Faire la lessive se disait « faire la buée » ou « faire la bue », termes à l’origine de l’étymologie de buanderie et de buerie. Dès le XIIe siècle, la lessive du gros linge s’effectue une fois l’an, après les fêtes de Pâques. Puis, les lessives sont devenues plus fréquentes. Au début du XIXe siècle, on parle des « grandes lessives » ou « grandes buées » qui s’effectuaient au printemps et à l’automne. Après un long et dur travail de préparation et de coulées du linge dans les buanderies, le linge était rincé au lavoir. Au début du XXe siècle, les femmes allaient au lavoir une fois par semaine. Mais dès cette époque, ce mode de lavage traditionnel du linge disparaît peu à peu avec l’utilisation de la lessiveuse en fer qui sera elle-même remplacée par la machine à laver.
Les grandes lessives d’autrefois s’effectuaient généralement aux époques où il y avait peu de travaux aux champs. Au XIXe siècle, les lessives prenaient plusieurs formes :
- Les grandes lessives ou « grandes buées » (« bugado » du celte bugat, lessive) étaient des opérations d’envergure, qui avaient lieu une fois à l’automne et une fois au printemps. On comprend pourquoi les trousseaux de l’époque était aussi volumineux. Dans les familles aisées, une grande buée pouvait compter, en moyenne, 70 draps, autant de chemises, et des dizaines de torchons et de mouchoirs. C’était l’occasion de s’entraider entre voisines.
- Les petites lessives ou « petites buées » avaient lieu une fois par semaine, généralement le lundi, pour des petites quantités de linge, essentiellement des vêtements. Le linge était lavé chez soi puis on venait le rincer au lavoir.
- Les familles plus aisées faisaient appel aux lavandières, des laveuses professionnelles, qui allaient au lavoir tous les jours.
Déroulement des grandes lessives d’autrefois
En fonction du volume de linge à laver, les grandes buées duraient plusieurs jours, généralement trois appelés « Purgatoire », « Enfer » et « Paradis ».
- Au premier jour, nommé « Purgatoire », avait lieu le triage puis le trempage : dans un cuvier, on disposait le linge en couches. Une fois rempli, le cuvier était rempli d’eau froide. Le linge y trempait toute la nuit pour éliminer un maximum de crasse.
- Le deuxième jour, nommé « Enfer », on vidait l’eau de trempage, puis on procédait au « coulage » en arrosant régulièrement le cuvier avec de l’eau de plus en plus chaude, puis bouillante, parfois parfumée avec des plantes aromatiques (lavande, thym, ortie, laurier selon les régions), l’eau s’écoulant par la bonde au fond du cuvier. Ce jour était appelé « l’Enfer » à cause des vapeurs qui se dégageaient du linge bouilli une bonne demi-journée et touillé de temps à autre à l’aide d’un grand pieu solide.
- Le troisième jour, nommé « Paradis », le linge refroidi était conduit au lavoir pour y être battu (le battoir permettait d’extraire le maximum d’eau de lessive), rincé et essoré. Quand ce travail était terminé, le linge était alors ramené au foyer pour y être séché. Le linge retrouvait sa pureté originelle, d’où le nom de « Paradis » donné à cette journée.
Ces grandes lessives d’autrefois donnaient lieu à de grandes fêtes, avec repas festifs, souvent préparés par les grands-mères.
Les différentes étapes des lessives d’autrefois
I – Les lessives d’autrefois commençaient dans les foyers
- Le triage — Le linge était trié. D’un côté, « le blanc » (draps, torchons, nappes, sous-vêtements, mouchoirs,…). De l’autre, « les couleurs » (vêtements de travail, chaussettes…) et les lainages. Le blanc était lui-même trié, car sa place dans le cuvier était conditionnée par sa finesse et son degré de saleté.
- Le trempage [échangeage, essangeage, essoinguage ou échange] —C’est une sorte de prélavage qui s’effectuait dans un cuvier, à l’eau froide. Le linge est trempé dans l’eau claire pour éliminer – assez sommairement – la crasse qui, sinon, aurait coagulée dans l’eau bouillante. Les saletés ou « sanies » les plus tenaces étaient frottées, à l’aide d’une brosse de chiendent, sur une planche à laver striée.
