REPÈRE HISTORIQUE — L’influence de la Renaissance italienne se fait sentir, mais les châteaux du Périgord n’en conservent pas moins un caractère défensif marqué (tours crénelées, barbacanes, échauguettes, chemins de ronde…) car l’époque, bien que plus calme, n’est pas sûre. Bientôt, dans la seconde moitié du XVIe siècle, ils jouent un rôle important lors des guerres de Religion qui mettent de nouveau le pays à feu et à sang. Le Périgord entier connaît alors, sièges, incendies, massacres et pillages. Villes et châteaux sont enlevés, pris et repris. Jean Tarde dans ses Chroniques et Montaigne dans ses Essais, tous deux hommes de conciliation, parlent avec douceur de ces années sanglantes durant lesquelles le catholique Blaise de Montluc rivalisera de cruauté avec les seigneurs calvinistes Armand de Clermont et Geoffroy de Vivans. Jeanne d’Albret et son fils Henri de Navarre séjournent plusieurs fois en Périgord. Il est vrai que Bergerac est alors l’une des pièces maîtresses de l’échiquier protestant. Si, aujourd’hui encore, les temples sont si nombreux dans le Bergeracois, c’est bien la preuve que les batailles de Vergt ou de Moncoutour, les traités de Bergerac ou du Fleix appartiennent tout autant à l’histoire de la France qu’à l’histoire locale. — Jean-Luc Aubardier. (1)
Dès la fin du XVe siècle, le château perd sa fonction militaire et devient une demeure d’apparat. Cela est dû non seulement au renforcement du pouvoir central qui prend en main les affaires militaires et ouvre une période de relative stabilité, mais également au perfectionnement de l’artillerie et à l’invention du boulet métallique, auquel les défenses traditionnelles ne pouvaient plus résister efficacement. Dès lors, assurer la défense du territoire par un réseau castral n’est plus à l’ordre du jour. Des places-fortes, contrôlées par le pouvoir central, véritables villes-citadelles (comme Lille, Besançon ou Neuf-Brisach), sont préférées pour stopper l’envahisseur. De plus, les souverains comptent davantage sur leurs armées mobiles. Les châteaux-forts sont devenus obsolètes.
Enfin, l’invention de l’imprimerie ainsi que le début de la découverte de nouveaux mondes favorisent la prolifération d’idées neuves portées par des humanistes parmi lesquels les périgourdins Montaigne, La Boétie et Tarde (le type même de l’humaniste, curieux de tout), pour ne citer que les plus connus. Il faudrait ajouter d’autres noms comme ceux de Barthélémy de Salignac (auteur d’un Itinerarium terrae sanctae, preuve de la curiosité intellectuelle de l’époque), Nicolas de Gaddi (ce cousin de Catherine de Médicis qui introduira Machiavel à la cour de Fontainebleau), Pierre de Bourdeille (connu pour ses Dames Galantes) et enfin Bernard Palissy (probablement né à Saint-Avit, hameau de Lacapelle-Biron, promoteur de la renaissance de la faïence). Après avoir été guerrier pendant des siècles, l’homme s’ouvre aux arts et aux lettres. Dans les cercles littéraires, on parle humanisme, poésie et littérature. Le rationnel fait place à l’esthétique.
Les voyages des seigneurs français à l’occasion des guerres d’Italie, le fait qu’ils ramenèrent en France des ouvriers italiens après s’être esbaudis des chefs-d’œuvres réalisés là-bas, l’éblouissements des lettrés redécouvrant la littérature gréco-latine, l’ambiance même créée par l’enthousiasme des Humanistes : tout cela organise un climat favorable à une flambée de l’art. En vérité, il n’y a pas là de rupture ni d’hiatus avec le passé : nous avons vu la beauté et la variété, en Périgord, des œuvres romanes, et même gothique. Tout se passe comme si l’on assistait à l’éclosion naturelle de ces boutons, gorgés de sève, surgis çà et là, à la fin du XVe siècle, comme si les fruits succédaient à la floraison romano-gothique et passaient la promesse des fleurs ! — Jean Secret. (2)
Naturellement, cette renaissance littéraire s’accompagne d’une renaissance artistique et architecturale, née en réaction à l’art gothique, jugé trop surchargé. Ce nouveau style architectural s’est propagé en France, à la faveur des guerres d’Italie : une première campagne militaire est menée par Charles VIII, en 1494. Avec l’ardeur de ses vingt-quatre ans, le jeune prince s’éprit de nouveautés et ramena en France vingt-deux ouvriers italiens qui arrivèrent à Amboise à la fin de 1495. C’est cette poignée d’hommes qui initia les Français à cet art de la Renaissance que l’on devrait plutôt appeler italianisme. Une deuxième campagne militaire sera menée par Henri II, en 1559. Enfin, François Ier prendra lui aussi le chemin de l’Italie, en 1515 et 1525, avec les victoires et les défaites que l’on sait (Marignan puis Pavie). Si la première Renaissance, qui débute avec les premiers travaux de Charles VIII, est d’inspiration italienne (1510), la seconde, sous le règne de François Ier, est d’inspiration antique (vers 1540).
