REPÈRE HISTORIQUE — À la suite du mariage d’Aliénor d’Aquitaine et de Henri II Plantagenêt (1152) une partie du Périgord passe de droit sous suzeraineté anglaise et la région entière va connaître une histoire mouvementée jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, (1453). Géographiquement situé à la limite des zones d’influence française et anglaise, il oscillera, par choix ou par force, pendant trois siècles, entre les deux dynasties. Les comtes du Périgord batailleront tantôt dans un camp, tantôt dans l’autre. À une époque où les tracés territoriaux sont encore incertains, où l’idée de nation n’existe pas, et où seule la foi jurée à son suzerain tient lieu de légitimité, sous quelle oriflamme se ranger lorsque l’on est, comme certains seigneurs, vassal à la fois du roi de France et du roi d’Angleterre ? Ravagé par les « croisés » de Simon de Montfort, victime des querelles anglaises, tiraillé entre les deux monarchies, le Périgord connaît alors 300 ans de luttes et de guerres civiles car « les Anglais d’en face » sont occitans eux aussi. Ses châteaux-forts (Biron, Castelnaud Beynac…), ses bastides (Monpazier, Molières, Domme…), ses ruines (Auberoche, Commarque…) témoignent de ces années sombres. — Jean-Luc Aubardier. (1)
La fin du XIIe siècle marque une nouvelle étape dans l’évolution du château. Nés au moment des invasions normandes sous une forme rudimentaire — voir la page consacrée aux mottes castrales —, ils se sont transformés et agrandis pour affronter les soubresauts de l’histoire, nombreux au cours de la guerre de Cent Ans, et des guerres de Religion. Comme partout ailleurs en Europe, les châteaux féodaux du Périgord sont également le fruit du danger et de l’insécurité.
Si dans la période antérieure nombre de tours et d’enceintes sont en bois, l’architecture castrale adoptera très vite la pierre, beaucoup moins vulnérable au feu. Toutefois, le bois continuera d’être utilisé pendant un temps, pour certaines parties, comme les hourds, sortes d’échafaudages fait de planches, en encorbellement au sommet d’une tour ou d’une muraille. Mais les mâchicoulis les remplaceront définitivement, toujours pour la même raison : la vulnérabilité au feu.
L’évolution de l’architecture castrale
On peut dès lors parler d’architecture castrale comportant des éléments architecturaux caractéristiques de cette période féodale. De puissants murs, crénelés et talutés, percées d’archères en raison de l’emploi de l’arbalète, seront scandés çà et là par des tours coiffées de galeries de bois nommés hourds et, plus tard, de mâchicoulis et de bretèches (guérites).
Des enceintes, constituées de puissants murs crénelés et talutés, les courtines, flanquées de tours circulaires, beaucoup plus hautes serviront essentiellement à mieux protéger le donjon construit à l’endroit le plus inaccessible. C’est le dernier repli possible au sein d’un système de défense concentrique. Pour en améliorer la défense, les étages ne correspondent que par des trappes munies d’échelles amovibles. Lorsque plus tard, pour des raisons de commodités, des escaliers à vis seront installés dans l’épaisseur des murs, ils ne relieront pas plus de deux étages à la fois, l’accès aux derniers niveaux se faisant par un autre escalier. Lorsque la tour maîtresse, le donjon, se trouve encore au centre, le plus souvent, elle est associée aux courtines. Elle se distingue des autres tours par une hauteur plus importante. Entre le XIIe et le XIIIe, les tours carrées seront remplacées par des tours circulaires ou polygonales qui faciliteront la défense du château. Contre les travaux de sape, la base des murailles sera élargie permettant du même coup aux traits de ricocher. Des fossés profonds, seront mis en eau chaque fois que cela sera possible (on parlera alors de douves). Les architectes multiplieront les enceintes (parfois doubles comme à Badefols-de-Cadouin, Commarque, et même triples comme à Fénelon), et renforceront chacun des éléments : les courtines et les tours seront de plus en plus hautes et épaisses. L’épaisseur permettra de se protéger contre les sapes et l’artillerie (catapultes, et à partir du XVe siècle, bombardes), la hauteur permettra d’empêcher l’assaut par des échelles. En Périgord, la plupart des châteaux féodaux étaient posés sur le bord d’une falaise, faisant ainsi l’économie d’un côté du rempart (Beynac).
La défense des portes, points faibles de ce système défensif, fera l’objet d’un soin particulier. Elles seront équipées de herses, de grilles de bois ou de fer, coulissant de haut en bas. Le pont-levis permettra de filtrer les entrées indésirables et d’isoler totalement la courtine de l’extérieur. Il sera souvent flanqué de d’un châtelet, parfois discret et peu monumental (Beynac, Fénelon, Maroitte) mais il peut être important et bien architecturé (Biron, Fayrac).
