Pourquoi y a-t-il si peu d’églises gothiques en Périgord ? Dans son livre L’Art en Périgord, Jean Secret apporte la réponse suivante : « Dès le XIe siècle les églises et les abbayes romanes ont dessiné le paysage architectural du Périgord dont les multiples facettes s’offrent aux visiteurs dans chaque village, dans chaque ville, aux confins d’un vallon ou au détour d’un chemin isolé. La densité de ces édifices religieux est telle, qu’il n’y aura, à l’époque gothique (XIIIe, XIVe et XVe siècle) pas de place pour que se développe cette nouvelle formule. À peine pouvons-nous citer une douzaine d’églises gothiques en Périgord, encore sont-elles très tardives, et souvent greffées sur des souches romanes. » (1).
Le style gothique en bref…
L’art gothique se situe dans le prolongement de l’art roman. En effet, les bâtisseurs des cathédrales de la seconde moitié du XIIe siècle ne changent pas profondément de style. Mais ils utilisent de façon systématique et rationnelle des procédés architecturaux déjà connus, tels que l’arc brisé et la voûte sur croisée d’ogives. Le croisement de deux ogives forme alors quatre voûtains qui reposent sur quatre piliers : on parle alors d’une voûte quadripartite. Les bâtisseurs ont également conçu des voûtes sexpartites. Dans ce cas-là, ce sont trois ogives qui se croisent, formant six voûtains qui reposent sur six piliers, quatre piles dites fortes, plus larges et épaisses et deux piles dites faibles, plus fines.
La voûte sur croisée d’ogives bouleverse l’art de construire. Désormais, l’architecte, maître des poussées de l’édifice, les dirige sur les piliers par les arcs ogifs, les formerets et les doubleaux et les reçoit extérieurement sur des arcs-boutants. Un arc-boutant est l’élément d’appui en forme de demi-arc situé à l’extérieur de l’édifice. Il repose sur un contrefort et soutient le mur là où s’exercent les plus fortes poussées des voûtes sur croisées d’ogives. Les constructeurs cherchèrent à annuler le poids des ogives par des arcs-boutants cachés dans la couverture de l’édifice, puis par un support extérieur sur un contrefort.
Puisque les colonnes suffisent à soutenir l’église, on pourra amincir, et même supprimer totalement les murs qui ne répondent plus à des préoccupations architecturales, et les remplacer par des verrières qui laissent filtrer la lumière par des vitraux colorés. Le vaisseau de l’église s’élèvera très haut et sera aussi lumineux que le voudra le constructeur. De belles et grandes rosaces colorées ornent les façades.
Les églises de style gothique en Périgord
Comme nous l’avons signalé en préambule, si l’art gothique est très peu représenté en Périgord, c’est avant tout parce qu’à l’orée du XIIIe siècle, chaque paroisse avait son église, une église romane solide et durable. De plus, les époques particulièrement troublées des guerres anglaises (1260-1341), suivies par la guerre de Cent Ans (1345-1453), ne furent guère favorables à l’ouverture de grands chantiers. Le pays a été à ce point dévasté que plus des trois-quarts étaient ruinés et découvertes. Il a même fallu organiser une « repopulation » avec des éléments venus de régions voisines.
En Périgord, se conjuguent les caractères des écoles poitevine et périgourdine. Les églises à trois nefs, de type poitevin, voisinent avec les édifices à nef unique, propres au Périgord. Ces deux types ont souvent en commun la voûte « angevine », née en Anjou au milieu du XIIe siècle qui serait le résultat d’un compromis entre la croisée d’ogives et la coupole romane périgourdine. Elle offre la particularité d’avoir la clé des ogives plus élevée que les clés des formerets et des doubleaux, alors que les autres voûtes gothiques, elles, sont sensiblement à la même hauteur.
En ce qui concerne les plans, on remarquera que seules quatre églises sont à trois nefs : Sarlat (cathédrale), Issigeac, Villefranche-de-Lonchart et Saint-Paroux-de-Dronne. Les autres ont une nef qu’achève, à l’est, une abside polygonale (Monpazier, Vauclaire). Certaines dessinent un simple rectangle (chapelle du Cheylard à Saint-Geniès, Saint-Rémy-d’Auriac, Beaumont, Saint-Laurent-des-Hommes, Monsec, Douville). Quelques-unes (Bruc, Sainte-Marie-de-Sarlat, Trélissac) ont une nef flanquée de chapelles latérales bâties entre contreforts, et une abside polygonale. L’église de Terrasson (très retouchée) dessine une croix à chevet polygonal, avec de petites chapelles latérales doublant les croisillons.
Les voûtements sont évidemment tous des croisées d’ogives, parfois compliquées de liernes et de tiercerons. Le XVe siècle a affectionné les voûtes en étoile. Au XIVe et XVe siècle, des ogives moulurées, avec des clés très ornés, remplacent les ogives archaïques. Pour ce qui est des supports, les murs sont presqu’aussi épais qu’à l’époque romane, généralement bâtis en bel appareil régulier, avec des contreforts saillants, normaux ou biais. Les ouvertures sont généralement larges, mais moins généreuses que dans l’Île-de-France. Les roses sont fort rares (Terrasson, La Roche-Beaucourt, Beaumont, Monpazier) ; elles se réduisent parfois à un oculus.