Voici brièvement évoquées, les raisons pour lesquelles le château se transforme peu à peu en une luxueuse résidence nobiliaire, conçue en fonction du nouveau style de la Renaissance, plus léger que le gothique. On retourne aux formes et aux proportions de l’architecture romaine antique. Les fenêtres à meneaux se multiplient dans les courtines, remplaçant les étroites ouvertures. Et si certaines tours sont encore hautes, c’est avant tout pour marquer la puissance du seigneur des lieux, et non pour guetter l’arrivée d’un éventuel ennemi. Toutefois, bien que libéré de sa fonction militaire, il reproduit assez souvent, de façon symbolique, certaines caractéristiques de l’architecture militaire médiévale, tout particulièrement en Périgord.
Paradoxalement, alors que l’artillerie rend vaines les défenses médiévales traditionnelles, on assiste à une permanence des défenses classiques. Aussi, Monbazillac conserve-t-il douves, chemin de ronde crénelé et mâchicoulis ; ainsi, Montaigne avait-il une enceinte défensive. En somme, tout se passe comme si une demeure noble méritait le nom de château que munie d’une tour hérissée de défense ! Même Puyguilhem, pacifique résidence s’il en fut, gardait une tour de mâchicoulis ! — Jean Secret. (2)
Le style Renaissance en Périgord
Les châteaux de style Renaissance présentent des plans plus ambitieux, des formes variées et surtout un décor plus somptueux, affichant une volonté de prestige. Les matériaux utilisés sont également plus luxueux et parfois importés. Une galerie est ajoutée pour recevoir et exposer des œuvres d’art. Les murs sont percés de fenêtres plus larges et plus nombreuses. Cette architecture nouvelle recherche un équilibre, une symétrie, une noblesse des formes. L’esthétique, l’harmonie et la beauté relèguent au second plan tout ce qui peut être prouesse technique.
À partir du deuxième tiers du XVIe siècle, les architectes voyagent en Italie pour étudier les monuments antiques. Les principes de l’architecture antique imprègnent la structure des bâtiments : plan central, composition, régularité, proportion. La symétrie est créée par la répétition à intervalle régulier de motifs comme les fenêtres, les colonnes ou les niches. L’emploi des ordres antiques, le calcul mathématique d’une juste proportion annoncent ce que sera le classicisme.
La richesse du vocabulaire ornemental est l’une des caractéristiques majeures de la Renaissance. La sculpture révèle un intérêt pour l’antiquité et l’étude des personnages. Les rinceaux, les arabesques, les grotesques, les feuillages, les palmettes, les candélabres envahissent les pilastres, les impostes, et les encadrements de fenêtre ou de porte. La coquille est un motif emprunté à l’Antiquité. Elle est utilisée à la Renaissance dans les niches, les tympans… Les motifs de l’acanthe, la flore locale, la chimère, le singe, les satyres définissent le vocabulaire classique. Feuilles et fleurs sont souvent tressées en guirlandes soutenues par des enfants, des têtes ou des bucranes. À aucune autre époque, il n’a été exécuté une telle diversité d’éléments décoratifs, et jamais plus ils ne seront réalisés autant de pureté, d’élégance et de finesse.
Il est à noter toutefois qu’en France, le style Renaissance ne remplaça pas systématiquement les styles roman et gothique. Il est donc malaisé de synthétiser les nuances de style des XIIIe, XIVe et XVe siècles. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu une combinaison de formes d’origines différentes : ainsi, le plein-cintre de l’art roman allia sa gravité à l’élégance de l’ogive pour revêtir les ornements du style gothique flamboyant. C’est de ce mélange que naquit le style Renaissance.
En Périgord, cette évolution se fait particulièrement lentement, le conservatisme étant ici une forme d’inertie généralisée. Pourtant, à cette époque, les chantiers se multiplièrent et l’on peut admettre que plus de trois cents châteaux périgourdins bénéficient alors de retouches, réparations, embellissements, adjonctions, sans parler des constructions neuves d’après des dessins résolument modernes comme à Bourdeilles et Puyguilhem. (2) Mélangeant les influences romanes et gothiques, la Renaissance marque partout son empreinte. La variété des styles, qui bien souvent se juxtaposent, se compénètrent dans une même demeure, est l’une des spécificités du Périgord. En raison de l’habileté des tailleurs de pierres, il est d’ailleurs souvent malaisé de retrouver avec certitude la chronologie d’un vaste château périgourdin.
C’est à partir de la Renaissance que la fonction des pièces se diversifie pour répondre à cette recherche de confort, de grandeur et de luxe. L’ensemble de la distribution s’organise à partir de l’escalier. L’escalier est un organe de circulation, c’est aussi un symbole de prestige. Axé au centre de la façade, souvent monumental, il remplace la tourelle en hors-d’œuvre qui, au moyen-âge, abritait l’escalier à vis. Il dessert les appartements à droite et à gauche de ses larges paliers.
