Les murets en pierre sèche

Éléments paysagers typiques de certaines régions du Périgord, les murs en pierre sèche délimitaient chaque lopin de terre ainsi que le réseau des chemins (chemin creux), marquant ainsi l’ancien parcellaire. Lorsque les voies d’accès ont été élargies, les pierres de ces murets ont été utilisées pour stabiliser la route elle-même. C’est ainsi que des kilomètres de murets ont disparu. Moins fréquemment en Périgord, les murets en pierre sèche servaient également de murs de soutènement, sur les sols en pente, pour créer des terrasses.

Les murets de pierre sèche sont indissociables des travaux de mise en valeur des terres agricoles et des activités pastorales. Ils étaient érigés par des « murailleurs », un travail pénible et mal rémunéré. Ces murets servaient à stabiliser les pentes légères, à délimiter les parcelles et à protéger les cultures du bétail. De plus, les murs réverbéraient la chaleur du soleil, ce qui hâtait la poussée des truffes. En retenant les feuilles mortes, ils contribuaient ainsi à leur putréfaction et donc à l’enrichissement humide des sols, ce qui favorisait également la pousse des truffes, mais aussi des morilles. Dans son livre Les Cabanes en pierre sèche du Périgord, François Poujardieu parle de l’écosystème vigne-moutons-truffe-pierre-sèche en ces termes :

Ainsi, le labour, la chaleur des pierres, l’action bienfaisante des moutons, la cueillette de toutes les herbes et ronces et l’apport nutritif par l’homme, favorisaient cette production naturelle presque disparue. Aujourd’hui, les sols abandonnés, tassés, ne sont plus guère favorable à la truffe qui pousse surtout dans les chênaies artificiellement mycorhizées. (1)

La construction de murs en pierre sèche requiert un savoir-faire artisanal, une solide expérience… Un bon murailleur édifiait environ 3 m3 de mur par jour. Autant dire qu’il ne fallait pas ménager ses efforts pour clôturer un lopin de terre ! Fonctionnels avant d’être esthétiques, témoins d’une activité passée, les murets en pierre sèche font partie intégrante du patrimoine rural périgourdin.

Les différents types de murets

1. Les murets de séparation

Les murets de séparation sont les plus visibles. Ils témoignent d’une période de notre agriculture où les campagnes étaient tellement peuplées que la moindre parcelle de sol devait être exploitée. Ces murets sont le résultat de l’épierrement indispensable pour cultiver les sols caussenards. L’édification de la plupart de ces murets date du XIXe siècle, période où les labours plus profonds ont entraîné une augmentation du nombre de pierres soulevées, mais aussi du morcellement de la propriété en raison de partages successifs. Ces murets étaient presque toujours murets servent encore à délimiter la propriété ; ils soulignent les particularités du relief, épousent les courbes des combes, séparent bien souvent bois, champs et prairies. Ils dessinent les routes et les chemins, matérialisent des enclos autour des maisons et de leur jardin.

2. Les murets de soutènement

Un mur de soutènement est un ouvrage qui vise à retenir une certaine quantité de terre pour obtenir un plat. Ce type de mur a plusieurs utilisations dont la plus courante est la réalisation de terrasses et de barrages de terre en terrains inclinés.

Chaîne d'angle en besace d'un mur de soutènement en pierres sèchesLes murs de soutènement sont surtout présents près des zones habitées et accidentées pour obtenir des espaces plats : jardins, cours… On peut en observer autour des villages perchés ou à proximité de villages et hameaux situés sur une pente comme à Caylus, Puylaroque ou Montricoux. Les plus nombreux soutiennent des chemins, des routes ou retiennent la terre des champs qui sont juste au-dessus de ces chemins et routes. On trouve aussi des murs de soutènement pour canaliser des cours d’eau comme la Lère Morte. Ces constructions, nécessitant une résistance à la poussée, demandent une maîtrise technique plus approfondie. Ils étaient le plus souvent montés par des professionnels avec des moellons ébauchés pour leur conférer une meilleure assise.

Les murs de soutènement ont pour rôle de maintenir des terrains, dans des zones plus ou moins accidentées, que ce soit pour y développer des cultures, de l’habitat ou pour y aménager des voies de communication. Ils ont donc au départ, une vocation économique et d’échanges, qui est vitale pour l’implantation de l’activité humaine. Ces murs permettent de relever certaines parties des terrains afin d’obtenir des surfaces utilisables, pouvant être sensiblement plates et de niveau et d’éviter leur ravinement par les eaux de pluie.

