Les églises romanes en Périgord

Sur les quelque huit cents églises qu’il possède, le Périgord a la chance d’en conserver plus de cent qui sont encore totalement romanes, et plus de quatre cents qui étaient incontestablement romanes, mais qui ont subi de si profondes retouches et de si importantes adjonctions qu’il faut un effort d’imagination pour retrouver leur économie ancienne. De plus, les quelque trois cents églises « modernes » ont généralement remplacé des édifices romans. C’est donc un ensemble essentiellement roman qui a couvert le Périgord. Il semble que la plupart de nos églises romanes datent du XIIe siècle, bien que certaines d’entre elles gardent des morceaux du XIe (1).

Le style roman en bref…

Les plans des églises romanes sont, en apparence, particulièrement nombreux ; en fait, ils suivent généralement le plan d’une croix latine : la nef (figurant le corps du Christ), la partie la plus longue, là où se tiennent les fidèles, est orientée à l’ouest, à l’opposé du chœur (sa tête), orienté à l’est. La nef est coupée par le transept ou bras de croix (ses bras), orienté nord/sud. Certaines nefs se verront doubler de part et d’autre de nefs latérales, et le chœur, d’un déambulatoire.

Les différents types de plans des églises de style roman

Les premières églises romanes sont de taille modeste, basses et n’ont que de petites ouvertures. Les voûtes étaient tout d’abord constituées de charpentes de bois, elles seront ensuite remplacées par des voûtes de pierres (du Xe  au XIIe siècle). La forme la plus typique de l’art roman reste la voûte semi-circulaire, voûte en berceau ou en plein cintre. En faisant se croiser à angle droit deux voûtes en berceau, on obtient une voûte d’arêtes, procédé qui permet de répartir les poussées sur les piliers des angles. On s’en sert surtout pour les bas-côtés, plus rarement pour la nef. En général, ces voûtes sont renforcées à intervalles réguliers par des arcs de pierre taillée, les arcs doubleaux. Dans certaines régions, comme en Nontronnais, la nef est couverte de coupoles. Les voûtes étant plus beaucoup lourdes que les charpentes en bois, les bâtisseurs ajoutent des contreforts extérieurs pour soutenir les murs.

Le plan type d'une église romane et ses différentes parties par l'image


Les églises de style roman en Périgord

Le Périgord ne possède pas de grandes églises, en dehors des abbatiales, mais une multiplicité d’églises rurales de style roman, modestes pour la plupart, bien souvent d’un charme fou, même les plus simples. C’est ainsi que les plus petites ont une superficie de 80 m² (ce sont presque des « églisettes »), tandis que des édifices monastiques paraissent démesurés : Saint-Amand-de-Coly (500 m²), Saint-Avit-Sénieur (760 m²), Bussière-Badil (635 m²), sans parler de la cathédrale Saint-Étienne (près de 1 000 m²) et de Saint-Front (1 900 m²). Parmi les plus remarquables, citons également celles de Cadouin et Saint-Privat-des-Près, ainsi que les églises à coupoles, caractéristiques du Périgord et des régions limitrophes, tels que Saint-Étienne-de-la-cité et Saint-Front à Périgueux, les églises de Trémolat, d’Agonac, de Grand-Brassac, et bien d’autres. N’oublions pas enfin de signaler celles (Carsac-de-Villefranche, Saint-Martin-de-Gurçon, Saint-Aulaye) qui, par leurs gracieuses façades saintongeaises, révèlent la proximité des Charentes (1).

Il n’y a pas, en Périgord, d’églises archétypes d’où découlent les autres (comme c’est le cas, par exemple, en Bourgogne ou en Auvergne), mais plutôt une multiplicité d’ouvrages où s’expriment, non seulement, les habitudes locales, mais aussi l’originalité et la fantaisie créatrice des maîtres d’œuvre. Pourtant, l’architecture présente des caractères communs. L’extérieur frappe par l’extrême sobriété de la construction : les façades s’ornent souvent de deux arcs aveugles disposés de part et d’autre du portail comme à Bussière-Badil et à la Chapelle-Saint-Robert, et parfois d’arcatures dans ses parties hautes : de longues arcades venant s’appuyer sur des pilastres servant de contreforts rompent la monotonie des murs extérieurs de la nef. Bâties en pierre de taille moyenne, leurs façades offrent les couleurs les plus chaudes sous le soleil, ce qui atténue l’aspect sévère de la construction (2).