Mais ces appartements sont encore incommodes : des petites pièces, encombrées de meubles peu variés (principalement coffres, crédences et lits à courtines), hérités du moyen-âge, mais décorés au goût italien. Il n’existe encore ni armoires, ni commodes. Les chambres sont souvent précédées de petits cabinets qui servent d’antichambres où dorment par terre, sur des paillasses que l’on replie chaque matin, les domestiques particuliers. Les autres, très nombreux, couchent dans les soupentes ou les écuries.
Quelques châteaux périgourdins de style Renaissance
D’après Jean Secret, la renaissance périgourdine est digne de la Renaissance française. Elle en a eu le dynamisme, la fantaisie, l’esprit créateur et l’habileté technique. (2) Puyguilhem est le château périgourdin qui illustre le mieux ce propos. C’est en effet un fleuron de la Première Renaissance. Entièrement construit au début du XVIe siècle par de nouveaux aristocrates proches du pouvoir royal, tout dans cet édifice pourrait servir d’album pour illustrer l’art de la Renaissance : portes sculptées, façades enrichies de bas-reliefs, cheminées, lucarnes, galeries de circulation… Tout y est prétexte à une décoration de qualité, souvent exprimée avec une virtuosité digne du Val de Loire. (3)
Il est peu de châteaux du Périgord qui n’aient bénéficié de quelques sourires de la Renaissance : lucarne sculptée, portail, escalier monumental, tourelle en encorbellement, fenestrage à meneaux. On sait que le pays compte quelque 1 500 châteaux, manoirs, gentilhommières. Et sans doute plus de deux cents d’entre eux comportent des logis Renaissance. Ils sont répartis dans tout le département, en plaine (Les Milandes, Les Bories), à mi-pente (Puyguilhem), sur des mottes (Biron, Gurçon), sur des falaises (Bourdeilles, Les Étourneaux). — Jean Secret. (2)
Toutefois, les châteaux périgourdins sont rarement de purs produits de la Renaissance, contrairement aux manoirs, gentilhommières et hôtels particuliers qui eux sont très nombreux à voir le jour dès le XVe siècle. Monbazillac a bien été construit à cette époque, mais contrairement à Puyguilhem, il conserve trop d’attributs de l’architecture militaire pour le citer parmi les fleurons du style renaissant périgourdin, bien qu’il soit très représentatif de ce qu’a été la transition lente et hésitante entre le roman et le gothique du moyen-âge et l’art Renaissance, entre le château-fort et le château de plaisance.
En fait, la plupart des édifices renaissants du Périgord sont des réhabilitations rendues nécessaires par les dommages causés par la guerre de Cent Ans. C’est le cas du château des Bernardières, détruit lors d’un assaut des troupes anglaises, qui ne sera réhabilité qu’au XVIIe siècle, avec des techniques et dans un style très différents. Après avoir subi les outrages de la guerre, le château de Puymartin est également restauré une première fois au XVe siècle, puis à nouveau détruit, il sera reconstruit au XIXe siècle. Idem pour le château de Mareuil qui est réhabilité au XVe siècle.
Certains édifices mélangent les époques et les styles pour montrer leur richesse. Ils font cohabiter harmonieusement une grande diversité de styles. C’est le cas du château de Bourdeilles qui a gardé ses fortifications médiévales tout en s’agrandissant d’un palais de style renaissant du XVIe siècle. Un mélange de styles et d’époques est aussi visible au château de Losse. Ce dernier a gardé ses douves médiévales aujourd’hui sèches, ses murs de remparts et son châtelet. Un logis renaissance a été construit à la place du donjon central.
Surnommé « le Louvre inachevé du Périgord », le château de Lanquais est le produit de la juxtaposition d’un corps de logis du XVe siècle, offrant les caractéristiques d’un château-fort, et d’un palais à l’italienne, de style Renaissance.
D’autres édifices ont connu une ruine quasi-totale avant de renaître de leurs cendres, comme en témoigne le château de Jumilhac. À l’état de ruine après le passage des mercenaires de Richard Cœur de Lion, il est reconstruit dans un style renaissant avec des toitures en ardoises et de grandes ouvertures au cours du XVIe siècle.
Enfin des bâtiments moins luxueux apparaissent, comme la maison-forte de Reignac, sorte de manoir de style renaissant.
Notes :
Crédit Photos :
- Villars Puyguilhem cheminée, Dordogne, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- Lalinde château Sauveboeuf fenêtre, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- Armes Calvimont Château Herm, Dordogne, by Jebulon(Own work), via Wikimedia Commons.
- Chateau Puyguilhem, Dordogne, by Iwan van Rienen (Own work), via Wikimedia Commons.
- Villars Puyguilhem cheminée, Dordogne, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- Biron, by Manfred Heyde (Own work), via Wikimedia Commons.
- Lanquais château sud-est, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- Fenêtre des communs au nord-est du château de Campagne, Dordogne, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.