- Le coulage – « Couler la lessive » ou « cuire la lessive » était une opération délicate. Dans bien des maisons, la place étant comptée, la cuisine pouvait avoir été débarrassée de ses meubles et transformée en buanderie. Le cuvier (cuveau, bugadier ou bougadou dans le Sud-Ouest) était la pièce maîtresse de l’opération : grande seille en bois cerclé de douelles comme un tonneau pouvant atteindre 1,20 m à 2 m de diamètre sur un peu plus d’un demi-mètre de hauteur et contenir jusqu’à 400 litres d’eau. Parfois, il était posé sur un trépied, « la selle ». Au fond, se trouvait la bonde, une ouverture que l’on bouchait avec un petit fagot de paille de seigle et qui permettait l’écoulement du « lessis » ou « lissieu » – l’eau de lessive après que le linge ait bouilli – dans une petite « seille », le seau placé sous le cuvier.
Avant de charger le cuvier, il fallait éviter que le linge vienne boucher l’écoulement : on installait généralement des morceaux de bois croisés. Les grosses pièces étaient alors disposées dans le cuvier, puis les plus fines et enfin « le charrier » ou « la charrée », généralement une grosse toile de chanvre, contenant des cendres tamisées faisant office de détergent. Elle servirait de filtre pour retenir les cendres et ne laisserait passer que le produit lessiviel bouillant, lors du coulage à chaud. À l’aide d’un vide-buée, la laveuse versait dans le cuvier de l’eau puisée dans le chaudron voisin. Il ne fallait pas commencer par verser de l’eau bouillante pour ne pas cuire la saleté. Puis on faisait lentement couler une eau de plus en plus chaude, puis bouillante. L’eau bouillante dissolvait la cendre, traversait et imprégnait tout le linge. Parfois, on y ajoutait des orties en décoction qui forçaient plus encore le blanchissage. Le jus de lessive (ou « lessis ») obtenu s’écoulait par la bonde, récupéré par une gouttière (ou un tuyau) reliée directement au chaudron. Il était alors à nouveau réchauffé puis reversé sur le linge. Ces opérations pouvaient se renouveler toute la journée et prenaient fin quand l’eau devenait marron ou qu’elle ressortait presque bouillante. Chaque laveuse, en fonction de l’expérience acquise, savait quand il fallait arrêter le coulage.
Le linge était alors retiré encore chaud du cuvier avec une pince en bois à longues branches ou un bâton fourchu et mis à égoutter sur des tréteaux. Si l’ouvrage n’était pas achevé quand tombait le soir, il suffisait de fermer le trou d’évacuation, de recouvrir le cuvier avec des sacs à grains ou une grosse couverture, pour conserver la chaleur et retenir dans le linge la vapeur active, et de laisser refroidir jusqu’au lendemain matin. Après avoir macéré toute la nuit, le linge était dépoté le lendemain.
Certains lavoirs étaient équipés pour la buée. Vers 1850, les premières lessiveuses apparurent et remplacèrent avantageusement la corvée de buée : l’eau chauffée sous le double fond, arrivée à ébullition, remontait par un tube central. Elle se répandait ensuite à la surface du linge pour le traverser et poursuivre ainsi un circuit constant.
II – Les femmes se dirigeaient ensuite au lavoir ou au bord d’un ruisseau
Le linge mouillé était transporté jusqu’au lavoir, généralement dans des brouettes ou des charrettes, plus rarement dans des sacs de grosse toile ou des paniers d’osier.
- Le battage ou dégorgeage – Agenouillées dans une caisse en bois – remplie de paille ou garnie de chiffons pour se protéger les genoux – face à une planche à laver striée, les femmes battaient le linge avec un battoir et, si nécessaire, le frottait avec une brosse de chiendent.
- Le rinçage – Le linge est rincé à l’eau froide dans le bassin, au plus près de l’entrée d’eau.
- L’essorage – Le linge est tordu à la main pour faire sortir l’eau restant. L’essorage des grosses pièces se faisait à deux. Les lavandières pouvaient aussi s’aider des barres des lavoirs pour essorer seules le linge. L’essorage pouvait également se pratiquer debout, la selle posée sur des tréteaux.
- L’azurage : on plongeait dans l’eau de chaque baquet de rinçage un sac de bleu contenant une poudre bleue provenant de l’indigotier ou de l’outremer, pour rendre le linge encore plus blanc.
III – Le linge revenait à la maison pour le séchage
Dernière opération : le linge était mis à sécher, ou à essarder (de l’ancien français « échardre », dessécher). Une lessive nécessitait parfois plusieurs aller-retours, en brouette, du lavoir à la maison. Les hommes étaient parfois réquisitionnés pour transporter le linge mouillé, surtout lorsque le lavoir était éloigné du foyer.