L’ensemble de ce système ne vise qu’à décourager l’ennemi par une multiplication d’obstacles successifs : c’est encore de fait une défense passive. Ce n’est qu’à partir du XVe siècle que des canonnières complètent le système défensif. Pour info – au dire de Jules Michelet –, les premiers coups de canons tirés dans l’histoire de France l’auraient été, en 1338, contre le château de Puyguilhem, commune de Thénac (24240), en Bergeracois(2). Il est bien évident que l’architecture castrale a évolué parallèlement aux techniques de siège, l’artillerie venant bouleverser les règles guerrières et défensives. De ce fait, il devient nécessaire d’opter pour une stratégie offensive. Et pour cela, on se mit à construire des édifices plus massifs, caractérisés par la réduction des angles, l’apparition de tours circulaires et de barbacanes, le percement d’archères. Certaines tours s’armeront même de canonnières, comme au château de Castelnaud. La défense se concentrera alors dans les parties hautes de l’enceinte, reliées par un chemin de ronde.
Mais, à la fin du moyen-âge, le château-fort touche à ses limites techniques : le coût de ces constructions devient prohibitif et, seuls les plus grands princes peuvent encore en financer la construction. De toute façon, les progrès de l’artillerie rendent obsolètes les hautes murailles. À partir de 1418, se généralise l’utilisation de boulets en fer, beaucoup plus destructeurs que les boulets de pierre. Les canons de la fin de la guerre de Cent Ans, permettent d’accélérer les sièges en ouvrant des brèches dans la muraille, plus efficacement que la sape ou le bélier. Introduite en Europe au XIVe siècle, ce n’est qu’au XVe siècle que la poudre a significativement affecté la construction du château-fort, lorsque l’artillerie est devenue suffisamment puissante pour détruire leurs murs en pierre. Au XIVe siècle, le château va donc s’humaniser peu à peu, tout d’abord à l’intérieur de ses murailles (la disposition des salles témoigne d’une recherche nouvelle du confort et de la lumière), puis au XVe siècle, à l’extérieur, avec l’abandon des défenses médiévales.
Face à l’insécurité entre les royaumes de France et d’Angleterre, de nombreux châteaux vont subir des destructions et des abandons malgré le renforcement pour certaines forteresses de l’architecture défensive médiévale. Au cours de la période tumultueuse de la guerre de Cent Ans, on a certainement beaucoup construit, mais d’une façon un peu improvisée, on a surtout achevé ou réparé, parfois hâtivement, bien des château-forts, car la guerre n’est favorable qu’à l’architecture militaire. (3)
Quelques châteaux-forts périgourdins
Le château de Commarque est probablement l’ensemble le plus complexe et le plus curieux du Périgord avec ses systèmes de défenses, ses douves successives, ses remparts concentriques et le vertigineux verticalisme de son donjon en bel appareil. Construite aux XII et XIIIe siècles, on accède à la forteresse en franchissant deux ponts-levis successifs battus par des châtelets. La seconde enceinte entoure le château lui-même, dont la pièce principale est la juxtaposition de deux donjons carrés, l’un roman, l’autre du XIIIe siècle, courrônnés de mâchicoulis et dominés par une guette vertigineuse. L’un des donjons est voûté d’ogives. L’autre porte au nord, un curieux fenestrage à colonnettes géminées, sous un arc de décharge(3).
Le château de Beynac, en plein ciel sur son rocher ocre, à pic sur la Dordogne, est une image de la force seigneuriale. Depuis le XIIe siècle, il défie son rival, planté sur la rive gauche de la Dordogne : le château de Castelnaud. Ce château féodal, d’allure austère, présente la forme d’un quadrilatère irrégulier prolongé au sud par un bastion en éperon. Le sévère donjon, démesurément haut, crénelé, sans mâchicoulis, percé de rares baies, agrafé d’une bretèche et flanqué d’une tourelle d’escalier de plan carré, si étroite qu’elle en paraît encore plus aérienne, date du XIIIe siècle. Protégé du côté du plateau par une double enceinte, le château surplombe la Dordogne de 150 mètres.
Le château de Castelnaud, est une forteresse médiévale située sur la commune de Castelnaud-la-Chapelle. Construit entre le XIIe et le XVe siècle, son architecture est typiquement celle d’un château-fort avec ses défenses, son châtelet et ses barbacanes, ses courtines, ses tourelles et sa grosse tour circulaire munie de trois étages de casemates à une ou deux embrasures du XIVe siècle.
Notes :
- (1) Jean-Luc Aubardier, Michel Binet, Les châteaux du Périgord.
- (2) « On dit qu’en 1338 des coups de canon auraient été tirés contre le château de Puyguilhem [commune de Thénac] qui était alors aux Anglais : si le fait est exact, il est d’importance puisque c’est la première fois qu’on utilisa de la poudre à canon dans l’histoire de France. » Guy Penaud, Dictionnaire des Châteaux du Périgord, Édition Sud Ouest, 1996.
- (3) Jean Secret, Le Périgord en 300 images.
Crédit Photos :
- Château de Beynac, by Erica Althans-Schmidt (Own work), via Wikimedia Commons.
- Castelnaud château Dordogne, by Jebulon (Own work), via Wikimedia Commons.
- Pont-levis Château de Hautefort, by Jebulon (Own work), via Wikimedia Commons.
- Boulazac Lieu-Dieu, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.
- Hourd – Château de Castelnaud, by Sémhur (Own work), via Wikimedia Commons.
- Ajat château, by Père Igor (Own work), via Wikimedia Commons.