Plus la partie que l’on veut aménager est pentue, plus les murs de soutènement vont être rapprochés et hauts. Traditionnellement bâtis en pierre sèche, leur construction est très particulière. Il faut s’opposer au poids et à la poussée des terres qui deviennent très lourdes lorsqu’elles sont détrempées. Pour cela, il faut un mur lourd, plus lourd que la terre à retenir et suffisant pour s’opposer aux poussées qu’elle engendre. Il doit être très bien bâti, la base doit être constituée de grandes et grosses pierres qui vont loin en arrière pour assurer une stabilité maximale. La tranchée doit être légèrement inclinée à l’arrière pour que le mur ait une bonne assise et ne glisse pas. Un mur détruit, c’est la terre qui s’en va. Le remonter, c’est éviter que tout se dégrade, c’est aussi conserver un potentiel précieux, même s’il n’a pas d’usage immédiat.

Pour des raisons de stabilité, on fait pencher le mur vers l’intérieur des terres. On appelle cette inclinaison, le « fruit ». Le fruit extérieur renforce la stabilité d’un mur face aux poussées qu’il subit en déplaçant son centre de gravité vers l’arrière. Il va dépendre de la hauteur du mur et des poussées qu’il reçoit. Il peut être nul pour des ouvrages de faible hauteur (on rencontre beaucoup de petits murs sans fruit, jusqu’à 0.80 m) et ne recevant pas de poussées importantes. Au-delà, il pourra aller de 5 à 20 % selon les contraintes propres à chaque mur. D’autre part, l’intérieur du mur doit être stable de par lui-même et donc bâti d’aplomb ou en fruit vers l’extérieur ou à redents. En aucun cas, il ne se couchera contre les terrains qui risqueraient en se tassant de le déstabiliser. Tous les profils de murs en pierre sèche font apparaître très distinctement deux parties complémentaires :

  • Le parement extérieur, appareillé en pierre sèche, avec un fruit plus ou moins important,
  • L’organisation interne, constituée à l’arrière du parement de pierres de diverses dimensions, bâties et calées.

Le fruit est obtenu d’autant plus aisément que les pierres de chaque assise seront posées très légèrement inclinées ou en pente vers l’intérieur de la maçonnerie. La technique du parement « à fruit » est courante pour les murs de soutènement, pour les pierriers parementés – lesquels n’ont évidemment qu’un seul parement –, mais aussi pour les murs de séparation ou autres, lesquels ont leurs deux parements « à fruit ».

3. Les cayrous

Au début du XXe siècle, la plupart des murs sont construits. Mais comme les labours dégagent régulièrement des moellons, on les empile encore aujourd’hui dans un coin du champ ou dans une prairie voisine en cayrous (queyroux, cayroux ou cayrous). Ce ne sont pas véritablement des constructions, mais des tas de pierres accumulées vaille que vaille, dont les murs de bordure sont le plus souvent montés avec les moellons les plus réguliers, en suivant la technique de la pierre sèche. Parfois, des cabanes, appelées guérites ou casettes, étaient aménagées dans ces tas de pierres. Très souvent, les anciens prévoyaient, à leur base, des « clapiers », sorte d’abri labyrinthe pour les lapins de garenne, afin de les élever en semi-domesticité, avec prélèvements périodiques effectués en posant des lacets (collets). On appelait alors ces cabanes des clapieras.

muret-en-pierre-seche-avec-abri

Composition d’un mur en pierre sèche

Coupe d'un mur en pierres sèches

1. Pierres de socle, pierres de fondation (socle ou fondation)

Ce sont des pierres solides et de grande taille qui sont appuyées directement sur la roche qui affleure ou qui vont garnir le fond de fouille et recevront le poids total du mur. C’est le premier lit de pierre du mur sur lequel ce dernier va reposer. Le socle peut soit s’inscrire dans le prolongement du parement, soit ressortir en saillie par rapport au parement ; on parle alors d’empattement. Les pierres de socle ou d’assise sont des pierres solides de grande taille (pierres cyclopéennes) qui vont garnir le fond de la fouille et sont destinées à supporter le poids du mur. La largeur de la base du mur doit être au moins égale au tiers de la hauteur. La fondation du mur assure la stabilité de l’ouvrage et transmet au sol des contraintes représentées par le poids du mur et la poussée des terres.

2. Pierres de parement ou moellons

Ce sont des pierres de dimensions variables, présentant une face, soit naturelle soit taillée et destinées au parement extérieur du mur auquel elles donnent sa partie visible.