En Périgord, les voûtements des églises romanes – éléments qui conditionnent le plan, les dimensions et l’économie générale – se réduisent à trois types : arêtes (4) , berceaux (5) et coupoles. Les arêtes ont été, ici, exceptionnelles : clocher de la cathédrale de Sarlat, piles de Saint-Front. Les berceaux sont relativement fréquents, tant en blocage qu’appareillés, certains lisses, la plupart scandés par des doubleaux, le plus souvent plein cintre que brisés, ce qui leur a valu de souffrir de poussées mal équilibrées et de prendre parfois des profils surbaissés assez inquiétants (Agonac, Cornille, Sergeac) (1). La coupole, fréquente dans l’ouest et la partie nord du Périgord, fera l’objet d’un développement ultérieur.

Types de voûtements utilisés dans les églises romanes périgourdines

L’intérieur est simple : la plupart des édifices sont à nef unique, la voûte est étayée par de puissants supports reliés par des arcs massifs. Les murs latéraux sont souvent ornés d’arcatures aveugles supportant un balcon de circulation ; deux ou trois fenêtres hautes éclairent chaque travée. Les églises de campagne de dimensions modestes n’ont pas de transept ; dans les villes ou au cœur des abbayes, les édifices plus vastes en ont un, généralement très saillant, mais leur décor reste toujours discret. Il n’y a pratiquement pas d’églises à bas-côtés – on en recense pas plus de quatre en Périgord. Très souvent, la croisée est voûtée d’une coupole et des chapelles rayonnantes s’ouvrent sur le chœur.

Sur le millier d’églises et chapelles que compte le pays, on peut admettre que plus de la moitié sont romanes, et que, parmi le reste, un bon tiers est encore de souche romane. Seules, quatre églises sont à trois nefs ; le reste à nef unique. Les coupoles (généralement sur pendentifs), sont nombreuses, il y en avait 250 environ, et il en subsiste près de 200, mais seule une quarantaine d’églises est voûtée d’une file de coupoles, partie qui ne constitue donc pas la définition de ce que l’on appelait autrefois « l’école du Périgord ». Les autres systèmes de voûtement sont le berceau (plein cintre ou brisé) et la voûte d’arêtes (plus rare). Les murs sont épais, avec de rares percements ; ils sont communément agrémentés d’arcs d’applique, ce qui donne un rythme plus léger à des édifices souvent comparables à des forteresses. D’ailleurs, les églises fortifiées ne sont pas rares (Tayac aux Eyzies, Saint-Amand-de-Coly). Quelques plans insolites rompent la monotonie des plans rectangulaires. Les clochers ont été généralement relancés au XVIIe siècle. Quelques-uns cependant ont conservé leur économie du XIe siècle (Brantôme) ou du XIIe siècle (Saint-Léon-sur-Vézère, Sainte-Croix-de-Mareuil). Peu ou pas de sculpture à l’exception des chapiteaux et des corselets des corniches, souvent remarquables de réalisme et de vigueur). Pas de portails « historiés », à part Bussières-Badil et Besse. En bref, la caractéristique de nos églises est la modestie décorative, rachetée par l’harmonie des volumes, leur géométrie est parfois un peu rigoureuse mais toujours empreinte de spiritualitéJean Secret, Le Périgord (3).

La beauté de ces églises vient beaucoup plus de leur architecture que de leur sculpture : l’équilibre de leurs volumes, plus que la plastique ornementale, fait leur charme. Mis à part les chapiteaux, elles sont nues et dépouillées. Mais la virtuosité des maîtres d’œuvre s’y est donné libre cours pour esquisser des variations sur un plan simple : une nef unique, suivie d’un chœur à abside semi-circulaire. Des œuvres importantes ont surgi, çà et là, de chantiers le plus souvent monastiques : Saint-Front, Brantôme, Saint-Astier, Cadouin, Saint-Jean-de-Côle, Bussière-Badil, Saint-Avit-Seinieur, Saint-Amand-de-Coly, Paunat, Trémolat. Mais peut-être l’ambiance mystique des humbles églises rurales, si miraculeusement réussies, est-elle plus émouvante encore, si l’on en juge par Carsac-de-Carlux, Cendrieux, Urval, Segonzac, Temniac, Vandoise, Saint-Jory-Lasbloux (2).