- Par beau temps, le linge pouvait sécher en plein air, directement étendu sur l’herbe ou sur les haies environnantes (ce qui présente l’avantage du blanchiment) ou sur des cordes, en plein vent, fixé par des pinces à linge qui n’étaient, avant les pinces à ressort, que de simples fourches de bois taillé. On pouvait procéder à une série de manipulations pouvant durer deux ou trois jours. Conformément aux préceptes de Diderot et d’Alembert, le linge, étendu à plat sur un pré, était arrosé à plusieurs reprises avec un arrosoir de jardinier et retourné deux ou trois fois sens dessus dessous. Le soleil et l’eau achevaient ainsi « de lui donner un lustre et un blanc très parfait ». On attribuait d’ailleurs une qualité de blancheur dite « grand pré » pour le linge exclusivement séché sur un pré. (1)
- Lorsque le temps était moins clément, le linge pouvait sécher à couvert, dans un grenier aéré par des lucarnes.
- En hiver, le linge séchait à l’air chaud, devant le poêle ou la cheminée.
Enfin les draps étaient soigneusement pliés dans les grandes armoires de ferme.
Les lessives d’autrefois à la cendre de bois
Avant l’utilisation du savon, et avant la commercialisation de la lessive, apparue plus tardivement, le lavage s’effectuait avec ce que l’on trouvait dans la nature. Les lessives d’autrefois se faisaient avec des plantes telles que la saponaire. De la famille des Caryophyllaceae, la saponaire doit son nom au fait que ses tiges et ses rhizomes contiennent des saponines, des agents chimiques faisant mousser l’eau et leur permettant d’être utilisées comme substitut du savon, d’où ses autres noms d’herbe à savon, savonnière ou herbe à femme. On en connaît en tout une vingtaine d’espèces, le plus souvent méditerranéennes.
On utilisait également la cendre de bois, et ce, jusqu’au début du XXe . Les sels de potasse contenus dans la cendre constituaient un excellent détachant. Les meilleures cendres étaient celles de fougère ou de certains bois de fruitiers, de charme ou d’orme, mais il fallait éviter celles de chêne et de châtaignier, car leur forte teneur en tanin pouvait tacher le linge. Les cendres provenaient du fourneau de l’habitation. Elles étaient stockées, tamisées et mises dans des sacs de jute destinés à garnir le fond du cuvier.
Les cendres lessivées, un mélange de carbonate de potassium et de chlorure de potassium que l’on appelait « la charrée » (le « jus » de lessive), servaient à nettoyer le sol, ou bien finir au jardin comme engrais. Le bicarbonate de potassium est aussi un bon fongicide.
On pouvait aussi ajouter diverses préparations pour assouplir, parfumer et blanchir le linge : des racines de saponaire pour assouplir, des rhizomes d’iris ou des branches de laurier pour parfumer la lessive, des orties en décoction pour blanchir. Faire la lessive en lune montante contribuait – parait-il – à rendre le linge plus blanc. Des boules de bleu outremer plongées dans la dernière eau de rinçage permettaient également de blanchir le linge. Ce bleu extrait du lapis-lazuli – qui coûtait fort cher, mais qui était particulièrement efficace – fut par la suite synthétisé et commercialisé, dès 1831, sous la marque « Guimet ». On retrouve aujourd’hui son principe azurant dans les particules bleues de nos lessives en poudre.
On signale plusieurs techniques possibles de lavage à la cendre :
- Il fallait faire tout d’abord faire bouillir l’eau, puis, hors du feu, y ajouter la cendre, laisser infuser quelques minutes, y plonger le linge, puis, le lendemain, aller à la rivière ou au lavoir pour taper, frotter et rincer le linge.
- La cendre était répandue sur le linge entassé dans un « cuveau », et des seaux d’eau d’abord tiède puis de plus en plus chaude étaient versés sur le tout.
- Une autre méthode consistait à déposer un sac de linge blanc contenant la cendre au fond du « cuveau » et de laisser infuser.
L’évolution des lessives d’autrefois à nos jours
Après la Première Guerre mondiale, l’opération harassante du coulage fut simplifiée. Les femmes utilisèrent les lessiveuses à champignon qui apparurent peu après 1918 : l’eau bouillante montait par le tube du champignon et arrosait le linge automatiquement. Ensuite, on savonnait, on brossait en insistant sur les dernières taches et on rinçait.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, époque à laquelle n’existaient ni savon, ni lessive, la femme lavait à la cendre. Au début du XXe siècle, on voit apparaître les cristaux de soude, les premières poudres à laver, les boules bleues, le savon. Faire la lessive devient beaucoup plus facile. De ce fait, on la fait plus souvent : une fois par mois, puis une fois par semaine. Autre amélioration notable : la machine à laver le linge. Les premières apparaissent dès la fin du XIXe siècle, mais uniquement chez certaines familles aisées. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour qu’elles soient adoptées dans les campagnes. Dans le même temps, les détergents de synthèse font leur apparition en 1952.