Les portails sont communément importants. Celui de Beaumont est un morceau de bravoure. Rares sont les clochers gothiques. Le plus remarquable est celui de Saint-Astier : c’est un clocher-porche rajouté à l’ouest, au XVe siècle, tout comme à Belvès.
La décoration intérieure des églises gothiques en Périgord
Le sculpture monumentale gothique n’est pas fréquente en Périgord, d’autant plus que les guerres de Religion ont méthodiquement mutilé les figurations religieuses. De même, la statuaire figurant des saints est peu nombreuses. Le vitrail gothique a quasiment disparu suite à la rage huguenote.
Quant à la peinture murale, il en subsiste quelques beaux témoignages, comme à Vauclaire où il reste des traces de fresques du XIVe siècle, ainsi qu’à Saint-Front-de-Pradoux, à la chapelle Saint-Geniès de Cheylard, à Eyliac et Veyrignac. Signalons également la voûte du chœur de l’église de Saint-Julien-de-Lampon, ornée d’une fresque fresque représentant le Christ en majesté, situé au centre, bénissant et entouré de plusieurs personnages bibliques : les prophètes Jérémie, Daniel, Moïse, Isaïe et les apôtres-évangélistes Jean et Matthieu. Ils portent tous des phylactères sur lesquels des inscriptions en latin sont partiellement effacées. Cette peinture murale a ét réalisée dans le contexte du prosélytisme protestant, un moyen pédagogique utilisé par l’Église catholique dans les campagnes pour réaffirmer sa vérité.
Où admirer des églises de style gothique en Dordogne-Périgord ?
En Périgord, il existe peu d’églises paroissiales authentiquement gothiques. On en trouve pourtant quelques unes comme celles de Brantôme, La Douze, Saint-Julien-de-Lampon, Saint-Laurent-des-Hommes, Sainte-Marie de Sarlat, Saint-Pardoux-de-Dronne, Villeneuve-de-Lonchat. Mais la plupart sont des églises romanes qui ont été plus ou moins remaniées.
- Beaumont, Église Saint-Laurent-et-Saint-Front – Cette église forteresse est l’une des plus belles églises de style gothique anglais du Périgord.
- Belvès, Église Notre-Dame de l’Assomption – Édifice gothique édifié sur l’emplacement d’un ancien monastère bénédictin, narthex supportant le clocher du XVe. Chœur et chapelles XIIIe. Grandes orgues.
- Brantôme, Église Notre-Dame – Les Bénédictins retouchèrent leur église romane. Ils y ont ouvert des belles baies gothiques et lancées des croisées d’ogives au-dessus de la nef unique. Un clocher en échauguette s’élève à l’angle face au pont. L’église fut désacralisée au XIXe siècle. Elle abrite aujourd’hui le bureau d’accueil de l’Office de Tourisme.
- Cadouin, Clôitre – Ancien lieu de pèlerinage autour du Suaire ; abbaye inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial par l’UNESCO au titre des chemins de Compostelle en France. Cloître : chef d’œuvre de l’art gothique flamboyant.
- Chantérac, Église Saint-Pierre-ès-Liens – L’église est formée d’une ancienne église romane doublée d’une église gothique. L’église romane est du XIIe siècle et l’église gothique du XVIe. Baies gothique flamboyant. Chœur voûté sur croisée d’ogives, liernes et tiercerons, imposant piliers moulurés en hélice.
- Jumilhac-le-Grand, Église Saint-Pierre-ès-Liens – Construite entre les XIe et XIVe, façade, nef et transept romans, chœur gothique, clocher octogonal à arcatures, de type limousin. Ensemble maître-autel avec retable et statues en bois du XVIIe siècle.
- La Douze, Église Saint-Pierre-ès-Liens – L’église a été bâtie aux XIVe et XVe. Église à clocher-porche avec quatre grandes ouvertures ogivales. Portail gothique. Voûte sur croisée d’ogives au-dessus de la nef unique. Cette dernière est bordée de chaque côté par deux chapelles. Dessous se trouve une crypte qui abriterait les sépultures de quatorze membres de la famille d’Abzac de la Douze. Classée M.H. en 1927.
- La Rochebeaucourt, Église Saint Théodore – Cet édifice ancien prieuré est une église Collégiale de style gothique. De forme rectangulaire à une seule nef autrefois éclairée par de larges fenêtres en meneaux. Une haute tour carrée s’élève au nord. Dans le mur à l’ouest s’ouvre au-dessus du portail une rosace composée de 7 petites roses accolées. Classée M.H. en 1923.
- Monpazier, Église Sainte-Dominique – Elle est composée d’une nef unique de trois travées barlongues suivie d’un choeur à travée droite et d’une abside polygonale à cinq pans. Elle fut construite en deux temps : dès la fondation de la ville et au XVe. L’importance des masses et des contreforts l’apparente au style gothique méridional.