À part deux ou trois exceptions, toutes les églises sont orientées. Leurs plans sont variés, mais, à l’examen, ils se réduisent cependant à quelques types précis : rectangle, rectangle suivi à l’est d’une abside en demi-cercle ou polygonale, plan cruciforme, avec ou sans absidioles, plan trèfle. Trois églises seulement, et toutes monastiques, possèdent des bas-côtés : Cadouin, Bussières-Badil, Saint-Privat-des-Prés. (on pourrait y ajouter le Dalon, dont le plan cistercien est roman, mais dont le voûtent fait la transition entre le roman et le gothique). On cite des églises de plan insolite et fantaisie : en tau (Saint-Romain), à plan subtréflé (Montagrier), à chœur octogonal (Saint-Martin-l’Astier), à chevet triangulaire (Jayac). Pour les amateurs de statistiques, disons que 40% de nos églises romanes dessinent un rectangle ; 26% se terminent par une abside en hémicycle ; 24 % par une abside polygonale ; 10 % ont un plan cruciformeJean Secret, L’Art en Périgord (1).

En parcourant le département de la Dordogne, on repérera différents styles d’architecture romanes, des sortes de « micro-régionalismes » offrant des particularités architecturales ancrées dans les terroirs : analogie de plans, de thèmes traités dans les chapiteaux, formes caractéristiques de voûtements, de clochers ou de portails… C’est ainsi que l’on parle des files de coupoles du Ribéracois, des clochers-murs localisés surtout en Bergeracois.

Les matériaux employés

En Périgord, les édifices religieux sont en pierre, non seulement parce qu’elle y abonde, mais aussi parce qu’ici, on l’extrait relativement facilement. La pierre a également été choisie – plutôt que la brique ou le bois – en raison de ses propriétés : solidité, dureté, résistance à l’eau et au feu. Le type de pierre employé varie tout naturellement en fonction des régions d’implantation : grès rouge entre Hautefort et Terrasson, schiste dans le nord et l’est, calcaire partout ailleurs, mais des calcaires bien différents de par leurs couleurs et leurs textures, très blancs dans l’ouest, ocrés dans le Périgord Noir. Pas de briques donc, même dans la Double sablonneuse ou le Landais. Quelques églises sont bâties de grès rouges, ferrugineux (Vilhac, Saint-André-de-Double). Les toits étaient couverts d’ardoise dans le nord-est et l’est du pays ; de tuiles plates et tuiles canals partout ailleurs, mais il semble qu’à l’origine, et dans tout le pays, la couverture normale ait été la « lauze », dalette de calcaire débitée au marteau. Le poids de ce matériau exigeait de solides charpentes, mais offrait l’avantage de coûter peu cher, le calcaire feuilleté étant commun dans le pays. Impossible de savoir comment se présentait les charpentes romanes, toutes ayant sans doute disparu, soit par vétusté, soit incendiées ou jetées bas par les guerres successives (1).

La décoration des églises romanes en Périgord

Le Périgord n’est pas un pays de grands sculpteurs : si les portails sont rares, ils y sont exceptionnels (Besse, Bussière-Badil), encore n’ont-il que très rarement des tympans. Le décor intérieur, généralement dépouillé, se résume à des moulures soulignant l’architecture, quelques sculptures sur les chapiteaux du portail, du chœur et sur les modillons du chevet. Des monstres, des scènes historiées plus rarement, ou de simples feuillages, tout cela de manière assez minimaliste. Les colonnes peuvent être sculptées, à leur base, de fleurons, de cordages, d’entrelacs, de dents de scie. Les chapiteaux ont des astragales toriques, les corbeilles sont aussi souvent frustres que sculptées. Le tailloir, toujours important, a souvent son chanfrein sculpté de damiers, palmettes, entrelacs, festons, têtes de clous. Les angles des corbeilles portent parfois un enroulement en escargot, comme à Cénac. Si une grande partie des chapiteaux romans du Périgord sont très modestement, voire rudement sculptés, certains sont néanmoins remarquables comme ceux de Thiviers, de Merlande, de Bussière-Badil, Saint-Jean-de-Côle, Vanxains, Cadouin… Au répertoire des thèmes sculptés figurent animaux, monstres, flore, personnages humains, anges et figures bibliques. La peinture n’est pas absente, mais trop peu d’éléments complets subsistent de cette période pour en comprendre le sens. Il faut bien noter que tous les édifices étaient intégralement peints, ou tout au moins enduits.