  • Le parement extérieur – C’est la face visible du mur, que le bâtisseur en pierre sèche aura pris soin de travailler en soignant l’alignement.
  • Le parement intérieur – C’est la face non-visible du mur, celle sur laquelle la poussée du sol de remblai vient s’appliquer. Les pierres de bâti, utilisées pour la construction des parements intérieurs et extérieurs, sont les modules qui constituent la trame du mur et assurent sa bonne tenue. La boutisse est une longue pierre de liaison, la plus massive possible, que l’on couche dans l’épaisseur du mur pour relier les parements extérieurs et intérieurs et stabiliser l’ensemble de la construction. La boutisse traverse ainsi le mur de bout en bout, du parement jusqu’au drain directement attenant au remblai. L’une de ses extrémités doit donc être correctement facée et placée dans la partie visible du mur. Lorsque les deux extrémités de la boutisse sont facées, on parle alors de parpaings. La panneresse (ou carreau), à l’inverse de la boutisse, est une pierre dont toute la longueur est présentée en façade du mur, permettant ainsi de relier entre elles plusieurs pierres de parement. La panneresse, comme elle ne pénètre pas dans le mur, peut créer une faiblesse dans le parement qu’il conviendra de compenser au rang suivant en la faisant chevaucher par une boutisse. Les pierres de calage sont des modules servant à caler entre elles les autres pierres. Plates, en forme de coin ou de toute autre forme permettant une bonne stabilisation des pierres à caler, elles sont généralement de petite taille : elles doivent cependant être très résistantes à la compression.

3. Pierres de calage

Elles servent à caler les pierres entre elles, tout simplement.

4. Pierres non facées et ébauchées de tous calibres

Elles sont utilisées pour l’organisation interne du mur. Elles ne présentent aucune face permettant leur utilisation en parement extérieur.

5. Débris et cailloutis drainant

Il est formé par la pierraille inutilisable en moellons et se place au fur et à mesure de la montée des pierres de parement. Ils sont de petit calibre et sont disposés en remplissage à l’arrière de l’ouvrage pour un mur de soutènement ou au milieu des parements pour un mur de clôture. Ils protègent le parement en permettant l’écoulement des eaux de pluie.

6. Boutisses

Ce sont de longues pierres de liaison, les plus massives possibles, couchées dans l’épaisseur du mur et reliant ainsi, de bout en bout, le parement et l’intérieur du mur. Ces boutisses d’ancrage sont généralement placées à différentes hauteurs à deux niveaux au moins pour un mur de 1,50m de hauteur.

7. Pierres de couronnement

Il s’agit de poser de grosses pierres sur le dessus du mur. Celles-ci ont une triple fonction : caler les dernières pierres des côtés, repousser une partie de l’eau de pluie vers l’extérieur et empêcher les animaux de grimper sur le mur. Suivant le lieu et la fonction du mur, ces pierres de couronnement ont une position et des formes différentes. Voici quelques types de couronnement que l’on trouve dans notre région : couronnement avec des pierres brutes, couronnement avec des pierres arrondis, couronnement avec des lauzes ou des pierres plates. Selon le type de pierres dont on dispose, leur appareillage « opus » pourra changer. Si les strates ou lits sont marqués, on aura un « opus assisé », chaque lit étant bien nivelé. À l’inverse, on aura un « opus incertum » si les pierres sont posées en se chevauchant sans lits réguliers. Elles sont placées de manière différente d’un lieu à l’autre : à plat, debout ou en arête de poisson.

  • Couronnement de dalles horizontales – Il s’agit d’un rang terminal de dalles quadrangulaires aussi larges que le mur ou débordant d’un côté (débord unilatéral), voire des deux côtés (débord bilatéral). Ce dispositif est caractéristique de murs de clôture appartenant à des propriétaires privés aisés. Le débord unilatéral est du côté extérieur à l’enclos lorsqu’il s’agit d’interdire l’accès de celui-ci à des intrus. Il peut être du côté intérieur lorsqu’il s’agit d’un enclos à garenne d’où l’on veut empêcher les lapins de sortir. Le débord bilatéral se rencontre dans ces mêmes enclos lorsqu’il faut non seulement retenir les lapins mais aussi les protéger des renards. Ces dalles débordantes peuvent être à leur tour chargées de pierres. On parle d’opus spicatum ou « appareil en épi » (du latin spica, épi).
  • Couronnement de lauzes en « épi » – Ce mode d’édification est propre au Midi, mais on le retrouve parfois en Périgord, comme à Bargès de Daglan ou au Champ de l’Hoste à Larzac, près de Belvès. Il s’agit d’un rang de lauzes posées de chant, parfois perpendiculairement au mur mais généralement en oblique, à la façon d’une rangée de livres sur une étagère. Il charge le mur et dissuade animaux et maraudeurs des velléités d’escalade et de franchissement, surtout lorsqu’il y a alternance systématique d’une lause haute avec une lause basse. Il arrive que des murs de clôture très élevés comportent à mi-hauteur, des longueurs de pierres posées en épi : il s’agit de l’ancien chaperon du mur avant son surhaussement à la suite d’un nouveau défoncement-épierrement de la parcelle qu’il borde.

Assise d'un mur en pierres sèches


Notes :

  • (1) François Poujardieu, Les Cabanes en pierre sèche du Périgord, Éditions du Roc de Bourzac, 2002.
  • (2) Christian Lassure et Dominique Repérant, Les cabanes en pierre sèche de France.

Crédit Photos :

  • © Jean-François Tronel.

LES CABANES EN PIERRE SÈCHE DU PÉRIGORD

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