- Paunat, Église Saint-Martial – Abbaye bénédictine millénaire dont il ne subsiste que l’église monastique mutilée pendant les Guerres de Religion. La nef est du plus pur style gothique, alors que les ogives angevines du chœur annoncent un style roman Plantagenêt. Une restauration datant du XIXe siècle fait apparaître une voûte ogivale en briques. Clocher-donjon non remanié depuis le XIIe.
- Saint-Astier, Église Saint-Astier – Clocher du XVe. Édifiée sur les vestiges d’un bâtiment du XIe, cette ancienne collégiale fut restaurée et agrandie au XVe. L’intérieur est orné d’un orgue neuf de style baroque Allemand, de chapelles latérales gothiques, d’un retable du XIXe et de peintures des XVIIe et XVIIIe. Elle est dominée par son imposant clocher carré et comporte des éléments de fortifications dont un chemin de ronde sur mâchicoulis.
- Saint-Julien-de-Lampon, Église Saint-Julien – Fondations romanes peu visibles. Reconstruite en quasi-totalité selon un plan cruciforme aux XIVe et XVe. Clocher-porche du XVe, qui prend appui sur des contreforts. Nef à collatéraux, précédée d’un clocher-porche s’achevant par un chevet pentagonal. L’ensemble a été revoûté d’ogives à des époques différentes. Classée M.H. en 1992.
- Saint-Laurent-des-Hommes– Clocher-tour sur le chœur. Portail à voussures. Voûte sur croisée d’ogives à clef plates. Retable doré et polychrome du XVIIedans le chœur.
- Saint-Pardoux-de-Dronne, Église Saint-Pardoux – Église du XIIIe. Deux collatéraux de deux travées d’ogives sur piliers ronds (XVe ou XVIe), le chœur est voûté de huit nervures d’ogives. clocher-mur étagé à une baie.
- Sarlat, Cathédrale de l’évêché de Sarlat de 1317 jusqu’en 1790 – L’ancienne église abbatiale a été plusieurs fois remaniée. Mélange tous les styles du roman au XVIIIe. Clocheton du XVIIIe qui couronne le porche, seul vestige du XIIe, hauts contreforts et longues verrières. Intérieur harmonieux et sobre mélangeant les styles roman, gothique, nordique et méridional. Très belles orgues. Classée M.H. en 1840.
- Sarlat, Église Sainte-Marie – Voûte en croisée d’ogives, clocher découronné, beau clocher carré. Transformé en marché couvert par l’architecte Jean Nouvel, Pritzker Architecture 2008. Classée M.H. en 1905.
- Sigoulès, Église de Lestignac – Église romane et gothique flamboyant XVIe, clocher-mur défensif avec réemplois romans, portail XVIe. Autel de bois sculpté XVIIe.
- Sourzac, Église Saint-Pierre-et-Saint-Paul – Reconstruite au XVe en style gothique sur des ruines romanes, inscrite MH. Clocher-donjon, nef XVe à trois travées voûtées d’ogives, chœur rectangulaire entre absidioles carrées. Vestiges d’une église à coupoles XIIe à l’ouest. Retable XVIIe.
- Terrasson, Église Abbatiale de Saint-Sour – La construction initiale remonterai au VIe. Elle subit de nombreux dégâts au cours des siècles (invasions normandes puis guerres de Religion). Son apparence actuelle remonte à la fin du XIXe. Aujourd’hui, la façade de l’église comporte un portail gothique flamboyant et une rosace récente. Classée M.H. en 2001.
- Villeneuve-de-Lonchat, Église Notre-Dame de l’Assomption – Église gothique à trois nefs du XIVe située en-dehors du bourg, à 400 m du centre. Cuve baptismale du XIIe, calice en vermeil du XVIIe, une toile également du XVIIe et un christ aux outrages du XIXe. Elle appartient au style gothique du Sud-ouest, qui est un style de transition entre le roman et le gothique. Les murs sont épais, avec de massifs contreforts. Baies gothique flamboyant et beaux vitraux. Le clocher, trapu, surmonte la travée ouest de la nef centrale et forme la façade de l’église. Cette église est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Bâtiments Historiques.
Crédit Photos :
- Le plafond du chœur de l’église Saint-Julien, Saint-Julien-de-Lampon, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- Baie gothique de l’église Notre-Dame-de-la-Nativité, Bussière-Badil, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia.
- Le portail ouest de l’église Saint-Pierre et Saint-Paul, Sourzac, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia.
- Belvès – Porche de l’Église Notre-Dame-de-l’Assomption, By Mossot (Own work), via Wikimedia.
- Église de Saint-Laurent des Hommes, By Père Igor (Own work), via Wikimedia.
- Sculpture du clocher de l’église Saint-Pierre-ès-Liens, Jumilhac-le-Grand, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia.
- Le plafond de la grande chapelle sud, église Saint-Pierre et Saint-Paul, Sourzac, Dordogne, By Père Igor (Own work), via Wikimedia.