en deux ans, avec une productivité annelle de 1,3 à 1,4 agneau par brebis. Enfin, elles présentent une bonne résistance aux maladies, en particulier aux parasitoses gastro-intestinales. En bref, elle présente le double avantage de donner une viande abondante et excellente et de conserver des qualités de sobriété, de rusticité et de souplesse chez les mères.
En 1938 la Dordogne, qui se classe parmi les 5 premiers départements de France pour la production ovine, est devenue un élément important du bassin Charmois. Cependant, les agneaux issus de ce croisement présentaient deux inconvénients importants ; leur gabarit réduit et leur viande trop grasse. Les éleveurs se tournent alors vers une autre race rustique. (1)
b) La race Berrichonne de l’Indre
Dans un second temps, la race Berrichonne de l’Indre, connue pour sa très grande rusticité est préférée, du fait de son gabarit plus long et plus haut, à celui de la Charmoise. Capable de survivre au grand air dans des conditions atmosphériques relativement difficiles, la femelle Berrichonne est aussi très sobre et sait « s’engraisser » avec une consommation réduite. C’est un très bon marcheur, qui peut se contenter de fourrages grossiers et d’une alimentation frugale y compris sur des zones relativement insalubres. Elle a ainsi permis de valoriser les zones marécageuses de la Double et du Landais, deux régions très pauvres du Sud-Ouest de la Dordogne où il était alors très difficile de pratiquer l’élevage. Elle est aussi capable de désaisonner facilement et permet de conduire l’agnelage en saison et en contre-saison, de septembre à novembre et de décembre à avril. Les brebis sont très prolifiques, avec en moyenne 1,7 agneaux par brebis et par an. D’autre part, la race est intéressante pour sa production de viande de qualité. Elle a un rendement en viande nette d’environ 50 %, mais qui peut atteindre 55 %. C’est la raison pour laquelle la race a été répertoriée dans la base de données de l’Arche du goût, parmi les produits alimentaires de qualité menacé d’extinction. Sa conformation est, par contre, moyenne et pourrait être améliorée (les brebis pèsent entre 60 et 70 kg et les béliers entre 80 et 110 kg).
Ce croisement largement utilisé dans les années 1950 fut peu à peu délaissé du fait de la disparition progressive des troupeaux de Berrichon de l’Indre dans leur bassin d’origine. Elle est aujourd’hui menacée et fait l’objet d’un programme de conservation. On compte environ 7 000 animaux aujourd’hui.
c) La race Caussenarde du Lot
À la même période, la race Caussenarde du Lot se déploie sur les causses du Périgord Noir, à partir de sa région d’origine, le département du Lot. Race également très sobre, ses qualités naturelles de rusticité (les moutons passent la majeure partie de l’année dehors, ne rentrant que pour l’hiver), de résistance à la chaleur et aux tiques (pyroplasmose), ainsi que son aptitude à la marche conviennent particulièrement bien aux plateaux caussenards, secs et pauvres, de l’est du département. Elle sait par ailleurs valoriser les maigres ressources herbagères qu’elle pâture, mangeant, si nécessaire, des ligneux pour compléter ses besoins. Les agneaux issus de cette race étaient reconnus pour la saveur particulière de leur viande.
Ces trois races, Charmoise, Berrichonne de l’Indre et Caussenarde du Lot, choisies pour leur rusticité, leur endurance, leur sobriété, leur capacité à pâturer sur des parcours pauvres, leur aptitude à désaisonner et à se nourrir sans difficulté leur agneau, constituent, en race pure ou en croisement, jusqu’aux années 1970, le socle du cheptel périgourdin.
Les races ovines d’aujourd’hui en Périgord
Aujourd’hui, ces trois races ont vu leurs effectifs diminuer, en race pure, et même en croisement, dans leur berceau d’origine et sur la zone Périgord. Elles ont été remplacées peu à peu par la race Lacaune type viande et la race Blanche du massif Central, qui représentent aujourd’hui plus de 70 % des effectifs sur la zone Périgord. Comment expliquer ces nouveaux choix ?
