Jusque-là, l’administration municipale était le plus souvent assurée par des familles seigneuriales dont le pouvoir se transmettait de père en fils. Ce mode de gestion se traduisait parfois par des mesures assez arbitraires peu appréciées des administrés. Mais au XIIIe siècle, on voit poindre quelques changements dans quelques grandes villes comme Marseille. Il semble cependant que ce soit les bastides qui aient véritablement innové dans ce domaine. Les consuls ou jurats étaient les représentants des habitants auprès du seigneur ou des officiers royaux chargés de l’administration de la bastide en liaison avec le bayle.
L’administration des bastides : les consuls, jurats ou jurés
Le plus souvent des consuls représentaient la population auprès des fondateurs et participaient à l’administration de la bastide. Suivant les endroits, on les appelait aussi jurats, un mot occitan issu du latin juratus, « qui a prêté serment ». Le conseil des consuls s’appelait consulat, le terme consulatus dérivant du mot consul qui veut dire « conseil ». Le conseil des jurats s’appelait une jurade. Ce type d’administration préfigurait le conseil municipal.
Leur nombre des consuls variait de quatre à huit, le plus souvent six. Le mode de nomination à varié selon l’époque et les lieux. Désignés directement par le seigneur, ils faisaient le plus souvent l’objet d’un processus de cooptation. Dans ce cas, les consuls, juras et les jurés élisaient eux-mêmes leurs successeurs en fin de mandat, pour une période d’un an. Comme le précisaient les chartes de coutumes, il devait s’agir de « gens de bien, de bonne renommée » choisit parmi « les plus honnêtes et les plus utiles aux intérêts de la communauté »… Dans certains cas, des consuls étaient proposés par les habitants, mais le choix définitif relevait du sénéchal ou du représentant du seigneur ou du roi. Comme le spectre de l’hérésie cathare planait sur les villages, les chartes stipulaient que les consuls devaient tous être catholiques.
Notre sénéchal ou notre bail, après avoir pris l’avis des notables, doit choisir et instituer le même jour, huit consuls catholiques ; puis parmi les habitants de la ville, il choisira ceux qu’il jugera de bonne foi, les meilleurs pour le bien de la ville. (…) Ces consuls jureront en présence de notre bayle et du peuple de bien et fidèlement nous servir et de maintenir nos droits, de fidèlement encore gouverner le peuple et de fidèlement encore, autant qu’ils le pourront, exercer leur charge de consuls et enfin de ne recevoir aucune récompense en raison de leur fonction. (1)
Les attributions des consuls étaient multiples et variées. Ils étaient généralement chargés de l’entretien de la ville et de sa propreté, de sa sécurité et de sa prospérité.
L’administration des bastides : le bayle
L’ administration des bastides était assuré en tout premier lieu par le représentant du seigneur ou de l’autorité royale s’appelle le bayle. Le plus souvent, il n’est pas originaire de la bastide. Véritable éminence grise de l’autorité supérieure, il occupe un poste particulièrement important. Non seulement, il assurait l’administration de la bastide conjointement avec les consuls, mais il faisait également appliquer les sentences prononcées par le sénéchal, il percevait les revenus de la fondation et il réglait les dépenses qui relevaient de sa compétence… Son autorité s’exerçait parfois au-delà de la bastide, sur un territoire que l’on désignait sous le terme de baillie ou baylie.
Quand il y avait eu un paréage, chaque partie désignait souvent un bayle différent. À Monpazier par exemple, un contrat de paréage réglant les droits de chacun fut établi entre Édouard Ier et Pierre Gontaut : l’exercice de la justice et la perception des impôts, des péages et autres redevances qui étaient répartis pour moitié entre les deux seigneurs. Ce partage, qui mettait à égalité deux seigneurs de rangs très différents, donna fréquemment lieu à des abus : en 1293 par exemple, Pierre de Gontaut s’estima lésé par le sénéchal d’Édouard Ier, Jean de Grailly. Il sollicita l’arbitrage du roi-duc, forcé de reconnaître les excès de son représentant. Suite à ce différent, chacun nomma un bayle chargé de le représenter sur place et de défendre ses intérêts.
L’administration des bastides : la justice
Louis IX, dit « le Prudhomme », plus connu sous le nom de Saint Louis avait réglementé la justice pour la rendre plus humaine. Dans son souci de moraliser le royaume, il avait également sévi contre les guerres privées, les duels judiciaires, mais aussi l’adultère et la prostitution. Cette influence s’était fait sentir dans les dispositions prises par les chartes de coutumes. C’est ainsi que la pratique des duels judiciaires fut abolie :
Aucun habitant, quelle que soit l’accusation dont il est l’objet, n’est tenu de se justifier ou de se défendre par le duel, et il ne doit pas être contraint de l’accepter. (1)
Partout, la procédure d’enquête était systématique. L’accusé pouvait produire des témoins, mais dans le même temps, on le mettait en garde contre les faux témoignages. Le prévenu avait aussi le droit de prendre un défenseur ou d’en demander un au bayle, et s’il s’estimait lésé par la sentence, il avait la possibilité de faire appel… avec un risque toutefois, puisqu’une punition était prévue quand le plaignant venait à « succomber en jugement d’appel ». Ces dispositions traduisaient une réelle volonté d’assurer un jugement équitable.
Les autorités habilitées à rendre les jugements étaient les bayles et les consuls (jurats ou jurés), auxquels étaient adjoints, dans de nombreuses bastides, des prud’hommes. Ils formaient une cour de justice. Dans le comté de Toulouse, il était fréquent qu’un juge soit nommé.
Il semble que les prérogatives judiciaires étaient classées en plusieurs niveaux. Les délits de simple justice étaient jugés par les consuls. Des amendes plus ou moins importantes étaient prévues pour le règlement de différentes situations. Les fautes de petite criminalité étaient examinées à la fois par les consuls et le bayle. Des confiscations de biens, provisoires ou définitifs, étaient infligées dans les cas de vols plus ou moins importants. Certaines chartes contraignaient le voleur à courir nus dans les rues de la ville. Quant aux délits plus graves, de grande criminalité, ils étaient généralement jugés par le bayle. La confiscation définitive de biens, au profit du seigneur, et parfois la mise à mort, étaient prévues dans les cas de vols importants et dans les affaires de mœurs. Les viols étaient très sévèrement punis. On procédait parfois au marquage du voleur, ce qui laissait à la vue de tous une trace infamante. Dans certaines bastides, on prévoyait une prison. Enfin, s’il y avait appel, l’affaire pouvait être portée devant le sénéchal.
Le statut particulier des habitants des bastides
Les habitants des bastides bénéficiaient d’un statut particulièrement favorable en matière de justice. En effet, ils échappaient aux juridictions extérieures pour les fautes commises à l’intérieur de la bastide. Dans les cas de dettes, alors durement réprimés, des mesures plus humaines étaient adoptées : par exemple, on permettait à un paysan insolvable de conserver ses bœufs de labour, la charrue et les autres outils nécessaires pour qu’il puisse continuer à travailler. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, les nobles n’étaient pas épargnés par la justice et, quelque fois, ils étaient soumis à des peines nettement plus lourdes.
Crédit Photos :
- Place de la bastide de Monpazier, © JF Tronel
- La place de la bastide de Molières avec la maison du bayle, © JF Tronel