Répartition des églises romanes en Périgord

Jadis, le comté du Périgord totalisait quelque 700 paroisses et près de 1000 églises et chapelles. Leur répartition est assez homogène dans tout le Périgord, où, actuellement, sur plus de 500 communes, une seule ne possède pas d’église : Monmarvès (bien qu’elle en ait possédé une : romane). Mises à part les églises modernes, on peut admettre que toute église périgourdine possède une petite partie romane. À examiner la carte des églises du département, on voit bien vite que certaines zones accusent une forte densité d’églises modernes : ce sont surtout les vallées méridionales qui virent passer tant d’oses pendant les guerres anglaises. D’autre part, plus que le nord, le sud du pays a subi les ruines de la réforme (1).

Les églises romanes à coupoles en Périgord

Si les cinq coupoles de la cathédrale Saint-Front de Périgueux sont renommées, c’est en Ribéracois que les coupoles sont les plus nombreuses et les plus harmonieuses. Certains évoquent même un style Périgord, tellement les églises à coupoles abondent dans l’ouest de la Dordogne. Cette architecture, datant majoritairement du XIIe siècle, a suscité bien des débats chez les historiens qui souvent disent y déceler l’influence de l’art oriental, à la suite des fréquents échanges avec la Terre sainte, pèlerinages et croisades. Mais d’autres rétorquent que la coupole est un élément assez banal des religions. Elle symboliserait l’infini du divin par opposition à la base de l’édifice, carré ou rectangulaire, dont les lignes droites renvient au temporel. Plus pragmatiquement, la forme de ces églises romanes permet de répartir charges et tensions de la voûte en coupole sur les murs latéraux et sur les arcs doubleaux de la nef, ce qui est un net avantage sur la voûte en berceau qui nécessite de puissants renforts (6).

Il y avait, en Périgord, environ 250 coupoles, sur lesquelles près de 200 subsistent. Sept d’entre elles sont des coupolettes, n’ayant que 2 m de diamètres. La plus vaste, Saint-Jean-de-Côle, dépassait 15 m, mais elle s’est effondrée à deux reprises. La carte de répartition des coupoles nous montre que tout le Périgord a usé de la coupole, mais la densité maxima est à cheval sur la Dordogne et la Charente (il faut rappeler que toute une frange de celle-ci, soit une trentaine d’églises, appartenait autrefois au diocèse de Périgueux et que, par conséquence certaines coupoles, actuellement angoumoisines, comptent archéologiquement à l’actif du Périgord.Jean Secret, L’Art en Périgord (1).

Consultez la carte des églises romanes (avec et sans coupoles) et gothiques en Périgord

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Sources :

  • (1) Jean Secret, L’Art en Périgord, Éditions Pierre Fanlac, Périgueux, 1976.
  • (2) Jean Secret, Promenades en Périgord Roman, Collection Parcours culturel, Éditions Zodiaque, Paris, 2002.
  • (3) Jean Secret, Le Périgord, Éditions Franand Lanore, Paris, 1968.
  • (4) La voûte d’arêtes est obtenu par l’intersection de deux berceaux qui se croisent à angle droit en conservant les parties extérieures aux arêtes d’intersection.
  • (5) La voûte en berceau est une voûte qui présente la face de son arc (ou intrados) faite d’une courbure constante ; elle est également définie comme une voûte dont la surface est un cylindre continu. Son origine est l’arc en plein cintre. Elle est la plus simple et la plus fréquente des voûtes. Les pierres taillées dont elle est formée s’appellent des voussoirs.
  • (6) Hervé Brunaux, Le Périgord, Collection Itinéraires de Découvertes, Éditions Ouest-France, Paris, 2002.

Crédit Photos :

  • Église romane Saint Robert, La Chapelle Saint Robert, Javerlhac, Dordogne, By Traumrune (Own work), via Wikimedia Commons.

LE PATRIMOINE RELIGIEUX DU PÉRIGORD

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