a) La race Lacaune type viande
La Lacaune est une race ovine française initialement à aptitude mixte qui comprend aujourd’hui deux variétés : la Lacaune lait et la Lacaune viande. C’est une race de format moyen à lourd. La brebis lacaune pèse de 70 à 80 kg pour une hauteur au garrot de 70 à 80 cm, tandis que les mâles pèsent de 95 à 110 kg. La race Lacaune type viande, créée depuis une trentaine d’années à partir du troupeau Lacaune laitier, est rustique et très facile à élever. Elle est bien adaptée à la conduite sur parcours et bénéficie de bonnes qualités laitières et maternelles qui permettent de pratiquer le système de trois agnelages en deux ans. La précocité des agnelles est également remarquable. Les agneaux, bien nourris par une mère bonne laitière ont une croissance excellente et une bonne conformation ; ils sont reconnus pour la qualité exceptionnelle de leur peau, texture et finesse du grain. Leur cuir alimente les tanneries et fabriques de produits de luxe de la région de Nontron. Cette race représente 20 % du cheptel ovin en France.
b) La race Blanche du Massif Central
La race Blanche du Massif Central, issue des multiples petites populations caussenardes de la Margeride, région montagneuse de la partie sud du Massif central, s’est imposée depuis une vingtaine d’années sur l’ensemble du pourtour du Massif Central où elle a supplanté les anciennes souches moins bien conformées et moins productives. Sa principale qualité reste sa rusticité et sa capacité d’adaptation à des conditions difficiles, en montagne sèche et aride comme dans les causses, mais également sous des climats plus continentaux. Elle est peut vivre toute l’année en plein air et c’est une bonne marcheuse bien adaptée à l’élevage dans les parcours, y compris lorsqu’ils sont médiocres. Bonnes laitières et bonnes mères, les femelles se désaisonnent facilement ; elles peuvent donc agneler à n’importe quelle période de l’année, généralement au printemps et à contre-saison (automne).
c) La souche Romane, ou INRA 401
La race INRA 401 – plus exactement une souche – est mise au point par l’INRA à la suite d’un programme de recherche démarré en 1963, à partir du métissage de deux races très rustiques, Romanov (une brebis noire, à la laine plus ou moins grise, originaire de Russie) et Berrichon du Cher (une race bouchère du centre de la France). À force de croisements successifs, l’INRA parvint à obtenir une race stabilisée, qui est officiellement déclarée comme telle en 1977. Les premiers béliers INRA 401 sont mis en circulation dans les élevages en 1980, et les éleveurs commencent alors à les utiliser sur leurs brebis en croisements d’intégration. En raison de son origine un peu particulière, la Romane n’est rattachée à aucun terroir d’origine. On la trouve sur l’ensemble du territoire français, où elle est assez dispersée, bien que légèrement plus présente dans les bassins traditionnels de production de la moitié Sud de la France où on trouve 60 % des effectifs. De ses origines, elle a conservé des aptitudes maternelles certaines : désaisonnement, agnelage facile et production de lait. Elle est ainsi capable de produire et allaiter toute l’année, y compris dans des conditions de vie difficiles. On compte aujourd’hui 80 000 brebis dans 400 élevages, ce qui en fait la huitième race allaitante française en termes d’effectifs.
Ces trois races très rustiques sont élevées en croisement, avec des béliers améliorateurs. Les croisements sont maîtrisés par les éleveurs et le choix de la race des pères se porte sur les accouplements permettant soit d’améliorer la carcasse des agneaux, soit de conserver les qualités maternelles des futures mères ; rusticité, aptitude au désaisonnement et à la lutte naturelle.
Le contenu de cette page a été rédigé à partir du Dossier IGP Agneau du Périgord. 3 Avenue Léonard de Vinci. Version modifiée novembre 2009. 33608 Pessac Cedex 1. (2)
Notes :
- (1) Contribution à l’inventaire économique du Sud-Ouest, édition Bière, 1957 – AREOVLA.
- (2) Dossier IGP Agneau du Périgord. 3 Avenue Léonard de Vinci. Version modifiée novembre 2009. 33608 Pessac Cedex. 1.
Crédit Photos :
- Agneaux (ovis aries) de race romane INRA 401, bergerie nationale de Rambouillet, By Jiel Beaumadier (Own work), via Wikimedia Commons.
- Mouton de race chamoise, Salon international de l’agriculture 2011, Paris, By Eponimm (Own work), via Wikimedia Commons.