L’évolution de la lessive d’autrefois à nos jours
Après la Première Guerre mondiale, l’opération harassante du coulage fut simplifiée. Les femmes utilisèrent les lessiveuses à champignon qui apparurent peu après 1918 : l’eau bouillante montait par le tube du champignon et arrosait le linge automatiquement. Ensuite, on savonnait, on brossait en insistant sur les dernières taches et on rinçait.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, époque à laquelle n’existaient ni savon, ni lessive, la femme lavait à la cendre. Au début du XXe siècle, on voit apparaître les cristaux de soude, les premières poudres à laver, les boules bleues, le savon, et après 1918, la lessiveuse à champignon. Cela devient plus facile de faire la lessive. De ce fait, on la fait plus souvent : une fois par mois, puis une fois par semaine. Autre amélioration notable : la machine à laver le linge. Les premières apparaissent dès la fin du XIXe siècle, mais uniquement chez certaines familles aisées. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour qu’elles soient adoptées dans les campagnes. Dans le même temps, les détergents de synthèse font leur apparition en 1952.
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Les ustensiles des lavandières
- La brouette (bourrouette ou berrouette) : indispensable au transport du linge, on pouvait parfois faire plusieurs kilomètres dans la journée pour aller et revenir au lavoir du pays, emportant ustensiles et corbeilles de linge. Elle était généralement à claire-voie pour l’alléger et permettre au linge de s’égoutter.
- Le coffre (agenouilloir, garde-genou, boîte à laver ou caisse à laver, cabasson, nommée de façon dérisoire le char de lavandière, ou le « carrosse » dans le nord de la France) : garni de paille ou de chiffons, calé au bord de la pierre à laver, juste au-dessus du niveau de l’eau, la boîte ouverte sur le dessus et sur l’un des côtés apportait un peu plus de confort à la lavandière agenouillée tout en la protégeant de l’eau. Ces coffres étaient réalisés dans des bois simples, type peuplier ou sapin. Ils étaient le plus souvent cloués et les assemblages étaient très souvent renforcés par des équerres ou par des languettes de bois verticales.
- Le battoir à linge : cet outil en bois permettait à la lavandière de battre le linge préalablement mis en boule pour en faire sortir l’eau.
- La selle à laver : c’est le mariage du carrosse de lavandière et de la planche à laver, permettant aux lavandières de brosser le linge plus confortablement. Elle s’utilisait lorsque la lavandière lavait à la rivière ou à la fontaine, à la place de la pierre à laver du lavoir.
- La planche à laver : comme la selle, on l’utilisait en lieu et place de la pierre à laver du lavoir.
- Le chevalet : fabriqué en bois, il permettait de suspendre provisoirement le linge pour l’égoutter.
- Le cuvier ou cuveau : ce grand baquet en terre cuite, en pierre, en bois ou en fonte était muni à sa base d’une bonde, un orifice par lequel la lessive (eau et cendre) s’écoulait vers le chaudron. On y trempait le linge et on y coulait la « buée ».
- Le vide-buée : ce récipient cylindrique (en métal ou fer blanc à partir du XIXe siècle) muni d’un long manche en bois, servait à transvaser le liquide bouillant du chaudron vers le cuvier.
- La pince en bois : elle était utilisée pour sortir le linge bouillant du cuvier.
- La brosse : la brosse à chiendent et ses poils très durs, conçue pour qu’aucune tache ne lui résiste.
Sources :
- (1) La vie d’autrefois, Les métiers disparus, Régis Granier, Éditions Sud Ouest, 1999.
- Les jours de lessive. Les techniques de lavage.
Crédit Photos :
- Les Lavandières, by Daniel Ridgway Knight (1839–1924), vers 1898, via Wikimedia Commons.
- Un cabasson de lavandière et un battoir, by Thesupermat (own photo), via Wikimedia Commons.
- Lessiveuse, Champlitte, Musée Départemental Albert Demard, via Wikimedia Commons.
- Une lessive à Metzeral. Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, by Frédéric Lix (ill.), Galice, via Wikimedia Commons.